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Politique

EELV face à une affaire d’agressions sexuelles

Marche #NousToutes à Paris, le samedi 20 novembre.

Deux femmes ont dénoncé des faits de violences sexuelles et sexistes à l’encontre d’un homme chargé d’un organisme de formation des élus du parti EELV : le Cédis. La cellule d’enquête et de sanction du parti s’est saisie de l’affaire.

C’était le 21 août 2015 à Lille, dans la boîte de nuit Le Network. Certains participants à l’université d’été d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) s’y étaient retrouvés pour faire la fête après de longues journées de travail. Fiona Texeire, à l’époque secrétaire générale du groupe écologiste au Sénat, dansait sur la piste devant des collègues et amis, hommes et femmes. Elle portait une robe d’été qui s’arrêtait au-dessus du genou, comme elle le précise dans son témoignage. Soudain, elle a senti une main remonter entre ses cuisses pour venir toucher son sexe. Sidérée, elle s’est retournée pour comprendre ce qui se passait. Elle a alors vu un homme, se retournant aussitôt, l’air de rien. Elle ne le connaissait que de loin, de manière professionnelle. Elle ne lui parlait pas, il était dans son dos et en avait profité pour l’agresser. À l’époque, la jeune femme n’avait pas porté plainte, habituée à ces comportements. « Je n’y pensais même pas, car les violences sexuelles sont tellement banalisées dans la classe politique que ce n’est pas un réflexe », a-t-elle déclaré dimanche 21 novembre dans l’émission de « C Politique » (à partir de 1 heure).

Elle y raconte son agression et surtout sa prise de conscience, des années plus tard, en mai 2021. Elle a alors appris que son agresseur supposé [1] était pressenti pour occuper un haut poste au sein de l’organisme de formation des élus d’EELV : le Cédis. Son sang n’a fait qu’un tour. « Je me suis dit que ce n’était pas possible, explique-t-elle aujourd’hui à Reporterre. Il ne pouvait pas être engagé dans cet organisme, qui est un vecteur central pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles du parti. »

« Quand il y a un doute, il ne faut pas embaucher ces personnes »

Elle a saisi la cellule d’enquête et de sanction d’EELV le 30 mai 2021 et envoyé son témoignage à l’organisme de formation. Trop tard, selon le président d’honneur du Cédis, Henri Arévalo, qui avait procédé au recrutement de l’homme accusé. Il rappelle à Reporterre la chronologie des faits durant ces derniers mois : « Le vendredi 28 mai, j’annonce à ce candidat qu’il est retenu pour le poste. Nous recevons le témoignage indiquant qu’il aurait commis ces violences sexistes et sexuelles le dimanche. J’ai convoqué le conseil d’administration dès le lundi 31 mai pour analyser la situation. » Le conseil d’administration a temporisé le recrutement en attendant le résultat de l’enquête interne, qui a envoyé ses conclusions quelques jours plus tard : « Au regard des éléments, nous sommes convaincus que la victime a subi une agression sexuelle lors de cette soirée. Pour autant, l’absence de témoin direct, l’ambiance par nature sombre d’une boîte de nuit, le fait que l’agression a eu lieu “de dos” et les entretiens opposés, ne nous permettent pas d’affirmer que le mis en cause est l’auteur des faits. Il appartient à l’organisation concernée de statuer sur la suite qu’elle compte donner à la candidature du mis en cause », explique la cellule d’enquête, dans un courriel que Reporterre a pu consulter.

L’homme a finalement été engagé au Cédis. « Dès lors qu’il n’y avait aucun élément prouvant qu’il était l’auteur de l’agression, nous n’avions aucune raison ne de pas le recruter. Car, du point de vue du droit du travail, il faut une cause majeure pour renier une promesse d’embauche. Nous avons fait confiance à la cellule. Même si bien entendu, nous ne remettons pas en cause la parole des femmes. Elles ont subi des violences et nous compatissons », se justifie Henri Arévalo.

Un second témoignage pourrait toutefois venir bouleverser la donne. Pendant l’émission de « C Politique », Ninon Guinel, à l’époque collaboratrice parlementaire au Sénat, a dénoncé le même type d’agression de la part du même homme, quelques heures avant celle de Fiona Texeire. Elle a saisi la cellule du parti. « Quand il y a un doute, il ne faut pas embaucher ces personnes. C’est une question préventive : celle de ne pas investir des hommes mis en cause dans des affaires d’agression sexuelle à des postes où ils peuvent continuer à agresser des femmes », explique Ninon Guinel, actuelle cheffe de cabinet du maire de Lyon.

