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ReportageCOP26

À la COP26, la Coupe du monde au Qatar fait son greenwashing

Le stand du Qatar à Glasgow, mardi 9 novembre.

À Glasgow, le Qatar use de son pavillon pour promouvoir la Coupe du monde de football « écologique » qu’il accueillera fin 2022. Pourtant, la construction pharaonique des infrastructures et les travailleurs ayant payé de leur vie ces travaux font douter de la réalité de cette communication verte.

Glasgow (Écosse), reportage

À la COP26, la Coupe du monde de football au Qatar s’est vêtue d’un maillot vert. Dans l’enceinte de la Scottish Event Campus, qui abrite le sommet international pour le climat, le pavillon en bois occupé par l’émirat est une ode à la grande messe du football, prévue en novembre et en décembre 2022. Des écrans numériques géants vantent « la première Coupe du monde neutre en carbone ». Les images qui défilent montrent des ouvriers très heureux de travailler sur les chantiers, ou des Qataris ravis de se rendre au stade en trottinette électrique. Dans la pièce, des maquettes représentant les huit stades « durables » bâtis pour la compétition sont exposées sous verre.

« Bien sûr que la Coupe du monde 2022 a toute sa place à la COP26 ! » assure à Reporterre Orjan Lundberg, « expert développement durable » au sein du Supreme Committee for Delivery & Legacy, l’entité responsable de superviser les constructions et infrastructures en projet pour la compétition. L’homme, en costume, apparaît parfois sur les vidéos de promotion qui tournent en boucle derrière lui. Il s’apprête à donner une conférence sur le thème du changement climatique, durant laquelle il louera les technologies utilisées pour la compétition. Notamment des stades vendus comme écolos, comme le Ras Abu Aboud de Doha, entièrement démontable et transportable, car construit à partir de conteneurs.

« Vous savez, au-delà des stades, cette compétition a quelque chose de révolutionnaire pour le Qatar, nous dit-il, enthousiaste. Grâce à elle, nous avons développé le transport public, en construisant notamment le métro de Doha. Nous avons développé des solutions d’énergie renouvelable partout où cela était possible. Nous créons des parcs. Nous compenserons toutes les émissions de gaz à effet de serre que nous ne pourrons éviter [le Qatar n’a jamais précisé comment il s’y prendrait]. En dix ans, le pays a été durablement bouleversé et a largement progressé dans les solutions à faibles émissions de carbone. »

Le Qatar est le pays au monde qui rejette le plus de CO2 par personne dans l’atmosphère, avec 37 tonnes 

Le tableau dépeint par M. Lundberg est aussi propret que le pavillon du Qatar. Mais dans le petit pays de la péninsule arabique, la réalité serait pourtant bien moins idyllique. Voire carrément sale. « L’idée parfois défendue d’une Coupe du monde totalement écologique est avant tout une action de communication : le Mondial 2022 sera, au contraire, profondément antiécologique », prévenait Gilles Paché, professeur en sciences de gestion à l’université d’Aix-Marseille, interrogé en mars 2021 par Reporterre.

Le Qatar est le pays au monde qui rejette le plus de CO2 par personne dans l’atmosphère, avec 37 tonnes par habitant en 2017. La moyenne française se situe à 5,2 tonnes par habitant (mais 11,5 tonnes si l’on tient compte des émissions importées). Et encore, ce chiffre pourrait être sous-estimé, puisque, selon une enquête publiée en novembre 2021 par le Washington Post, le Qatar n’a pas déclaré ses émissions de gaz à effet de serre depuis 2007. « Avec ses villes au milieu du désert, le Qatar est un miroir grossissant des maux de notre société en matière de gestion des ressources, poursuivait Gilles Paché. Dans un espace réduit, ce pays concentre toutes les dérives d’une société du spectacle, des dérives consuméristes. »

Une critique persistante, apparue dès l’attribution du Mondial, provient aussi « des conditions météorologiques inadaptées pour la pratique du football de très haut niveau », expliquait le professeur. Habituellement, les Coupes du monde sont programmées, tous les quatre ans, entre juin et juillet. Or, la température extérieure au Qatar peut alors atteindre 45 °C, voire plus. La Fifa (Fédération internationale de football association) a donc déplacé la Coupe du monde en novembre et décembre, au moment où les températures avoisinent, au minimum, les 25 °C.

Orjan Lundberg, « expert développement durable » au sein du Supreme Committee for Delivery & Legacy, l’entité responsable de superviser les constructions et infrastructures en projet pour la Coupe du monde. © Pierre Larrieu/Reporterre

Des systèmes de climatisation géants ont quand même été installés dans chacun des stades, pour éviter que les joueurs et les spectateurs ne suffoquent en cas de fortes chaleurs. Cette information nous a été confirmée par Orjan Lundberg. L’homme assure toutefois que, « grâce à l’arrangement trouvé par la Fifa pour jouer en hiver, les climatisations ne devraient pas servir pendant la Coupe du monde ». Mais « elles seront effectivement utiles pour permettre la pratique d’autres compétitions à d’autres périodes de l’année », reconnaît-il.

