En Afrique, la crise climatique bouleverse la vie autour des grands lacs

De retour d’une longue nuit de pêche, les pêcheurs de Senga Bay, au Malawi, tirent les bateaux sur la plage. La pêche n’a pas été bonne. - © Paul Boyer/Rémi Carton/Reporterre
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Pêche Climat MondeManque de poissons, tensions entre pêcheurs, lutte contre la surpêche... Autour des lacs du Malawi, les effets de la crise climatique bouleversent le quotidien des habitants. Dépendants de la pêche, ils craignent de ne plus trouver de poissons.
Lacs Malawi et Malombe (Malawi), reportage
Sur une étendue d’eau à perte de vue, les silhouettes des chaloupes sortent de la pénombre. Peu avant 6 heures du matin sur les rives du lac Malawi, troisième plus grand lac d’Afrique avec ses 29 600 km2, des centaines de pêcheurs reviennent d’une nuit de pêche mouvementée. Une fois sur la terre ferme, ils s’activent à la chaîne pour sortir le poisson saisi durant la nuit. À l’intérieur des embarcations, un maigre butin pour plus de dix heures passées sur le lac. Les visages sont crispés et les corps usés par cette énième nuit de labeur.

Le lac Malawi fait partie des zones géographiques les plus vulnérables de la planète face au changement climatique. L’augmentation drastique des températures, les périodes de sécheresse successives ainsi que les cyclones ont dégradé l’écosystème du lac et réduit la faune marine. Cette catastrophe fait planer un risque alimentaire dans un pays où 1,6 million d’habitants vivent et dépendent de l’économie de la pêche, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

Dans le village de Senga Bay, à 119 km de la capitale Lilongwe, accoudé à une pirogue colorée en rouge et blanc, Peta pêche sur le lac depuis dix-huit ans. « Je vois de mes propres yeux les effets du réchauffement climatique », confie-t-il amèrement. Au fil des ans, les pêcheurs doivent aller au large pour espérer rapporter quelque chose. « Il y a beaucoup trop de monde, avant il y avait plein d’arbres ici et pas autant de maisons », dit-il en désignant la côte.
À une centaine de mètres du lac, d’immenses étals de bois servent habituellement à sécher le poisson avant la vente. Presque tous sont vides, aucun poisson n’est disposé.

« Certains poissons sont devenus très rares »
La plupart des pêcheurs de Senga Bay ne travaillent pas à leur compte, mais sont employés à la journée par les propriétaires de bateaux. Ceux-ci récupèrent les gains des parties de pêche et distribuent les salaires aux pêcheurs qui sont partis sur leurs embarcations. Dauid Gomba est l’un d’eux. Depuis trois ans, il est le propriétaire de deux canots et emploie quotidiennement une vingtaine d’hommes.

Ce matin de mars, il devra se contenter de quelques centaines de sardines. « Certains poissons comme le chambo sont devenus très rares », peste-t-il, assis dans son bateau. Le chambo est indéniablement le plus célèbre poisson du lac, l’un des mets préférés des Malawites. Mais depuis quelques années, il se fait rare.

La quasi-disparition de ce mythique poisson inquiète Dauid Gomba sur la pérennité de son activité. Sans chambo, il ne pourra bientôt plus assumer les salaires de ses pêcheurs et les charges nécessaires pour partir au large. « Il faut faire une très longue distance pour en attraper. Cela coûte cher, car il faut davantage d’essence. »

Sur la plage, les pêcheurs poussent les embarcations pour les sortir de l’eau, non sans peine. Un vieil homme les observe, le regard grave. Il s’agit de James Masika, adjoint au chef du village de Senga Bay. Il est pleinement conscient de l’épée de Damoclès qui plane sur son village.
« Des villageois n’ont plus les moyens d’acheter du poisson »
« Le peu qui est pêché dans le lac se vend cher, regrette-t-il. Les villageois ne mangent que des légumes, ils n’ont plus les moyens d’acheter du poisson. » Le doyen craint que les générations futures ne puissent bientôt plus vivre de la pêche. Il tient à rappeler que le réchauffement climatique a déjà fait ses premières victimes.

Au milieu du lac Malawi, une frontière maritime sépare le Malawi du Mozambique voisin. Les pêcheurs malawites sont en concurrence avec les pêcheurs mozambicains. Depuis que le chambo se fait rare, jamais cette concurrence n’a été aussi féroce. « En pleine nuit, de violentes bagarres éclatent au milieu de l’eau entre pêcheurs, certains ont même été tués au large », dit James Masika.

Au lac Malombe, même constat
À 190 kilomètres au sud de Senga Bay, un deuxième lac, le lac Malombe, cristallise également les tensions autour de la surpêche. De seulement 2,5 mètres de profondeur, le niveau de l’eau se retire pendant les périodes de sécheresse. En 2016, le pays a déclaré l’état de catastrophe naturelle après une sécheresse de plus d’un an. Aujourd’hui, la survie du lac Malombe dépend du lac Malawi plus au nord, irrigué grâce à la rivière Shire.

La baie de Likala est l’un des principaux points de départ des bateaux de pêche du lac Malombe. C’est de là que sont partis Robert et Shawezi, deux quarantenaires qui pêchent depuis de longues années dans le lac. Comme leurs collègues du lac Malawi, inutile pour eux de lancer leurs filets près des côtes. Seul le milieu du lac Malombe regorge de poissons. « Aujourd’hui nous utilisons de grands filets, bien plus grands qu’autrefois, et pourtant on attrape moins de poissons », dit amèrement Shawezi.

« Lorsque la pêche est interdite, nous n’avons plus de travail »
De l’autre côté de la baie, Neverson Msusa, responsable de la pêche du district de Mangochi, scrute tel un justicier les bateaux de pêcheurs au large du lac Malombe. Ses équipes et lui sont mandatés par le gouvernement malawite pour lutter contre la surpêche.
Les agents ont commencé à reboiser les alentours avec des manguiers le long des rives, pour limiter l’érosion. Des actions de sensibilisation ont lieu dans les villages pour attirer l’attention sur les risques de la surpêche. Le gouvernement malawite a surtout interdit la pêche d’octobre à décembre, pour permettre la reproduction des poissons. Neverson Msusa est chargé de faire respecter cette interdiction en patrouillant à plusieurs sur ces lacs. Dans cette mission, ils peuvent compter sur le soutien financier et logistique de la FAO.

La taille des filets de pêche est également contrôlée, les filets aux mailles trop fines sont interdits. « En cas de saisie, ces filets sont brûlés juste ici », dit-il en montrant des restes de cordelettes carbonisées sur le sol. Lutter contre la surpêche n’est pas facile : « J’ai déjà été menacé. Chaque fois qu’un bateau passe près de notre rive, les pêcheurs nous lancent des pierres ».

Robert et Shawezi ont bien reçu « des conseils et des techniques » sur la manière de pêcher des poissons. Cependant, répète inlassablement Shawezi, « Nous pêchons pour survivre. Lorsque la pêche est interdite, nous n’avons plus de travail. » D’octobre à décembre, de nombreux pêcheurs bravent donc la loi et attrapent illégalement le poisson. Même s’ils la comprennent, Robert et Shawezi affirment ne pas participer à cette contrebande poissonnière, très répandue dans la région.
De retour dans la baie de Likala, une poignée de villageois aident les deux pêcheurs à décharger leur cargaison. Accroupis sur le sable, quelques adolescents démêlent minutieusement les filets. Impossible pour eux d’affirmer qu’ils resteront pêcheurs toute leur vie, comme leurs aînés. Avec le chambo, c’est toute une culture qui semble au seuil de l’extinction.