#MeTooPolitique

Écarter les auteurs de violences pour les empêcher de nuire. Tel est l’objectif du mouvement #MeTooPolitique lancé le 15 novembre dernier et initié entre autres par Fiona Texeire. Dans une tribune signée par 285 femmes, ce collectif demande à ce que les hommes mis en cause ou condamnés pour violences sexistes ou sexuelles ne soient pas investis pour la présidentielle et pour d’autres élections.

Une idée qui a fait débat ces derniers jours, certains criant à l’injustice comme Tristane Banon, ancienne victime de Dominique Strauss-Kahn. « On écarte de la même façon ceux qui sont condamnés et ceux qui sont mis en cause […]. Ce qui veut dire qu’on laisse tomber la justice au profit de l’arbitraire. Car même s’il y a très peu de cas de mensonges, on ne peut pas faire comme si cela n’existait pas », racontait l’autrice dans une émission de BFMTV.

La crainte d’une éventuelle injustice s’est également posée dans les coulisses du Cédis. « Bien entendu, nous prenons au sérieux ces témoignages. Il faut être mobilisés sur ces questions de violences sexistes et sexuelles. C’est une cause qui mérite plus d’engagement, mais qui ne doit pas se faire au mépris du droit du travail. En tant qu’employeur, nous sommes tenus de respecter la présomption d’innocence. On ne peut pas tomber dans un régime de l’arbitraire », assure Henri Arévalo. Mais l’arrivée du second témoignage de Ninon Guinel semble rebattre les cartes. « Les faits sont prescrits et n’ont pas été commis dans l’exercice du travail. Nous attendons le résultat de la cellule d’enquête et nous aviserons dans le respect de la loi et des personnes », poursuit Henri Arévalo.

Une accusation infondée aurait-elle déjà détruit des carrières ? « Qu’on nous donne des exemples de vies brisées d’hommes injustement accusés. En revanche, les collaboratrices qui finissent cassées et écœurées après avoir subi des violences, on en connaît beaucoup », assure Fiona Texeire. Le collectif Chair Collaboratrice — récemment dissout — assurait que 1 collaboratrice parlementaire sur 5 serait victime d’agression sexuelle.

Des formations, peu d’adeptes

Mais chez les Verts, certains ont dû répondre de leurs actes. « Denis Baupin [accusé par huit élues et collaboratrices de harcèlement et d’agression sexuelle] a été exclu du groupe parlementaire et n’a plus jamais été réinvesti par le parti. Et ceci, alors même qu’il n’y a eu aucune condamnation judiciaire, car les faits étaient prescrits », observe Éva Sas, porte-parole nationale d’EELV et membre de la commission Féminisme de ce parti. L’affaire Denis Baupin aura eu le mérite d’entraîner une prise de conscience collective au sein du parti et la création de cette cellule d’enquête et de sanction. « Elle ne se substitue pas à la justice, mais permet de libérer et de recueillir la parole. Certes, il reste encore beaucoup de choses à améliorer. Mais nous avons la volonté d’avancer sur cette question-là. Notre souhait est que plus aucune femme ne taise ce qui lui est arrivé », assure Éva Sas.

Ce qu’elle pense du témoignage de Fiona Texeire ? « Je respecte sa volonté de mettre cette histoire sur la place publique, il faut faire avancer la société sur ces questions. Il faut montrer que les agresseurs ne sont pas à l’abri », poursuit Éva Sas. Mais c’est surtout l’ajout d’un second témoignage, celui de Ninon Guinel, qui pourrait changer la donne. « Cela crée un faisceau d’indices à traiter et nous invite à agir de façon plus forte. »

Éva Sas insiste sur la nécessité de mieux former le personnel politique à ces sujets. Chose à laquelle le Cédis s’attelle depuis déjà plusieurs années. L’organisme mettait en place cette semaine plusieurs journées de formation à Lyon auprès de 150 élus Verts. Un évènement auquel l’agresseur présumé n’a pas participé, afin de lui éviter « une situation délicate ». Durant cette formation, un atelier baptisé « Prévenir les situations de harcèlement dans l’exercice de son mandat » était programmé, sans avoir attiré les foules. « Nous avons régulièrement des formations sur ces questions. Encore faut-il que les élus s’y inscrivent et participent », remarque Henri Arévalo. Ainsi, la prise en compte des violences sexuelles en politique progresse, mais demeure balbutiante, estime Éva Sas. « Je crois que cela change lentement. Mais s’il n’y avait pas toutes ces affaires et une pression constante mise sur les formations politiques, on retomberait dans les anciens travers. Les comportements sont hélas encore bien ancrés, il faudra beaucoup de coups de boutoir contre le système de domination patriarcal pour le renverser. »

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