Plus de 6 500 ouvriers sont morts au Qatar depuis que le pays a obtenu l’organisation de la Coupe du monde

Quant aux travailleurs, que l’émirat se vante jusqu’à Glasgow de « faire passer en premier », un grand nombre d’entre eux ont perdu la vie sur les chantiers. Plus de 6 500 ouvriers originaires d’Inde, du Pakistan, du Népal, du Bangladesh et du Sri Lanka sont morts au Qatar depuis que le pays a obtenu l’organisation de la Coupe du monde 2022, il y a dix ans. Ce chiffre a été révélé le 23 février par The Guardian, qui a recoupé les données des gouvernements de ces pays, principaux pourvoyeurs de main-d’œuvre au Qatar. Le nombre réel de morts serait même supérieur, puisque les données d’autres pays, comme les Philippines ou le Kenya, qui comptent de nombreux ressortissants travaillant au Qatar, n’ont pas été recueillies.

« La Coupe du monde au Qatar est un immense cimetière », disait à Reporterre Nicolas Kssis-Martov, journaliste à So Foot et auteur du livre Terrains de jeux, terrains de luttes (éditions de l’Atelier, 2020). Selon The Guardian, trente-sept morts seraient directement imputables à l’édification ou la rénovation de huit stades. Mais comme l’a souligné M.Lundberg, les chantiers ne se limitent pas aux enceintes sportives. Depuis 2010, année de l’attribution de la Coupe du monde, le Qatar bâtit des aéroports, des routes, son premier réseau de métro ou encore des hôtels, projets inhérents à l’organisation du mondial. L’émirat érige également de toutes pièces une nouvelle ville, Lusail, d’une capacité d’accueil de 250 000 habitants. Le journal britannique juge « probable » qu’une grande partie de ces morts soient liées à ces grands projets.

« Depuis 2010, le Qatar a considérablement amélioré les normes de bien-être des travailleurs en adoptant plusieurs réformes de son Code du travail [1], et il faut regarder les raisons de ces décès, rétorque M. Lundberg. Beaucoup de ces ouvriers sont morts naturellement. »

En juillet 2019, une étude publiée par le Journal de la cardiologie, montrait pourtant le lien entre des morts causées par des accidents cardiovasculaires et les effets de l’exposition prolongée des ouvriers aux fortes chaleurs. Elle prouvait la « relation entre l’exposition à la chaleur et la mort de plus de 1 300 travailleurs népalais entre 2009 et 2017 ».

Cette étude était corroborée, en août dernier, par un rapport publié en août dernier par Amnesty International, intitulé Fauchés dans la fleur de l’âge. L’ONG avait examiné dix-huit certificats de décès délivrés par le Qatar entre 2017 et 2021 ; et enquêté plus précisément sur la trajectoire de six d’entre eux. Résultat : tout portait à croire qu’ils étaient morts en étant exposés aux fortes chaleurs… mais sans avoir bénéficié d’un examen post-mortem du gouvernement qatari pour le prouver.

« Qui veut encore taper le ballon à l’ombre de ces invisibles pyramides de cadavres ? » 

« Est-il sérieusement possible de tolérer que des milliers de personnes crèvent de chaud ou d’accident uniquement pour que se tienne dans les temps une compétition de football ? » s’insurgeait auprès de Reporterre Nicolas Kssis-Martov, qui s’est rendu au Népal dès 2014 et a constaté que des morts revenaient du Qatar « tous les jours ». « On parle là de milliers de cadavres entassés sous les yeux du football mondial. Qui veut encore taper le ballon à l’ombre de ces invisibles pyramides de cadavres ? » écrivait-il aussi dans So Foot.

Le sélectionneur de l’équipe de France, Didier Deschamps, en conférence de presse jeudi 18 mars.

À la suite de l’enquête de The Guardian, plusieurs équipes internationales de football, comme la Norvège, l’Allemagne ou les Pays-Bas, ont affiché sur des t-shirts leur volonté de voir les droits humains des ouvriers respectés. Des voix se sont même élevées en faveur d’un boycott pur et simple de la compétition,comme celle de Vikash Dhorasoo dans Reporterre, qui estimait que c’était « la meilleure réponse à l’aberration écologique et humaine qu’est le Mondial 2022 au Qatar ».

« À ma connaissance, même parmi celles qui ont porté des t-shirts, aucune nation n’a annoncé qu’elle ne viendrait pas à la Coupe du monde », dit Orjan Lundgerg. En France, les réactions publiques sont pour l’instant timides et individuelles, tandis que la Fédération nationale de football (FFF) a assuré que son équipe, championne du monde en titre, s’envolerait pour Doha en 2022.

Quant à la publicité pour la coupe du monde à la COP26, à part quelques tweets publiés par des participants, ou une chronique de l’émission Quotidien sur la chaîne de télévision française TMC, personne n’a semblé s’en émouvoir. Au contraire, dans le pavillon en bois, des délégués, chargés des négociations internationales sur le climat, viennent prendre des selfies devant les maquettes des stades.

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