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Politique

Face à la crise sociale, ce que peuvent les maires

La crise sociale s’annonce sévère et ses premières conséquences se font sentir chez les plus précaires. Les mairies, au plus proche des difficultés des gens, se trouvent en première ligne. Si leurs moyens ne sont pas tout puissants, elles disposent tout de même de multiples leviers d’action.

Après la crise sanitaire, une crise sociale d’envergure se profile en France. Les prévisions économiques tombent, lourdement, les unes à la suite des autres, et dressent en pointillés un horizon peu réjouissant. À commencer par celles du chômage : reparti à la hausse dès le mois d’avril, le nombre de personnes sans emploi pourrait continuer de grimper, jusqu’à toucher plus de 10 % de la population active fin 2020, et 11,5 % à la mi-2021, un niveau « au-dessus des précédents historiques », projetait la Banque de France début juin. Autre signal : dans tous les départements, le nombre de bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) est en augmentation.

Un constat corroboré sur le terrain par les associations de solidarité, comme le Secours catholique : « Dès le début du confinement, on a vu des gens dans la précarité qui se débrouillaient tant bien que mal, avec un petit boulot et un soutien associatif, basculer dans la pauvreté, relate Véronique Fayet, directrice de l’ONG. Une maman qui avait le RSA, faisait quelques heures de ménages, avec trois ados qui normalement mangeaient à la cantine, s’est retrouvée face à une augmentation des dépenses et une baisse de ses ressources dramatiques. » Les associatifs voient également débarquer lors de leurs distributions alimentaires de nouveaux publics : étudiants, familles avec enfants, travailleurs indépendants…

« L’arrêt des cantines et de l’école a plongé des familles dans de grandes difficultés, remarque également Jean-François Caron, maire de Loos-en-Gohelle, dans le Pas-de-Calais. Les gérants de café et les petits commerçants sont aussi très inquiets. » En première ligne pour observer les effets de la crise, les élus locaux se trouvent cependant parfois démunis pour faire face au chômage et à la récession. Car les politiques sociales et économiques découlent largement de choix gouvernementaux et de compétences régionales et départementales. Que pourront alors les nouvelles équipes municipales, élues au soir du 28 juin prochain, face à une crise sociale qui s’annonce « inédite » ?

« Face à la crise sociale, le premier enjeu du maire, c’est de refaire société, de retisser le lien, pour que personne ne reste isolé » 

« La commune a plein de leviers », assure M. Caron, réélu dès le premier tour le 15 mars dernier. Si elle ne gère pas directement les minimas sociaux et les politiques d’emploi, la collectivité dispose de multiples outils pour soutenir les plus précaires. À travers les tarifications sociales — à la cantine, pour l’eau (quand sa distribution est en régie publique), dans les transports — ou via la centre communal d’action sociale (CCAS). « À l’école et dans les centres de loisirs, il est possible de travailler sur le renforcement scolaire, sur les animations périscolaires, sur le lien avec les parents, explique Paul Maréchal, d’ATD Quart-Monde. Les élus ont aussi des leviers pour lever les “freins à l’emploi”, en ouvrant des espaces d’accueil et de formation au numérique, en travaillant au désenclavement de certaines zones par des transports en commun… »

Autre difficulté essentielle sur laquelle les maires peuvent agir : le logement. Dans le cadre du Pacte pour la transition, Emmaüs a rappelé que « la commune doit garantir l’accès à un logement abordable et décent pour toutes, au travers du logement social, mais également en régulant le marché du logement dans la ville, écrit l’association, en listant les outils disponibles : Le programme local de l’habitat qui définit les objectifs à atteindre dans l’offre de logement et les places d’hébergement équilibrée et diversifiée sur le territoire, les commissions d’attribution des logements locatifs sociaux, une participation au financement des logements… »

Pour Paul Maréchal, les leviers sociaux sont aussi à chercher dans la démocratie locale : « Les conseils de quartiers, les budgets participatifs… il est essentiel que l’ensemble de la population soit incluse dans la définition des politiques locales, estime-t-il. Face à la crise sociale, le premier enjeu du maire, c’est de refaire société, de retisser le lien, pour que personne ne reste isolé. »

