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Quotidien

Face aux besoins écolos, les toilettes sèches mènent la révolution des petits pas

Figures désormais incontournables des festivals, les toilettes sèches ont fait la preuve de leur intérêt écologique. En plein développement, elles peinent toutefois à s’imposer comme une alternative crédible au tout-à-l’égout chez les particuliers. Reporterre a tenté de comprendre pourquoi.

L’immense hangar de l’ancienne manufacture des glaces de Saint-Gobain sent bon la sciure. Ponceuse à la main, Fabien et Arnaud s’activent autour de l’établi. Des cabines de toilettes sèches en pièces détachées s’empilent autour d’eux. La saison des festivals approche, un moment faste et crucial pour la petite entreprise. Gink’oop est une société coopérative qui fabrique, entre autres, des toilettes sèches. Pour les manifestations en plein air, mais aussi, depuis peu, pour les particuliers. « De plus en plus de personnes sont conquises par le principe », commente Fabien.

- Arnaud et Fabien dans leur atelier de travail, l’ancienne manufacture des glaces de Saint-Gobain -

Apparus d’abord dans les lieux et les événements publics, ces cabinets sans eau conquièrent peu à peu les maisons françaises. « Les gens les testent lors des festivals, se rendent compte que ça fonctionne très bien, puis décident de passer le cap chez eux », raconte Fabien. Mais la révolution du « Water-closet sans water » n’est pas encore pour aujourd’hui. D’après une enquête de 2010 menée par l’association Empreinte, il y aurait en France entre 3000 et 6000 toilettes sèches. Une goutte de sciure dans un océan de tout-à-l’égout.

Un public qui s’élargit

« Quand j’ai compris qu’on faisait nos besoins dans de l’eau potable, j’ai été choqué », se rappelle Mark Howie. Il y a 25 ans, il construit son propre trône à litière. Depuis, il a monté son affaire, Ecolette, et tente « de propager le bon virus des toilettes sèches ». Depuis une petite dizaine d’années, il constate une prise de conscience : « des gens normaux, pas forcément des militants écolos, cherchent des solutions concrètes au problème de l’eau ».

- Le fonctionnement des toilettes sèches, expliqué par Toilettes du Monde -

Selon l’enquête d’Empreinte, les Français construiraient environ deux cents cinquante nouvelles installations par an. Qui sont ces pionniers de l’assainissement écologique ? « Il y a d’abord les convaincus, ceux qui ne veulent plus d’eau potable dans leur WC, analyse Emmanuel Morin, d’Ecodomeo. Puis il y a ceux qui veulent bien essayer, notamment pour faire des économies ».

Faire ses besoins dans des copeaux de bois, une idée de marginaux ? « Il faut sortir les toilettes sèches du milieu baba-cool », enchaîne Emmanuel Morin. Il développe une gamme de cabinets haut de gamme, sans chasse d’eau, mais avec un système de ventilation et de séparation des urines et des fèces. Coût du trône : 2500 €, contre 300 € en moyenne pour les premiers modèles artisanaux. « Il faut que ce soit attirant et classe, pour élargir la demande », ajoute l’entrepreneur.

De nombreux obstacles

Mais le marché peine encore à décoller. « Les freins psychologiques sont très forts, observe Emmanuel Morin. L’idée que l’eau purifie, ça fait 3000 ans d’ère judéo-chrétienne qu’on nous l’inculque ! ». Odeur, crainte d’infection, etc... malgré leur présence bien établie lors des concerts estivaux, les toilettes sèches pâtissent encore d’une image peu reluisante.

Le cadre juridique a longtemps constitué un autre obstacle. En France, comme ailleurs en Europe, le tout-à-l’égout et l’assainissement dans des stations d’épuration se sont érigés en norme. « Le droit français a longtemps ignoré les toilettes sèches, écrit Camille Turrel, juriste de l’environnement. La réglementation ne mentionnait pas la possibilité d’un traitement des excréments humains d’une autre manière que par le biais des eaux usées ».

Depuis 2009, un arrêté autorise officiellement l’usage de toilettes sans eau, mais « elles ne doivent générer aucune nuisance pour le voisinage, ni rejet liquide en dehors de la parcelle, ni pollution des eaux superficielles ou souterraines ». Traduction concrète : le compostage de la litière (les matières fécales et l’urine mélangées à la sciure ou aux copeaux de bois) doit se faire sur place, dans le jardin, et sur une aire étanche.

- Toilettes en pièces détachées -

Un trésor pour la nature

« Le compostage est un aspect essentiel », précise Mark Howie. « Il ne faut pas faire n’importe quoi avec les résidus, car il y a un risque de propagation de maladies avec les parasites ». Il milite pour la création de plate-formes de compostage où rassembler et traiter les litières.

Car nos excréments, une fois dégradées, sont un trésor pour les sols appauvris de notre planète. « L’épuration détruit une matière première indispensable et vitale pour la biosphère », explique le chercheur Jospeh Orszagh. Représentant pendant quinze ans des Amis de la Terre à la Commission de l’eau de la Région Wallonne, il est l’un des plus fervents détracteurs du tout-à-l’égout. « L’épuration est une nuisance environnementale majeure, insiste-t-il. Mais elle est contrôlée par des industries très puissantes, qui ont construit leur business sur la pollution des eaux ».

Pour lui, le lobby des entreprises de l’assainissement empêche le développement des solutions alternatives comme les toilettes sèches. « Il n’y a rien à attendre ni des pouvoirs publics, ni des firmes. Les choses bougent et changeront au niveau des individus ».

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