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Transports

Entretien des rails : le gouvernement ne met pas les moyens

Signé en toute discrétion par SNCF Réseau, le contrat décisif planifiant ses objectifs et moyens alloués par l’État jusqu’en 2030 est « largement insuffisant ». De quoi craindre des failles de qualité et une hausse des prix pour les usagers.

Une « occasion manquée », un « échec » qui « met financièrement la SNCF la tête sous l’eau ». Les commentaires négatifs ne manquent pas pour définir le contrat de performance de SNCF Réseau. Le document est essentiel pour l’avenir du rail français. Il planifie jusqu’en 2030 les objectifs et les moyens financiers alloués par l’État au gestionnaire du réseau pour l’entretenir et le moderniser. Mais la révélation de son contenu le 9 juin dernier a suscité un tollé dans le monde ferroviaire.

La signature de ce contrat est « intervenue confidentiellement et “honteusement” le 6 avril », se plaint la Fédération nationale des usagers des transports (Fnaut). Soit quelques jours seulement avant le premier tour de l’élection présidentielle. Reporterre n’a pas trouvé de communiqué ou autre document d’information émanant de SNCF Réseau et informant de la signature de ce document déterminant. C’est deux mois plus tard que cette signature a été révélée, le 8 juin, par la journaliste spécialisée et rédactrice en chef de Ville, Rail & Transports Marie-Hélène Poingt.

« Cela faisait des mois et des mois que ce contrat attendait, n’était pas signé parce qu’il y a une contradiction entre les objectifs fixés et les moyens alloués, explique Jean Lenoir, vice-président de la Fnaut. Puis on a découvert brutalement qu’il avait été signé, sans qu’il n’y ait de nouveauté. »

Avertissement, critiques

Les critiques fusaient déjà depuis plusieurs mois, et elles sont donc toujours d’actualité. En février, c’est rien de moins que l’Autorité de régulation des transports (ART) qui s’indignait. « Le projet de contrat fait l’impasse sur la définition d’une vision-cible du réseau », indiquait-elle. Autrement dit, il ne définit pas de stratégie pour l’avenir du rail en France.

Un avertissement repris par la Commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, qui dénonçait un projet de contrat « largement insuffisant ». « Il n’y a pas de vision écologique et de ce que devrait être la mobilité dans un contexte de changement climatique », ajoute Christiane Dupart, autre vice-présidente de la Fnaut.

« Si ces investissements ne sont pas faits, la SNCF va décliner. »

Par ailleurs, le contrat « prévoit un effort de renouvellement et de modernisation insuffisant, au risque d’entraîner SNCF Réseau dans une spirale de paupérisation industrielle », poursuit l’ART. Le renouvellement correspond à l’entretien des voies existantes. L’Autorité estime qu’il manque 4 milliards d’euros d’ici 2030. La Fnaut, elle, dénonce un manque de 1 milliard d’euros par an. Pourtant, l’entretien du réseau est essentiel pour maintenir un service de qualité sur les lignes, encore plus si l’on souhaite développer les trains du quotidien. Or, « nous savons que notre réseau est vieillissant : 29 ans en moyenne contre 17 en Allemagne », rappellent dans une tribune sur Alternatives économiques trois sénateurs de gauche [1], appelant à déclarer un « état d’urgence ferroviaire ».

« Le niveau de régénération du réseau structurant sera en moyenne de 2,84 milliards d’euros annuels, ce qui est historiquement élevé, proteste de son côté SNCF Réseau, contacté par Reporterre. S’ajoutent les investissements cofinancés de l’État et des régions portant sur les projets régionaux de développement. C’est un contrat qui permet d’avancer. Il donne de la visibilité à l’entreprise, à ses fournisseurs. »

La modernisation, elle, correspond à un effort supplémentaire pour rendre le réseau plus efficace. Il s’agit d’abord d’harmoniser la signalétique sur les standards européens. Et ensuite de centraliser les commandes de poste d’aiguillage : l’idée est de faire des tours de contrôle régionales gérant toutes les circulations de trains, essentielles à un « meilleur traitement des circulations perturbées et une meilleure performance économique », explique SNCF Réseau. Las, ces deux points de modernisation cruciaux ne sont tout simplement pas financés par le contrat de performance, dénonce la Fnaut. « Si ces investissements ne sont pas faits, la SNCF va décliner », avertit Christiane Dupart. L’ART, elle, parle d’un « effort financier en matière de modernisation du réseau, qui s’avère nettement insuffisant et incohérent avec les ambitions affichées ».

« Cela revient à faire payer par l’usager du rail »

En parallèle, les financements devront venir d’une augmentation du coût des péages : chaque train utilisant des voies gérées par SNCF Réseau paye une sorte de droit de passage. L’augmentation pourrait atteindre 50 % en 2030, et va se répercuter sur le prix des billets. « Cela revient à faire payer par l’usager du rail l’entretien du réseau ferré, résume Jean Lenoir. Alors que pour les routes — mis à part les autoroutes — il n’y a pas de péage. Donc les utilisateurs de la route ne payent pas son entretien, contrairement aux utilisateurs du rail. »

Une sorte de concurrence déloyale entretenue par les orientations du gouvernement. En mai dernier, Reporterre révélait que les projets de nouvelles routes en cours représentent un investissement de 18 milliards d’euros pour plus de 900 km de bitume. Avec ce choix, la France se situe à rebours de ses voisins européens, « qui tous investissent massivement dans leur réseau ferroviaire (90 milliards en Allemagne, 20 en Italie) », rappelle la Fnaut.

Pour l’association, la coupe est pleine. Car à cela s’ajoute l’absence de nomination d’un ministre des Transports dans le nouveau gouvernement. « Comme si les transports ne représentaient pas 30 % de nos émissions de gaz à effet de serre, commente Christiane Dupart. Pas de ministre, un contrat de performance sous-doté, tout cela donne des signaux très inquiétants sur l’avenir du ferroviaire et la politique des transports qui va être menée. »

De son côté, SNCF Réseau estime que tout n’est pas joué, et promet des « échanges réguliers avec l’État » pour « prendre en compte notamment les éléments nouveaux susceptibles d’affecter les trajectoires économiques de l’entreprise ».

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