En Allemagne, des écologistes juchés dans des arbres luttent contre un projet d’autoroute

Durée de lecture : 7 minutes
Monde Luttes ForêtsDepuis le 1er octobre, dans la forêt de Dannenröder, en Allemagne, 2.000 policiers sont mobilisés pour détruire des cabanes construites par des militants écologistes. Ceux-ci veulent empêcher la construction d’une autoroute qui va détruire des centaines d’arbres.
- Dannenröder Wald (Allemagne), reportage
« Une voiture part vers Herrenwald ! » crie un coordinateur de la cuisine du camp central des activistes, situé en bordure du village de Dannenrod. « On va pouvoir ravitailler le front, il faut entrer en communication avec eux pour savoir exactement de quoi ils ont besoin », explique-t-il. En ce 1er octobre, environ 2.000 policiers y sont concentrés pour évacuer des constructions en bois et permettre la coupe des premiers arbres.
Durant les jours précédents, plusieurs centaines de personnes en provenance des villages et de villes alentour ont convergé vers la forêt de Dannenröder, à environ cent kilomètres au nord de Francfort, au cœur de l’Allemagne. Certaines se revendiquent d’Extinction Rebellion ou de Fridays For Future. Toutes sont déterminées à lutter contre la construction de l’A49. Si ce projet de tronçon autoroutier de 31 kilomètres aboutit, sa construction nécessitera l’abattage de cent hectares de forêt mixte (mêlant feuillus et conifères) —certaines zones sont vieilles de 300 ans.

Depuis un an, des militants occupent ces bois de manière éparse sur une amplitude d’environ dix kilomètres. À la suite d’une décision de justice du 24 septembre, la police a décrété le 1e octobre un « périmètre interdit » au nord de la zone occupée, pour expulser les cabanes construites par les activistes et commencer à défricher. Les dizaines de militants présents en permanence sur place appellent au soutien.
Conçu pour relier les agglomérations de Giessen et Cassel, le projet s’inscrit dans une politique du gouvernement allemand visant à améliorer « les flux de circulation et la connectivité dans la région ». Le coût total du projet, un partenariat public-privé sur trente ans, est estimé à 1,4 milliards d’euros. La Banque européenne d’investissement prête 264 millions d’euros dans le cadre des « Fonds européen pour les investissements stratégiques » destinés à « dynamiser la compétitivité européenne ». C’est la multinationale d’origine autrichienne Strabag qui a obtenu le marché de la construction.
Des écosystèmes forestiers riches et une zone de préservation de l’eau potable
Pour Michael, habitant de Marburg, une ville voisine, « tout ça c’est de l’argent public pour soutenir l’industrie et le capitalisme. Rien à voir avec l’intérêt général ! » Selon ce sexagénaire, « en Allemagne comme ailleurs, les politiques sont très proches de l’industrie, ce qui provoque des projets absurdes comme celui-ci ». Une coalition d’associations environnementales composée notamment de Bund et Nabu, les équivalents de France Nature Environnement et de la Ligue pour la protection des oiseaux, s’opposent aussi au projet. Elles l’accusent de « menacer de détruire des écosystèmes riches qui constituent une zone de protection d’espèces animales et de préservation de l’eau potable ». Dans cette région, l’eau souterraine — puisée sur des sites de captage pour le réseau d’eau potable — est bien préservée car les sols forestiers ne sont pas artificialisés.

