Du gaz lacrymogène dans les yeux : la réponse de l’Etat aux défenseurs du climat

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Plus de 300 activistes non violents se sont regroupés sur le pont de Sully, à Paris, pour dénoncer l’inaction face au dérèglement climatique. Gaz lacrymogène dans les yeux, coups de matraque, injures… la réponse de l’Etat. Reporterre était là.
- Paris, reportage
Vendredi 28 juin, le mouvement international de désobéissance civile Extinction Rebellion prévoyait d’occuper un célèbre pont parisien. L’idée : alerter les citoyens, les responsables politiques et les détenteurs de pouvoir économique « sur les menaces qui pèsent sur notre avenir, celui des autres sociétés et celui des autres espèces ». Ateliers, spectacles, tribunes et délibérations collectives devaient ponctuer cette journée. Il n’en a finalement rien été. Les activistes ont été violemment chassés du pont de Sully par la police, au bout de 30 minutes.

Sous un soleil de plomb, à 12 h 20, 300 activistes répondant à l’appel d’Extinction Rebellion se sont déployés aux abords du pont de Sully, dans le Ve arrondissement de Paris. Se tenant la main, ils ont neutralisé la circulation au niveau du boulevard Saint-Germain, de la rue des Fossés-Saint-Bernard, du quai Saint-Bernard et à l’entrée du pont, bloquant momentanément des centaines de voitures et de bus. Certains automobilistes sont sortis avec véhémence de leurs véhicules et des médiateurs en gilet orange se sont attelés à calmer les nerfs des plus pressés.
« L’urgence, symbolisée par la sixième extinction de masse, est telle qu’on ne peut plus rester de marbre »
Au bout d’une poignée de minutes, l’ensemble des protagonistes se sont rassemblés à l’entrée du pont de Sully et se sont disposés en tailleur ou debout sur la chaussée. « Sur le pont, rébellion / On y lutte, on l’occupe / Sur le pont, rébellion / On y lutte contre l’extinction », ont-ils scandé sur l’air de Sur le pont d’Avignon.
« Nous voulons provoquer un sursaut collectif, disait Morgane, membre d’Extinction Rebellion. L’urgence, symbolisée notamment par la sixième extinction de masse, est telle qu’on ne peut plus rester de marbre et attendre que les décideurs se réveillent. Nous leur demandons des mesures efficaces, à la hauteur des enjeux qui bouleversent le monde tel qu’on le connaît aujourd’hui. »

À cause du ralentissement du trafic, et parce qu’ils avaient concentré leur dispositif ailleurs — pensant que l’action se déroulerait au niveau du pont au Change — les cars de CRS sont arrivés au bout d’une vingtaine de minutes, par dizaines. « Nous avions prévu de bloquer le pont au Change, explique Marguerite, d’Extinction Rebellion. Pour avoir un rapport de force différent, on a voulu tester la méthode “à l’anglaise” et prévenir la police. Hier soir [jeudi], on a publié le lieu de notre action sur les réseaux sociaux. Mais, au moment du briefing, on s’est rendu compte qu’il y avait beaucoup trop de camions de CRS qui nous attendaient sur place et on s’est ravisés. »

La police est arrivée au pont de Sully vers 12 h 40 et, au bout de 20 minutes, a sommé les activistes de « regagner immédiatement le trottoir ». « Dernière sommation, nous allons faire usage de la force », s’est écrié un policier à 13 h 05. « La police / Avec nous / On fait ça pour vos enfants », ont répliqué les activistes, assis en tailleur, soudés et résolument immobiles.
Les CRS ont commencé à soulever les désobéissants, les trainant parfois au sol sur plusieurs mètres. En plein cagnard, l’opération a vite échaudé les forces de l’ordre : les agents ont alors utilisé des bombes aérosol lacrymogènes directement à hauteur du visage des activistes.

« Mais non, on avait dit pas dans leurs visages, les gars ! », a tenté de raisonner l’un de leurs collègues, lui-même en larmes. « Dégagez ou on recommence », s’est emporté un autre, dégoulinant de sueur. Quelques secondes plus tard, faisant fi des consignes, l’homme en uniforme a aspergé un même groupe d’activistes pendant une dizaine de secondes, jusqu’à ce que sa bombe soit totalement vide. L’air est devenu irrespirable sur le pont, et les yeux des présents se sont boursouflés.
« Ils devraient nous remercier, pas nous gazer »
Même les passants, venus profiter des quais, suffoquaient. À quelques mètres du pont, Élise a longtemps frotté ses yeux irrités, et beaucoup toussé. « Je ne faisais même pas partie du mouvement, a-t-elle raconté, désabusée. Je voulais juste me rendre à l’Institut du monde arabe, je me baladais avec mon casque sur les oreilles quand mes yeux et mon visage ont commencé à me piquer. J’ai tenté de me réfugier derrière un arrêt de bus mais maintenant, ma peau me brûle. »

Les activistes ont reculé sur le pont de Sully à marche forcée jusqu’à 14 h : des coups de matraque, de pieds et de boucliers se sont abattus sur les plus récalcitrants. Une quinzaine de cars de CRS supplémentaires sont arrivés en renfort. Au bout du pont, enfin, les activistes ont été nassés le long du quai de Béthune.
« Toute cette répression me rend super triste, a dit Aurore, l’une des désobéissantes. On est un mouvement joyeux, non violent, et ce que l’on dénonce concerne tout le monde : nous allons droit dans le mur, vers un réchauffement global de 5 °C d’ici la fin du siècle. Nous, on cherche des moyens d’encourager le gouvernement à changer de ligne et cette grosse répression, c’est la preuve d’un gros déni de la part des politiques. Ils devraient nous remercier, pas nous gazer. »

Des photoreporters et des journalistes, même avec une carte de presse, ont été empêchés de sortir de la nasse. « Vous ne connaissez rien à rien, vous êtes une presse trop jeune et trop rebelle pour travailler sérieusement, a lancé un policier en direction d’un groupe de journalistes, dont l’équipe de Reporterre. Vous êtes à charge et jamais à décharge. »
Un photographe de @radioparleur est retenu dans la nasse "on en a rien à foutre de ta carte de presse" pic.twitter.com/y8vOU6HKAo
— Gilles _Stuv_ Potte (@stuvpic) 28 juin 2019
Les 300 activistes ont été escortés jusqu’au square Henri-Galli et la bouche de métro Sully-Morland, la plus proche du pont. Dans l’après-midi, ils ont rejoint les troupes de Youth for Climate France rue du Faubourg-Saint-Honoré, devant l’Élysée, pour demander la fin des subventions aux énergies fossiles.
La jeunesse mobilisée pour le climat réalise actuellement une occupation internationale devant l'@Elysee.
Nous dénonçons l'inaction climatique des chefs d'États comme @EmmanuelMacron et réclamons un état d'urgence bioclimatique avec des mesures ambitieuses#YouthForClimate 🔥🌍 pic.twitter.com/aReB2MiF8c
— Youth For Climate France (@Youth4Climatefr) 28 juin 2019
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