Quant aux politiques économiques, Jean-François Caron fait valoir les « possibilités d’impulsion » du maire : « On peut mettre en place des conditions pour créer de l’activité, constituer un terreau fertile », dit-il. Avec sa « stratégie alimentaire pour développer le bio et les circuits courts », 25 emplois auraient par exemple été créés sur son territoire. « On a aussi favorisé l’installation de commerces de proximité, qui apportent plus d’emplois qu’une grande surface », poursuit l’édile. Les collectivités peuvent également s’inscrire dans des projets d’insertion ou de création d’emplois, comme les territoires zéro chômeur de longue durée : « Dans de nombreux territoires, il existe des travaux, des missions qui ne sont pas faits alors qu’on en a besoin et des personnes exclues de l’emploi, résume Paul Maréchal, d’ATD Quart-Monde, à l’origine du programme. L’idée est donc de créer des entreprises à but d’emploi [EBE] qui vont embaucher ces personnes pour réaliser les missions qui manquent sur le territoire. » Accompagnement des seniors, soutien scolaire, tri des déchets, épicerie solidaire… Dans ce cadre, les maires ont un rôle souvent déterminant pour initier la dynamique et fédérer les acteurs.

« Lancer des dynamiques, fédérer et coordonner les différents acteurs du territoire » 

« L’élu local n’a pas de compétences, ou très peu, mais il a une marge de manœuvre énorme, résume Véronique Fayet. Il a un rôle pour lancer des dynamiques, fédérer et coordonner les différents acteurs sur son territoire. » Plusieurs outils sont à sa disposition, comme les projets alimentaires territoriaux : « Cinq millions de personnes dépendent actuellement des distributions, c’est un enjeu essentiel, dit-elle, et les maires peuvent faire travailler ensemble les associations, les agriculteurs, les distributeurs afin de favoriser un accès à une alimentation digne et de qualité. » Les fermes en insertion du réseau Cocagne, qui œuvrent tant au retour à l’emploi que pour des « circuits alimentaires justes », dépendent ainsi de la volonté politique des édiles : « Bien sûr, ce sont les directions départementales de l’emploi qui définissent le nombre de postes en insertion, explique Angélique Piteau, chargée de plaidoyer. Mais pour le reste, que ce soit la mise à disposition d’un terrain, le lien avec les habitants, l’ancrage dans le territoire ou le financement, tout se fait en lien avec les équipes municipales. » À Loos-en-Gohelle, avec l’aide du réseau et le soutien de la mairie, une microferme s’est installée en 2016 et emploie aujourd’hui neuf personnes en insertion.

Pour autant, les conseils municipaux ne sont pas tout puissants. Dans le numéro de juin 2020 de la revue Projet, l’ancien maire (de droite) de Perpignan (Pyrénées-Orientales) Jean-Paul Alduy raconte comment les multiples opérations de rénovation urbaine n’ont pas permis d’enclencher « sinon faiblement, une dynamique sociale apte à briser la concentration de toutes les précarités dans certains quartiers ». D’après lui, « la municipalité a utilisé tous les leviers à sa disposition » mais « la dispersion des responsabilités, des capacités financières, et des moyens humains entre municipalités, intercommunalités, conseil départemental et services de l’État [peuvent] conduire à l’impuissance collective des acteurs de la politique de la ville ». C’est également l’avis de Véronique Fayet, qui fut élue municipale à Bordeaux (Gironde) : « La principale difficulté, c’est d’avoir une vision et une approche globales, du fait du morcellement des acteurs, dit-elle. D’où l’importance du maire, pour faire travailler les gens ensemble. »

En retrait dans les débats du premier tour, les politiques sociales sont devenues un enjeu central de la campagne en cours des municipales : chaque liste a amendé son programme, redoublant d’inventivité et de solidarité. À Grenoble (Isère), l’équipe d’Éric Piolle veut mettre en place une mutuelle municipale pour faciliter l’accès aux soins ; à Besançon (Doubs) et à Lyon, les listes écolos espèrent expérimenter un « RSA jeune », à destination des moins de 25 ans ; à Rennes (Ille-et-Vilaine), les socialistes et écologistes souhaitent développer des centres de santé dans tous les quartiers…

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