La logistique de la lutte est gérée depuis le camp central de Dannenröd, légèrement en retrait du tracé de l’autoroute, où les militants sont installés en accord avec le propriétaire du terrain. Un chapiteau et une scène accueillent régulièrement des événements. Selon Johann, en poste au point info, « ce lieu fait aussi office de refuge pour des manifestants fatigués. Les personnes qui arrivent pour prêter main forte sont souvent accueillies ici ». Les nouveaux arrivants y prennent connaissance des tâches qu’ils peuvent effectuer pour soutenir la lutte. À 300 mètres de là, au sud de la zone menacée, une cinquantaine de personnes construisent, encore maintenant, des barricades et des cabanes dans les arbres pour empêcher les travaux. Cette multitude de cabanes et de plateformes en hauteur sera difficile à faire évacuer et à détruire pour les forces de l’ordre, estiment les militants.
2.000 policiers sont mobilisés pour évacuer des constructions en bois et permettre la coupe des premiers arbres
15 h 30. Le convoi de ravitaillement va partir vers Herrenwald, à dix kilomètres au nord du camp central de Dannenröd. Six militants vérifient que les véhicules sont équipés d’un gilet jaune, d’un triangle de signalisation et d’un kit de survie : « Pour nous empêcher de nous rendre dans la zone, les policiers contrôlent massivement, et immobilisent les voitures si la moindre réglementation n’est pas respectée. » Ils roulent sur quelques kilomètres avant de se garer à Stadtallendorf, le village le plus proche de la zone de coupe, pour éviter d’être arrêtés par la police. Des patrouilles et un hélicoptère surveillent les lieux.

Le groupe, composé de Michaël et de cinq autres personnes, âgés de 20 à 30 ans, met environ deux heures à parcourir le kilomètre qui les sépare du camp le plus proche de la zone où ils doivent acheminer la nourriture. Ils passent par la forêt et doivent régulièrement se mettre à terre pour éviter d’être repérés par la police. « Eh ben, c’est pas trop tôt ! », rigolent les militants sur place en voyant arriver le convoi, vers 18 h. L’ambiance est plutôt conviviale, mais la fatigue se lit sur les visages.
« C’est difficile de croire qu’ils détruisent la nature pour des raisons aussi absurdes. Le gouvernement ne cesse de dire qu’il s’engage pour le climat et la biodiversité »
Non loin de là, des centaines de policiers encadrent la « zone interdite ». La presse est invitée à se rendre à un endroit précis. Toute la journée, des petits groupes de militants ont réalisé des actions de blocage de chantier en faisant des sit-in ou en s’accrochant à des arbres.
17 h 30. Des militants s’assoient et s’accrochent les uns aux autres sur un sentier forestier pour bloquer l’avancée d’un véhicule de la police destiné à la destruction des cabanes. Le face à face dure de longues minutes. Les activistes chantent des chansons à destination des forces de l’ordre, les incitant à cesser leur mission.
Vers 20 h, les autorités font demi tour et escortent les engins de destruction. Martine, l’une des bloqueuses, estime que les militants ont très fortement retardé les expulsions et les coupes d’arbre. Elle espère que la pression de la population va faire cesser l’action des forces de l’ordre.

En contournant les policiers, certains activistes parviennent à atteindre la zone interdite pendant la nuit. Ils découvrent alors la zone déforestée. Julian, l’un d’entre eux, est médusé : « Même en le voyant, c’est difficile de croire qu’ils détruisent la nature pour des raisons aussi absurdes. On est en 2020, le gouvernement ne cesse de dire qu’il s’engage pour le climat et la biodiversité. Voilà les faits. Et au nom de quoi ? Le dynamisme des territoires ? La population ne veut plus de ça. »
[10:24] Ein Cherrypicker am Herrenloswald pic.twitter.com/EhE6W2LnwW
— Danni-Ticker (@DanniTicker) October 2, 2020
La police a progressé lentement et détruit une habitation située dans un arbre. Elle a aussi encadré le travail de bûcherons qui ont pu couper environ un hectare de forêt. Quatre personnes ont été arrêtées par la police. Trois d’entre elles parce qu’elles étaient dans la cabane détruite et une autre parce qu’elle avait escaladé un arbre qui devait être coupé.

Le lendemain, vendredi 2 octobre, la police a recommencé sa progression. En fin d’après-midi, trois plateformes ont été détruites selon un activiste. Les militants ignorent pour le moment si la police prévoit d’expulser toutes les habitations pendant cette opération. Si tel est le cas, cela pourrait durer plusieurs semaines. Andréa est retraitée et habitante de la région. Engagée dans la lutte par le biais de son église protestante, elle estime que « si suffisamment de personnes se mobilisent, le gouvernement sera obligé de faire machine arrière ».