En Norvège, une scientifique française lutte contre le pétrole

Émilie Gios (à droite) et deux de ses collègues à Trondheim le 5 décembre 2022. - © Scientific Rebellion
Émilie Gios (à droite) et deux de ses collègues à Trondheim le 5 décembre 2022. - © Scientific Rebellion
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Luttes MondeUne chercheuse français a été arrêtée en Norvège après une action de désobéissance civile. Elle appelle la communauté scientifique à s’engager contre l’industrie fossile et l’inaction des gouvernements.
Émilie Gios, scientifique française, été arrêtée le lundi 5 décembre à Trondheim, en Norvège, pour avoir mené une action de désobéissance civile demandant la fin de toute nouvelle prospection pétrolière dans les eaux territoriales norvégiennes. Elle est membre de Scientist Rebellion — une organisation internationale de scientifiques qui souhaite sensibiliser au réchauffement climatique en s’engageant dans la désobéissance civile non-violente. Elle témoigne dans Reporterre.
Reporterre— Dans quel contexte avez-vous été arrêtée, le 5 décembre, à Trondheim ?
Émilie Gios— J’ai participé à une action de désobéissance civile avec plusieurs membres du collectif Scientist Rebellion Norvège, dans le but de protester contre la prospection pétrolière dans les eaux territoriales norvégiennes. À quatre scientifiques, nous avons bloqué une route très empruntée à proximité de l’université norvégienne de sciences et de technologie à Trondheim, dans le centre du pays. Il était 8 h du matin, les températures étaient négatives. Il neigeait. Nous nous sommes répartis sur la largeur de la chaussée, avons enfilé nos blouses de laboratoire, déployé nos banderoles, et nous nous sommes assis.
Le blocage a duré vingt minutes. Nous l’avons interrompu simplement pour laisser passer un camion de pompiers. La police est arrivée entre-temps. Deux d’entre nous, moi incluse, sommes retournés sur la route, refusant d’obéir aux ordres des agents qui nous demandaient d’arrêter. Nous avons été embarqués, et nous avons passé près de quatre heures en garde à vue au poste de police de Trondheim. Nous risquons d’être poursuivis pour entrave à la circulation routière et refus d’obtempérer.

En quoi consiste le mouvement Stopp oljeletinga ! (« Stop aux prospections pétrolières »), que vous souteniez par cette action ?
C’est une campagne écologiste qui vise à contraindre, par la désobéissance civile, le gouvernement norvégien à arrêter immédiatement toute nouvelle activité pétrolière. Comme Dernière rénovation en France ou Just Stop Oil en Angleterre, Stopp oljeletinga ! fait partie du réseau international A22, mis en place cette année. Ce qui explique des modes d’actions communs, tels que les blocages de routes, la perturbation d’évènements sportifs ou les jets de soupe sur des œuvres d’art.
Stopp oljeletinga ! a deux demandes précises :
- La première, c’est que le gouvernement norvégien arrête immédiatement de délivrer des nouveaux permis pour l’exploration de pétrole et de gaz et le développement de nouvelles infrastructures pétrolières sur le territoire norvégien.
- La deuxième : que l’exécutif développe un plan détaillé pour une transition professionnelle juste pour les travailleurs du secteur pétrolier.

Cette pression est nécessaire, car la Norvège est le plus gros producteur de pétrole en Europe de l’Ouest, et de loin. Elle continue d’octroyer de nouveaux permis d’exploration et de développer des infrastructures. Le gouvernement a bien annoncé qu’il ne proposerait pas de nouveaux permis de prospection pétrolière dans des zones vierges ou peu explorées d’ici 2025, mais n’exclut pas d’attribuer des licences pétrolières dans les zones dites matures. Il ne va pas assez vite, et pas assez loin pour assurer un avenir désirable sur cette planète et pour protéger ses citoyens.
Vous êtes chercheuse dans un institut norvégien de recherche en écologie…
C’est vrai. Depuis mai 2022, je suis en post-doctorat en Norvège, où j’étudie le rôle des microbes dans les tourbières, ces zones humides qui contiennent énormément de carbone.
Pourquoi participer vous-même à une action de désobéissance civile ?
Cela fait des décennies que les scientifiques dénoncent l’absence de prise en compte sérieuse de l’urgence de la situation climatique. Nous savons aujourd’hui que si le monde veut rester en dessous de la limite de + 1.5 °C fixée par l’accord de Paris en 2015, il ne peut y avoir de nouveaux investissements dans les énergies fossiles. Sans cela, les conséquences dramatiques du changement climatique vont continuer de croître.

Malheureusement, tous ces rapports, toutes les pétitions et toutes les tribunes produites par des milliers de scientifiques, appelant à l’action climatique, n’ont pas eu d’effet suffisant. La crise climatique n’est pas traitée avec assez de sérieux, que ce soit par les personnes au pouvoir ou par les médias. Ce n’est pas un nouvel article scientifique qui va changer les choses.
C’est parce que je suis scientifique que j’ai participé à cette action de désobéissance civile. Les chercheurs sont bien placés pour organiser une rébellion. Les communautés scientifiques sont riches de connaissances et d’expertise. Elles sont interconnectées à travers le monde. Elles sont proches des décideurs publics. Nous avons une légitimité implicite auprès du public. Bref, nous sommes dans une position idéale pour faire passer des messages. Ce n’est jamais confortable de s’asseoir sur une route, sous la neige. C’est un acte désespéré. Mais avons-nous d’autre choix ? Il faut persévérer, et je n’exclus pas de recommencer.