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3 février 2020 / Un collectif de chercheurs et chercheusesL’Institut de l’agriculture et de l’alimentation biologiques (Itab) est en crise, au moment même où la bio est reconnue comme une voie d’avenir pour l’agriculture. Les auteurs de cette tribune craignent que cet affaiblissement « laisse la place à une privatisation de la recherche appliquée en agriculture biologique, alors que ce sont des enjeux d’intérêt public qu’elle doit résoudre ».
La liste des 130 signataires de cette tribune se trouve à la fin du texte. Parmi eux, 25 signataires se sont ajoutés le jour même de parution de cette tribune, le 3 février, puis 41 autres le 7 février.
Présent depuis 1982, l’Institut technique de l’agriculture biologique (Itab), récemment renommé Institut de l’agriculture et de l’alimentation biologiques, vit depuis plusieurs mois une situation aux conséquences désastreuses pour les salariés et pour le développement de l’agriculture biologique. Celle-ci connaît pourtant sa plus grande dynamique jamais observée à ce jour et a plus que jamais besoin de structures d’appui, d’accompagnement et de recherche.
Des difficultés financières, s’expliquant notamment par une moindre contribution de la profession agricole par rapport aux autres instituts techniques agricoles et par un financement sur projets, sans garantie de ressources pérennes, en seraient à l’origine. Elles ont conduit le conseil d’administration à décider d’une mise en redressement judiciaire, accompagnée de deux licenciements brutaux, alors que nous restons convaincus que d’autres solutions auraient pu être réfléchies collectivement. Le prix de ce redressement judiciaire est lourd : six autres licenciements, conduits sans organiser de relais pour les missions assurées par ces salariés, auxquels s’ajoute la démission de deux autres salariés. La gestion des relations avec les salariés, à l’encontre du principe d’éthique qui est pourtant l’un des principes clés de l’agriculture biologique, a conduit à la démission de trois membres du Conseil scientifique.
Au total, l’organisme qui comptait 28 salariés en mai 2019 a perdu environ un tiers de son effectif en moins d’un an. Le conseil d’administration a connu des départs et évictions qui interrogent quant à sa capacité à représenter désormais la diversité de l’agriculture biologique : actuellement n’y siègent plus ni les chambres d’agriculture, ni la FNSEA, ni la Confédération paysanne, ni Nature et Progrès.
L’Itab a obtenu officiellement les qualifications d’institut technique agricole en 2012, et d’institut technique agro-alimentaire en 2018, le ministère de l’Agriculture reconnaissant ainsi son positionnement sur l’ensemble du système alimentaire. Contrairement aux autres instituts techniques agricoles segmentés entre filières de production (céréales, fruits et légumes, ruminants, monogastriques, vigne et vin, etc.), il présente l’originalité de couvrir l’ensemble des productions et des filières bio. Ceci se justifie par l’essence même de l’agriculture biologique dont les systèmes plus diversifiés répondent le mieux à l’absence d’utilisation d’intrants de synthèse.
En presque quarante ans, l’institut a agrégé des compétences pointues et produit des travaux de recherche appliquée originaux. Son approche transversale, multi-filières, couvrant l’amont et l’aval, lui permet d’avoir, sur les questions clés de l’agriculture biologique, une vision large et systémique, valorisant la combinaison de leviers et laissant une large place aux rôles et savoirs des acteurs. Ses activités s’appuient sur les compétences de partenaires multiples, acteurs de la recherche et du développement et praticiens, agriculteurs en tête. L’Itab est unanimement reconnu, aux niveaux national, européen et international, comme l’organisme coordonnant la recherche-expérimentation en agriculture biologique en France, et est régulièrement sollicité pour accompagner le ministère de l’Agriculture comme d’autres institutions publiques.
Enfin, non seulement il alimente la recherche en agriculture biologique et pour l’agriculture biologique, mais il est force de proposition pour toute agriculture en transition agroécologique. Il a été pionnier sur des thématiques comme l’utilisation maîtrisée de substances naturelles peu préoccupantes, la diversification des productions en fermes maraîchères ou en polyculture-élevage, ou encore l’utilisation de procédés « doux » en transformation des produits alimentaires.
Alors que les preuves scientifiques s’accumulent concernant l’impact de certains pesticides sur l’étendue et le rythme accéléré de l’érosion de la biodiversité et l’impact des modes de production et de consommation dominants sur la santé et sur l’environnement, alors qu’il est indispensable d’accompagner les conversions des fermes et des filières, nous estimons que c’est une erreur stratégique d’évincer des personnes parmi les plus expertes en France sur ce sujet. Nous exprimons notre soutien à ces huit salariés licenciés, Laurence, Catherine, Geneviève, Bruno, Blaise, Agnès, Aude et Marc avec qui nous, chercheuses et chercheurs, avons collaboré depuis des années. Nous exprimons aussi notre soutien aux salariés qui restent et qui doivent gérer cette phase de transition dans un contexte d’effectif réduit et déstabilisé. Nous craignons que l’affaiblissement de l’Itab ne laisse la place à une privatisation de la recherche appliquée en agriculture biologique, alors même que ce sont des enjeux d’intérêt public qu’elle doit aider à résoudre.
Nous estimons aujourd’hui urgent et essentiel de s’interroger sur l’évolution du modèle Itab :
• Quelles solutions pour sortir de la grave crise de gouvernance traversée par l’institut et retrouver une représentation large de l’agriculture et l’alimentation biologiques au conseil d’administration, garante du fonctionnement en réseau qui a fait ses preuves jusqu’ici ?
• Quelles modalités de construction des orientations de la recherche de l’institut avec les salariés et avec les partenaires ?
• Quelle implication des pouvoirs publics et de la profession agricole pour une montée en puissance des effectifs, indispensable pour accompagner le développement de la bio ?
Nous souhaitons que l’Itab puisse continuer à jouer pleinement son rôle clé au sein de l’agriculture biologique en France, dans une gouvernance revue et à nouveau plurielle, dans le respect des valeurs de l’agriculture biologique, au service de tous les citoyens qui attendent un changement de modèle agricole en France.
Source : Courriel envoyé à Reporterre
Photos :
. chapô : Blés bios anciens. Flickr / Luc Legay
. Maraichage bio. Itab.
- Dans les tribunes, les auteurs expriment un point de vue propre, qui n’est pas nécessairement celui de la rédaction.
- Titre, chapô et intertitres sont de la rédaction.