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ReportageCOP26

Entre pays riches et pauvres, la discussion financière s’enlise

La COP26 à Glasgow, en Écosse.

Les États riches devaient augmenter l’aide aux pays les plus vulnérables au changement climatique. Ils ne l’ont pas fait. C’est un des points centraux de la négociation de la COP26.

Glasgow (Écosse), reportage

Scène assez improbable. Alors que la COP26 a été épinglée pour son manque d’ouverture à la société civile, voilà que l’on assiste, lundi 8 novembre, à une manifestation d’activistes du climat à l’intérieur même des bâtiments officiels. Sous l’œil attentif de trois policiers, une dizaine de militants d’Act Alliance, une coalition mondiale de 145 églises luttant pour améliorer les conditions des pays du Sud, s’époumonent en anglais : « Financez les pertes et préjudices, maintenant ! »

De quoi s’agit-il ? Afin d’aider les pays les plus vulnérables à lutter contre le changement climatique, les pays riches se sont engagés, il y a douze ans, à mettre la main au portefeuille en s’appuyant sur deux stratégies. La première, « l’atténuation », est la solution la plus simple : réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. La deuxième, « l’adaptation », consiste à bâtir des sociétés plus résilientes face à la crise environnementale (en construisant par exemple des digues contre les inondations ou en faisant le choix de cultures plus résistantes à la sécheresse).

Dans ce cadre-là, les « pertes et préjudices » sont les événements qu’il n’est plus possible d’atténuer ou pour lesquels toute forme d’adaptation est trop tardive. En pratique, il s’agit des dommages résultant d’événements soudains, comme des cyclones, ainsi que des processus à évolution lente, telle l’élévation du niveau de la mer. D’après The Loss and Damage Collaboration, les coûts économiques de tels dégâts, qui touchent particulièrement les petits pays insulaires, sont estimés entre 290 et 580 milliards de dollars par an d’ici 2030. Une somme astronomique donc, qui ne comporte même pas les pertes non chiffrables comme la disparition de la biodiversité, des traditions et monuments culturels ou tout simplement de vies humaines.

« Un coup de poker politique de la part de l’Écosse »

Jusqu’ici, les pays développés, qui sont pourtant historiquement responsables du dérèglement climatique, ont refusé de créer une source de financement spécifique pour ces dommages. Deux textes officiels, le Mécanisme international de Varsovie, signé en 2013 à la COP19, suivi du Réseau de Santiago, entériné à la COP25 en 2019, auraient dû accélérer l’aide aux pays les plus vulnérables. Problème, les pays riches se sont jusque-là contentés de mettre en commun leurs pratiques de gestion des risques et d’approfondir leurs connaissances de ces phénomènes climatiques extrêmes. « Cela reste très conceptuel, il n’y a pas eu d’accord formel et aucun moyen n’a été alloué. Cela reste une ligne rouge pour beaucoup de pays développés », juge Lola Vallejo, directrice du programme climat à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).

Entre ces deux sommets sur le climat, la COP21 n’a en rien amélioré la situation. L’article 8 de l’Accord de Paris, qui mentionne les pertes et préjudices, a été rédigé de manière à ce que les pays riches n’aient pas de comptes à rendre. Les États-Unis, qui représentent pourtant 15 % des émissions mondiales de carbone, ont ainsi particulièrement œuvré à la rédaction d’un article non contraignant. La raison ? « Ils vivent dans une société très judiciarisée, ils ont donc très peur de s’exposer à des procès », explique Lola Vallejo.

Lors de la COP26 à Glasgow, en Écosse. © Pierre Larrieu/Reporterre

Ainsi, les années ont passé et les pays insulaires n’ont pas vu l’ombre d’une annonce concernant leurs pertes et préjudices. Jusqu’au lundi 1er novembre. Le deuxième jour de la COP, la Première ministre écossaise Nicola Sturgeon a brisé un tabou en annonçant qu’elle allait financer, à hauteur de 1 million de livres (1,3 million d’euros), les pertes et préjudices des pays du Sud. « Ça peut paraître une goutte dans l’océan, mais c’est un coup de poker politique de la part de l’Écosse. Elle a montré que même une nation qui n’est pas un État pouvait prendre des décisions sur le sujet », observe Fanny Petitbon, de l’organisme Care. Mais il reste encore du chemin à faire. En cette journée concernée aux « pertes et préjudices », John Kerry, l’envoyé spécial des États-Unis pour le climat, a ainsi envoyé un tweet vantant les financements étasuniens en termes « d’adaptation ».

Quant à l’Union européenne, une source diplomatique explique qu’elle ne souhaite pas non plus créer un budget particulier. « Les pays riches se défendent en disant qu’ils ont déjà mis en place des financements qui rentrent dans les pertes et préjudices via l’humanitaire », souligne Armelle Le Comte, d’Oxfam. D’après les ONG, le bloc européen serait cependant en train de se fissurer sur cette question, dans le bon sens du terme. Le Danemark serait notamment enclin à financer les pertes et préjudices. La France pourrait se laisser convaincre.

« Si aucune décision n’était prise, ce serait vraiment très triste pour nous »

À la COP26, le débat monte. « À la base, c’était un minuscule point à l’agenda, qui ne devait être traité que d’un point de vue technique. Grâce à une énorme mobilisation des pays du Sud et de la société civile, c’est devenu un sujet extrêmement politique », dit Fanny Petitbon, de l’organisme Care. Les pays insulaires risquent pourtant d’avoir du mal à peser dans la balance. Et pour cause : la plupart sont absents en raison des problèmes liés au Covid-19 ou du prix du logement à Glasgow. « Je trouve dommage qu’il n’y ait pas plus de présence de ces acteurs-là au sein de la COP. C’est une COP très froide », a jugé Laurence Tubiana, négociatrice de l’Accord de Paris.

Ulcérés par le manque d’action, certains pays insulaires comme Antigua-et-Barbuda, un État des Antilles, et Tuvalu, un micro-État polynésien, ont décidé de passer à la vitesse supérieure, en annonçant la création d’une commission des petits pays insulaires. L’objectif ? Explorer les pistes juridiques possibles pour forcer les États développés à payer. Même si leur demande n’aboutit pas, « avoir des pays qui risquent de disparaître devant des juridictions internationales, c’est un symbole extrêmement fort. Cela pousse les pays développés dans leurs retranchements », analyse Armelle Le Comte. Sans arriver à cette situation, les pays les plus vulnérables espèrent encore que la question des pertes et préjudices figurera dans la « décision chapeau » de la COP, le texte politique final. En conférence de presse, la vice-ministre pour l’Environnement de la République dominicaine, Milagros De Camps, a prévenu : « Si aucune décision n’était prise concernant les pertes et préjudices, ce serait vraiment très triste pour nous. Il faudrait que des discussions aient lieu à ce sujet immédiatement après la COP. » Son pays, lui, est menacé par des tempêtes de plus en plus violentes chaque année.

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