Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

ReportageÉnergie

En Allemagne, le débat sur l’énergie s’aiguise entre citoyens et grande industrie

L’Allemagne est un des pays les plus engagés dans la transition énergétique. Mais cette option est remise en cause par un projet de loi qui favoriserait la grande industrie. Une nouvelle manifestation a lieu à Berlin ce samedi 10 mai. Décryptage du débat.


-  Berlin, correspondance

Des milliers de manifestants devraient parcourir les avenues de Berlin ce samedi 10 mai. L’enjeu : une réforme législative des énergies renouvelables, qui frapperait les ménages tout en allégeant la charge sur les industries les plus polluantes.

Le Bundestag, le parlement allemand, examine en effet en ce moment un projet de loi modifiant le tarif de rachat de l’énergie issue du solaire. Il s’agit pour le gouvernement de limiter les frais liés au volume croissant d’électricité photovoltaïque produit par les foyers et les petites entreprises qui ont installé des panneaux solaires sur leur maison. Si elle était adoptée, la réforme prendrait effet au 1 août et appliquerait une taxe supplémentaire de 50 % à ces petits producteurs (soit 6,24 centimes par kilowatth-heure). De leur côté, les industries à forte consommation d’énergie ne paieraient que 15 %.

Les manifestants entendent protester contre ce traitement inégalitaire, et contre la réforme qui menace la transition énergétique en Allemagne. Pour bien comprendre, il faut en retracer rapidement l’histoire.

L’Allemagne est le pays qui a le plus avancé en Europe sur la question de la transition énergétique. Elle a été également le premier pays à s’engager volontairement depuis dix ans dans une sortie du nucléaire sous la pression d’une société civile qui a toujours massivement rejeté le recours à cette énergie. Dès mars 2011, au lendemain de Fukushima, l’Allemagne a arrêté ces huit réacteurs les plus anciens, soit 40 % de la production d’électricité nucléaire. Seuls 9 réacteurs restent en fonctionnement et doivent cesser de fonctionner d’ici 2022.

Andreas Rudinger, chercheur à l’IDDRI (Institut du développement durable et des relations internationales de SciencePo) explique que l’arrêt anticipé des huit centrales les plus anciennes a ainsi été compensé en 2011 par une augmentation de la production d’électricité renouvelable et une réduction des exportations d’électricité. Durant cette première phase, il n’y a pas eu besoin d’un recours accru à la production d’origine fossile.

Ce tournant énergétique (Energiewende) est issu du gouvernement de coalition SPD (parti social-démocrate) et Verts qui a dirigé le pays jusqu’en 2005. Ce projet visait à substituer les énergies renouvables aux énergies fossiles, à améliorer l’efficacité énergétique, et à sortir définitivement du nucléaire à l’horizon 2022.

Le principal outil pour faciliter la transition énergétique a été la loi EEG (Erneuerbare-Energien-Gesetzes : loi sur les énergies renouvelables), adoptée en 2000, qui garantit aux producteurs d’énergies renouvelables le rachat de leur production à un prix au-dessus du marché pendant vingt ans. Le surcoût est réparti sur les consommateurs et les petites entreprises, tandis que les grandes entreprises fortement consommatrices d’électricité (industrie automobile, production d’acier) ont réussi par un lobbying intensif à obtenir des rabais afin de maintenir leur compétitivité.

Cette loi a conduit à une augmentation du prix de l’électricité, ce qui lui est reprochée par les partisans de la croissance économique, qui y voient un risque pour la compétitivité de l’économie allemande. Mais elle a surtout permis un développement impressionnant de la filière des énergies renouvelables, solaire et éolien et a impulsé une véritable révolution technique. Elle s’est majoritairement développée au travers d’initiatives citoyennes et de petites entreprises se lançant dans le secteur afin de produire de l’énergie propre.

Les quatre grands producteurs d’électricité (RWE, E.ON, Vattenfall, EnBW), qui tiraient leurs profits essentiellement de l’exploitation de l’énergie nucléaire et d’une production de masse, ont vu leur modèle économique s’affaisser. Ils tentent de reprendre la main, par exemple en développant des parcs d’éoliennes gigantesques en mer du Nord ou des centrales de biomasse, mais surtout en multipliant les centrales à charbon qui leur assurent un bon rendement financier. Problème : elles sont extrêmement polluantes et émettent en masse du CO2.

- Manifestation à Berlin en mars 2014 -

Quant aux grands parcs éoliens de la mer du Nord, ils doivent être reliés par des lignes à haute tension aux régions du sud, ce qui entraîne un fort impact sur les paysages, génèrent des dangers pour la santé des habitants situés aux alentours de ces autoroutes de l’électricité du fait des ondes électromagnétiques, et menacent les les forêts de l’ancienne RDA de coupes à blanc.

Un autre modèle, basé sur une production décentralisée et locale, et initié par une société civile depuis longtemps très engagée sur les questions environnementales, a pu se développer grâce à la loi EEG. Cette loi a permis l’essor d’alternatives concrètes qui montrent que les solutions existent pour sortir du nucléaire et des énergies fossiles. Selon la journaliste Claire Stam, « les coopératives énergétiques fournissent 47 % de la production d’électricité d’origine renouvelable, contre 12 % pour les énergies conventionnelles. Le nombre de coopératives énergétiques ne cesse d’augmenter. Le pays en compte actuellement 888 ».

Le nouveau gouvernement de coalition dirigée par Angela Merkel s’apprête à modifier la loi EEG. Celle-ci est jugée entraîner des coûts trop importants. Or, le prix mondial de l’électricité a baissé du fait de l’exploitation des gaz de schiste aux Etats-Unis, qui leur permet d’exporter du charbon, dont le prix baisse. Le différentiel à compenser avec les énergies renouvelables a donc fortement augmenté et les industriels allemands mettent la pression sur le gouvernement pour qu’il stoppe ou réduise l’aide aux énergies renouvelables.


Compléments d’info :

. L’analyse de l’industrie solaire (en anglais).
. Un site d’études, Energy Transition
. "La transition énergétique, ça marche.

📨 S’abonner gratuitement aux lettres d’info

Abonnez-vous en moins d'une minute pour recevoir gratuitement par e-mail, au choix tous les jours ou toutes les semaines, une sélection des articles publiés par Reporterre.

S’abonner
Fermer Précedent Suivant

legende