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Luttes

Des coursiers à vélo veulent dépasser l’ubérisation par la coopération

Les opposants à la réforme du code du travail manifestaient jeudi 21 septembre. Parmi eux, des livreurs à vélo de la plate-forme de livraison de repas à domicile Deliveroo. Ils dénoncent la précarisation et l’ubérisation de leur métier. Et préparent l’alternative : une plate-forme coopérative.

Ils étaient quelques-uns à la manifestation contre les ordonnances de la loi Travail, à Paris, jeudi 21 septembre. La veille, des coursiers à vélo se retrouvaient aussi à la Bourse du travail à Paris, pour un débat sur l’ubérisation. Organisé par l’association Coopcycle, il réunissait syndicats, collectifs, acteurs coopératifs, chercheurs et politiques tels que Danielle Simonnet, conseillère de Paris et coordinatrice du Parti de gauche, Bernard Friot, fondateur de l’association réseau Salariat, ou Jérôme Pimot, fondateur du Collectif des livreurs autonomes de Paris (Clap).

Lors de la manifestation du 21 septembre contre les ordonnances sur le travail. Des livreurs à vélo y ont participé de manière dispersée.

Entre 100 et 150 personnes étaient présentes dans la salle Ambroise Croizat pour lancer une réflexion sur l’ubérisation de l’économie et les alternatives.

L’ubérisation est un détournement de la responsabilité légale des employeurs envers les travailleurs, opéré par la modification du statut de travailleur : celui-ci n’est plus salarié mais indépendant face au donneur d’ordres avec lequel il est en relation essentiellement par téléphone ou internet. Elle est issue de l’univers du numérique et de l’économie collaborative, mais se nourrit du travail indépendant pour générer des profits, pas vraiment distribués. Si cette ubérisation se généralisait, elle pourrait, estiment ses critiques, détruire le régime de protection des travailleurs.

C’est ce que font certaines plates-formes comme Deliveroo, une entreprise de livraison de repas, en imposant le statut d’autoentrepreneur à ses livreurs. Comme ceux-ci ne sont rattachés à aucune structure salariale ou syndicale, et sont dispersés et individualisés, les plates-formes peuvent imposer leurs règles et leurs conditions de travail parfois extrêmes.

Ainsi, le 27 août, Deliveroo a annoncé qu’elle paierait désormais ses coursiers à la course et non plus à l’heure. Le Collectif des livreurs autonomes de Paris (Clap) a dénoncé cette modification à double titre. D’une part, elle rend les conditions de travail plus dangereuses, puisque le tarif à la course pousse les livreurs à rouler plus vite, puisqu’ils ne sont payés que quand ils roulent. D’autre part, il estime que le pouvoir d’achat des coursiers pourrait être réduit de 30 %. Cela représente du chiffre d’affaires, et non du salaire. « Tout se joue sur l’abus de langage entre travailleurs indépendants et autoentrepreneurs. Cela ressemble à du salariat déguisé », dit Jérôme Pimot.

À la Bourse du travail, le 20 septembre. Comment lutter contre la généralisation de la précarité favorisée par le numérique ?

Durant la discussion à la Bourse du travail, il est apparu que ce n’était pas le travail indépendant qui est critiqué, mais la précarité du statut d’autoentrepreneur, qui se généralise peu à peu. Pas de cotisations — ni au chômage, ni à la retraite —, situation d’exploitation, et des conditions de travail qui se dégradent un peu plus chaque jour. Pour Danielle Simonnet, « l’ubérisation nous rend complice d’un suicide social collectif. C’est l’étape 2.0 du capitalisme ».

Alexandre Segura : « Les personnes concernées devront s’approprier l’outil coopératif. »

Les intervenants se sont retrouvés sur le modèle à suivre pour mettre fin à cette précarité : la coopération. « Il faut ré-insuffler un projet politique dans le modèle coopératif, et arriver à un modèle économique viable », dit le syndicaliste Stéphane Fustec (CGT-SAP). Concrètement, il s’agit de développer les entreprises partagées, avec un salariat sans rapport de subordination, encourager la solidarité, mutualiser les droits, les compétences, les idées, se réapproprier et socialiser les moyens de productions numériques. Pour Jérôme Pimot, fondateur du Clap, il faut « réintroduire le syndicalisme auprès des jeunes, revenir vers du collectif ».

L’association des travailleurs en coopérative leur permettrait de contrôler collectivement les plates-formes qui les mettent en relation avec les clients et de ne plus être abusivement ponctionnés. Le statut de coopérative n’exclut pas le financement extérieur mais il attribue aux salariés un minimum de 51 % des parts de la société, ce qui leur donne un pouvoir collectif.

C’est le projet de l’association Coopcycle : créer une plate-forme coopérative de livraison de repas à vélo, grâce à un logiciel open source géré comme un bien commun. Le code source sera placé sous une licence à réciprocité, ce qui signifie qu’il ne peut être utilisé commercialement que dans le cadre d’une entreprise collective appartenant à ses travailleurs, dans laquelle les gains financiers sont répartis équitablement. C’est une licence « anticapitaliste », précise Alexandre Segura, son créateur. Elle permettrait de pérenniser le métier de coursier, de structurer la profession et de favoriser le statut de salarié.

Pour l’instant, l’outil technologique — le logiciel — existe, mais la plate-forme n’est pas encore opérationnelle. Il faut désormais trouver un modèle économique sur lequel s’appuyer et faire des expériences avec des restaurateurs, commerces, associations et mairies pour concrétiser la plate-forme et le projet. « Les pistes sont multiples, mais nous n’avons pas toutes les réponses. L’objectif pour Coopcycle est d’arriver à la version 1. Une fois qu’elle sera prête, nous pourrons la lancer. Ce sera ensuite aux personnes concernées, livreurs, prestataires de se l’approprier, de l’améliorer, de l’adapter et de la faire vivre », dit Alexandre.

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