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COP26 : Greta Thunberg nous invite-t-elle à prendre la voie de l’anarchie ?

Greta Thunberg en manifestation à Glasgow durant la COP26, le 1ᵉʳ novembre.

Plutôt que les vaines palabres de la COP26, Isabelle Attard a écouté avec attention les paroles de Greta Thunberg. Lorsque la jeune activiste dit que « nous allons faire le changement, qu’ils le veuillent ou non », l’ex-députée devenue anarchiste y voit une sagacité pleine d’espoir.

Isabelle Attard est une ancienne députée écologiste du Calvados. Elle se présente comme « écoanarchiste ».

Isabelle Attard.


Je l’avoue, je ne me suis pas vraiment intéressée à la COP26 qui s’est déroulée dernièrement à Glasgow. Non pas que l’enjeu ne soit pas crucial, mais je ne crois plus à ces grands-messes médiatiques depuis longtemps. J’en ressors à chaque fois encore plus déçue et en colère, ce qui m’épuise moralement inutilement. Par contre, je continue de scruter l’actualité, notamment politique, et au détour de mes recherches, un discours m’a agréablement surprise. Un discours prononcé par Greta Thunberg le 1ᵉʳ novembre 2021 lors d’une manifestation en marge du sommet : « Nous disons : stop aux blablas, stop à l’exploitation des peuples, de la nature et de la planète. Stop ce qu’ils sont en train de faire là-dedans ! Nous sommes fatigués de ça et nous allons faire le changement, qu’ils le veulent ou non. Cela dure depuis trop longtemps, et nous n’allons plus les laisser s’en sortir comme ça ! »

Oui, j’ai été surprise et de la meilleure des manières. J’entends enfin une voix différente au sein de ces mouvements pour le climat, qui reconnaît enfin l’impuissance et la candeur de la stratégie déployée ces dernières années pour tenter d’infléchir la position des différents gouvernements de cette planète et des lobbies qui les influencent grandement. D’ailleurs, il n’a pas été très étonnant de constater que les lobbies du pétrole, du gaz et du charbon étaient venus en nombre en Écosse afin de préserver au mieux leurs intérêts. Comme le dit si bien Greta Thunberg, cette COP26 n’a finalement été qu’une « célébration du "business as usual" et du blabla », un « festival du "greenwashing" ». Et ce n’est pas la récente déclaration conjointe États-Unis/Chine qui y changera quelque chose tant celle-ci reste vague et superficielle.

Aller à la racine du problème

Certains verront toutefois le verre à moitié plein et un premier pas vers des actions plus concrètes. C’est vite oublier que la Chine vient tout juste d’augmenter sa production de charbon à plus d’un million de tonnes par jour en plein milieu des négociations de la conférence internationale sur le climat. Et en ce qui concerne les États-Unis, les projections pour 2021 donnent une augmentation des émissions de CO₂ de l’ordre de + 7,6 %. Autant dire que les plans de relance pour relancer la croissance ne devraient malheureusement pas inverser la tendance avant longtemps.

Greta Thunberg en manifestation à Glasgow durant la COP26, le 1ᵉʳ novembre. © Adrian Dennis / AFP

Au-delà de la surprise, il y a surtout la perspective de voir ces mouvements, et surtout les jeunes qui y militent, radicaliser leurs actions, passer à l’action directe. J’entends déjà les mauvaises langues pousser des cris d’orfraie. Comme je l’ai déjà expliqué dans mes chroniques sur Reporterre ou encore dans mon livre, la radicalité n’est pas un gros mot. Être radical, c’est avant tout aller à la racine du problème pour mieux le comprendre et trouver la solution la plus efficace. La radicalité ne souffre d’aucune compromission, mais elle n’implique pas pour autant des actes violents (encore faudrait-il que nous discutions de ce qu’est réellement un acte violent). Avec ces mots, Greta Thunberg a montré qu’elle avait commencé un processus de radicalisation.

« Toute personne qui a pensé, ne serait-ce qu’une fois dans sa vie, avoir le droit de protester, et a pris son courage à deux mains pour le faire ; toute personne qui a revendiqué un droit, seule ou avec d’autres, a pratiqué l’action directe. »

Je ne peux que l’encourager dans cette voie qui, de mon point de vue, mène invariablement vers l’anarchie. Voltairine de Cleyre avait une très belle définition de l’action directe qu’elle avait exprimée dans un article publié dans Mother Earth en 1912 : « Toute personne qui a pensé, ne serait-ce qu’une fois dans sa vie, avoir le droit de protester, et a pris son courage à deux mains pour le faire ; toute personne qui a revendiqué un droit, seule ou avec d’autres, a pratiqué l’action directe. […] Toute personne qui a eu un projet, et l’a effectivement mené à bien, ou qui a exposé son plan devant d’autres et a emporté leur adhésion pour qu’ils agissent tous ensemble, sans demander poliment aux autorités compétentes de le concrétiser à leur place, toute personne qui a agi ainsi a pratiqué l’action directe. Toutes les expériences qui font appel à la coopération relèvent essentiellement de l’action directe. »

Néanmoins, le chemin semble encore long puisqu’on a vu quelques jours après la déclaration de Greta Thunberg que les mouvements climat n’était pas encore prêts à passer au niveau supérieur et qu’ils restaient encore englués dans le même logiciel qui consiste à manifester afin de « demander poliment aux autorités compétentes » de bien vouloir agir. Alors on finit par se demander s’il n’y a pas un peu trop de blabla de toutes parts et s’il ne faudrait pas arrêter de se lamenter et commencer à s’organiser un peu plus sérieusement ? Les anarchistes sont prêts, il ne reste plus qu’à les rejoindre.

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