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Monde

En Amérique du Sud, la vie bouleversée par le manque d’eau

Confluent entre les fleuves Paraná et Paraguay à Itati, dans la province de Corrientes en Argentine 

L’état d’urgence hydrique est en vigueur depuis deux mois dans certaines régions du Brésil, de l’Argentine et au Paraguay. Pêche à l’arrêt, insécurité alimentaire, coupures d’électricité pour cause de barrages en berne, exports freinés... Cette sécheresse historique bouleverse le quotidien.

São Paulo (Brésil), correspondance

En ce début de printemps austral, les agriculteurs du centre-ouest brésilien attendent désespérément les premières pluies. Ces derniers jours, d’impressionnantes tempêtes de poussière ont balayé la région. Elles ont soulevé à plus d’un kilomètre de hauteur la terre asséchée et la suie des graves incendies qui ont touché ces régions en août et en septembre. Ce phénomène rarissime rappelle celui du « Dust bowl », un « bassin de poussière » qui poussa 3,5 millions d’Américains à fuir le Midwest dans les années 1930. Comme les fermiers des Grandes Plaines à l’époque, les producteurs de canne à sucre brésiliens ont l’habitude de pratiquer le surlabourage, laissant une couche de terre friable en proie aux vents. L’Amérique latine subit de plein fouet un sévère manque d’eau. Dans certaines régions du Brésil, de l’Argentine et au Paraguay, l’état d’urgence hydrique a été déclaré [1].


En plus de la sécheresse, les champs de café, de canne à sucre, et d’oranges, dont le Brésil est le premier producteur mondial, ont subi des gelées en juin et en juillet, puis des incendies en août et en septembre. Les mauvaises récoltes aggravent l’inflation, alors que 19 millions de personnes souffrent de la faim. Le prix du sucre a bondi de 27 % en six mois.

Le commerce fluvial et la production d’électricité au ralenti

Le niveau du fleuve Paraná, artère économique régionale, est en baisse depuis 2019. Certaines portions du fleuve et de ses affluents ne sont plus navigables depuis le mois d’août. La production agricole destinée à l’exportation, en particulier le soja, doit donc être transportée par voie terrestre vers les ports de Buenos Aires, Montevideo et Santos. Le Paraguay, sans accès à la mer, dépend à 96 % des voies fluviales pour ces exportations. Les autorités y envisagent le recours à des explosifs pour creuser le lit du fleuve Paraguay, afin d’éviter une paralysie du commerce extérieur lors des prochaines décrues.

80 % des exportations de l’Argentine sont aussi transportées par voie fluviale. Dans le bassin du Paraná, trois mille familles survivent d’aides octroyées par le gouvernement pour compenser l’interdiction de la pêche en eau douce à cause de la sécheresse. Au Brésil, les barrages hydroélectriques fonctionnent au ralenti et le risque de coupures totales pendant les pics de consommation pourrait pousser le gouvernement à rationner le courant d’ici à la fin de l’année.

Berge incendiée du fleuve Paraíba do Sul, au milieu duquel apparaissent des bancs de sable, Campos de Goytacazes, été 2021. © Pierre Le Duff/Reporterre

Le phénomène climatique La Niña — pendant opposé de El Niño — assèche le climat au printemps et en été dans le sud-est du continent. Il a été particulièrement marqué l’an dernier et le déficit de précipitations s’est accumulé pendant l’hiver, toujours sec dans ces régions non littorales.

Deux millions d’habitants soumis à un rationnement de l’eau courante

« Cela explique la sécheresse météorologique », dit à Reporterre Christopher Carlos Cunningham, du Centre brésilien d’alerte et d’observation des désastres naturels. « Mais quand il n’y a plus d’eau dans les nappes phréatiques, on parle de sécheresse hydrologique, et le facteur de la consommation et du bon usage de l’eau entre en compte. » Dans l’État de São Paulo, premier producteur agricole du pays, au 1er octobre, deux millions d’habitants étaient soumis à un rationnement de l’eau courante. Un nouveau cycle de La Niña est attendu pendant la saison humide. « Si les nappes ne sont pas suffisamment rechargées, nous allons vivre la même sécheresse à l’hiver 2022 », prévient le météorologue.

« La déforestation en Amazonie réduit le flux de vapeur d’eau vers le centre du Brésil et l’usage du sol par l’agriculture altère le cycle hydrologique du Cerrado, où naissent la plupart des fleuves brésiliens », pointe le physicien Paulo Artaxo. Il a participé à l’élaboration du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), qui prévoit un assèchement du sol dans toute la région centrale de l’Amérique du Sud.

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