En Allemagne aussi, les déchets nucléaires s’accumulent sans solution fiable

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Déchets nucléairesAlors que l’accident mortel à Bure, la semaine dernière, montre la fragilité du projet d’enfouissement des déchets nucléaires, l’Allemagne se débat elle aussi avec ces rebuts. La solution naguère présentée comme excellente s’est révélée désastreuse.
- Berlin, correspondance
Alors que le drame de Bure rappelle les risques liés à l’enfouissement des déchets nucléaires, les Allemands ont décidé il y a quelques années, sous la contrainte d’un risque de catastrophe majeure, de faire machine arrière et d’évacuer un site où ils avaient entreposé 126.000 barils radioactifs.
Ce n’est pas encore le Titanic mais les Allemands veulent éviter que cela le devienne. L’ancienne mine de sel d’Asse, en Basse-Saxe, prend l’eau et pourrait bien, à terme, être noyée. Le problème est que depuis cinquante ans, on n’y exploite plus le chlorure de sodium, mais on y stocke les déchets radioactifs des plus anciennes centrales nucléaires allemandes. Un engloutissement contaminerait de façon désastreuse les nappes phréatiques alentour et pourrait rendre toute la région inhabitable.
Les infiltrations d’eau dans les parois de la saline ont atteint un tel point qu’un “désenfouissement” des déchets est devenu indispensable pour éviter la catastrophe. L’opération, extrêmement délicate, a commencé en 2010. Si elle témoigne d’une volonté politique de répondre aux exigences de la sortie du nucléaire allemande, rien n’a pour autant jamais été décidé sur le sort à long terme des déchets remontés. Car si le sel est soluble, la question du stockage des déchets nucléaires, elle, ne l’est toujours pas.
L’histoire d’Asse avec l’atome commence au début des années 1960. L’Allemagne se lance alors dans le nucléaire civil et découvre les vicissitudes du traitement des déchets d’uranium et de plutonium. La mine de sel, qui arrive en fin d’exploitation, est alors achetée par l’Etat, qui en fait un centre de recherche et d’expérimentation. L’ambition est la même que pour le projet Cigéo de Bure (Meuse), un enfouissement en haute profondeur, au-delà de 500 mètres.
Pendant une quinzaine d’années, les centrales allemandes ont ainsi pu déverser gratuitement leurs rebuts à Asse. 126.000 barils de déchets faiblement et moyennement radioactifs y ont pris place sur treize étages d’un dédale souterrain. Pour l’éternité, croyait-on.

L’Allemagne se félicitait de la réussite d’un tel projet. Le risque d’infiltration d’eau dans le sel ? Le secrétaire fédéral à la Science de l’époque l’assurait, ce risque pouvait “selon toute vraisemblance être écarté”. Pourtant, de mémoire d’habitant, l’exploitation de la saline avait cessé “parce qu’il fallait sans cesse pomper l’eau et lutter contre les fissures”.
Dès le début, la contestation citoyenne s’est organisé, mais ce n’est qu’en 2008 que le ministre allemand de l’Environnement, le social-démocrate Sigmar Gabriel, s’est emparé de la question, ouvrant la voie au démantèlement du site. Celui qui est depuis devenu vice-chancelier est natif de la région, forcément sensible à ses destinées.
Une série de révélations ont mis au jour l’instabilité du sol et l’existence de coulées radioactives dans les cavités. Le site a été classé parmi les plus sensibles du pays. Les rapports se sont multipliés pour en évaluer la dangerosité et établir le meilleur processus de décontamination.
A un projet de coffrage en béton jugé hasardeux, les autorités ont finalement préféré l’extraction des fûts, et leur stockage temporaire à quelques kilomètres de là, sur le site de Konrad. Coût estimé pour le contribuable allemand : entre cinq et dix milliards d’euros. Après une phase de sécurisation, les premiers barils sortiront de terre au plus tôt en 2033.
Les déboires allemands illustrent une nouvelle fois la difficulté à gérer l’aval de la filière nucléaire. Aujourd’hui, l’Allemagne dispose de trois sites de stockage : Asse, Konrad et Gorleben. Le premier doit donc être évacué, le deuxième est d’ores et déjà en sous-capacité, et le troisième, situé à proximité de l’Elbe, laisse craindre aux associations environnementales des fragilités d’ordre géologique. Dans ce dernier cas, les géants de l’énergie refusent de chercher une alternative, sous prétexte qu’ils ont déjà investi 1,6 milliard d’euros pour créer les infrastructures.

Pour tenter de trouver une solution globale, le Bundestag, le parlement allemand, a mis en place une commission qui doit remettre ses propositions en juin prochain. L’une d’entre elles est déjà connue. Elle suggère que les déchets radioactifs de l’époque nucléaire allemande devront obligatoirement rester sur le sol national. Reste à espérer qu’il ne s’effrite pas...