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ReportageQuotidien

Fin des terrasses chauffées : « Si c’est pour la planète, c’est tant mieux »

À Rennes, l’interdiction des chauffages sur les terrasses, par souci d’écologie, est saluée par la plupart des professionnels et des clients. Dans le Guide terrasse, voté par la municipalité, figure également la suppression des barnums. Une mesure qui, elle, ne fait pas l’unanimité.

  • Rennes, correspondance

Ce vendredi 28 février, il faisait un temps maussade à Rennes. Sur la touristique place Sainte-Anne, en cette fin d’après-midi, pas de foule, mais quelques clients qui flânent, assis en terrasse. Barnums et parasols multicolores se dressent encore dans les rues et sur les places, devant les bars et restaurants, protégeant les clients de la bruine. Mais, d’ici deux ans, le paysage devrait changer.

En juin 2019, le conseil municipal a voté pour l’application du Guide terrasse, un document d’une cinquantaine de pages indiquant les règles que devront respecter les patrons des 500 bars et restaurants situés dans le centre-ville pour l’installation de leurs terrasses, à l’horizon 2022. Objectifs affichés par la mairie : « Harmoniser le "paysage urbain", mettre en valeur le patrimoine et répondre aux enjeux de transition énergétique. »

Couleur des tables, des chaises, dimension des parasols et des stores ou intensité de l’éclairage, tout y est détaillé. Avec, en fer de lance, l’interdiction des chauffages en terrasse, appliquée depuis le 1er janvier.

Le bar Le Comptoir, à Rennes.

« Il y a environ deux ans, Marc Hervé, l’adjoint en charge du commerce, nous avait sondé pour savoir ce qu’on pensait du chauffage en terrasse. On lui avait dit qu’on trouvait ça aberrant. On a sondé nos adhérents qui ne voyaient pas de problème à l’enlever. On a donc convenu d’un process pour le supprimer dans le cadre de la charte d’autorisation des terrasses. Les discussions ont duré deux ans avant que la suppression soit effective », se souvient François de Pena, le président de l’Union des métiers des industries et de l’hôtellerie (Umih 35), qui revendique un millier d’adhérents en Ille-et-Vilaine. « Plus personne maintenant ne peut ignorer qu’il y a des phénomènes de réchauffement climatique et que la planète est en danger. Chauffer la rue avec de l’énergie ou nucléaire ou fossile, ce n’est pas acceptable aujourd’hui. »

Une terrasse chauffée de taille moyenne, c’est « mille kilowatt-heure par m2 chauffé »

Pour connaître l’impact environnemental de ces chauffages extérieur, Thierry Salomon — énergéticien et cofondateur de Négawatt — a dû faire le calcul car « il n’existe aucune étude, aucune statistique ». Dans un article publié sur le réseau Linkedin, il avertit qu’une seule terrasse [1] équipée de braseros au propane peut consommer jusqu’à « 50.400 kilowatt-heure (kWh) par hiver, avec en prime 13,7 tonnes de gaz carbonique émis dans l’atmosphère ! Soit l’équivalent des émissions d’une berline neuve qui roulerait 122.000 km, trois fois le tour du globe terrestre à l’équateur ». Il évoque ensuite une terrasse de même dimension « avec un chauffage électrique radiant à infrarouge de 2.000 W, disposés tous les 1,5 mètres sur la longueur ». Résultat : une consommation de « mille kWh par m2 chauffé à comparer au 15 à 40 kWh/m2 d’un logement bien isolé ».

Gwenn Le Flo’ch, barmaid au Ty Anna Tavarn, avec une cliente.

La mesure a fait du bruit, mais ne déplaît pas à la majorité des professionnels et à leurs clients. Beaucoup d’établissements ont même supprimé les chauffages extérieurs avant l’interdiction. Par conviction parfois : « C’était une volonté car on a signé une charte d’éco-responsabilité en juin l’année dernière », explique Hélène Richard, assistante responsable au restaurant le Haricot rouge. Ou bien pour habituer les clients, comme à la Cucina ou au Comptoir, place Sainte-Anne. Et la plupart du temps, aucune baisse de la fréquentation n’a été remarquée.

Quand on lui demande si le bar utilisait des chauffages à l’extérieur, avant l’interdiction, Gwenn Flo’ch, barmaid au Ty Anna Tavarn, un établissement situé place Sainte-Anne, sourit : « On vend de la bière bio alors ça n’aurait pas trop de sens. On n’a pas une clientèle qui demande ce genre de chose. » Parmi les clients rencontrés, tous approuvent la mesure, pour le geste écologique. « Si c’est pour la planète, c’est tant mieux », se réjouissent Julien, Étienne et Alex, attablés sous le barnum de la terrasse du Tio Paquito, un bar situé non loin de la place des Lices. Rencontrées au restaurant le Haricot rouge, Thaïs et Émilie, en terminale dans un lycée rennais, ne voient pas non plus la mesure d’un mauvais œil : « Ça ne change pas grand-chose, il ne fait pas trop froid à Rennes et ces chauffages polluent. » Certains comme Patrick et Roger, regrettent quand même que l’on impose des mesures trop strictes « aux petits commerces et pas aux grandes surfaces ».

Julien, Étienne et Alex, attablés sous le barnum de la terrasse du Tio Paquito.

Pourquoi davantage de villes ne sautent-elles pas le pas ? Rennes fait figure d’exception avec Thonon-les-Bains (Haute-Savoie) [2]. Selon l’énergéticien Thierry Salomon, « dans cette histoire, tout le monde se tient par la barbichette. Les fumeurs sont contents, ils peuvent fumer dehors au chaud. Le directeur de l’établissement est content, ça lui fait venir de la clientèle, même si ça lui coûte cher. Et la mairie, quelque part, est très contente, car ça lui apporte des taxes étant donné que les terrasses chauffées sont souvent taxées de manière plus importante. »

Si les terrasses sont un sujet aussi sensible, c’est parce qu’elles représentent parfois une grande partie du chiffre d’affaire des établissements. Par exemple, jusqu’à 80 à 90 % de celui des bars le Champ Jacquet et le Comptoir, qui peuvent accueillir entre vingt et trente personnes à l’intérieur pour une centaine de places en terrasse. François De Pena avertit souvent les professionnels : « Un droit de terrasse, c’est précaire. Quand je dis ça, certains professionnels hurlent mais mon argument est juridique. Une mairie donne un droit de terrasse et peut le reprendre comme elle veut, c’est légal. »

La suppression des barnums ne fait pas l’unanimité

Certains propriétaires d’établissements craignent de voir la fréquentation baisser après la suppression des barnums qui devront avoir disparu à l’horizon 2022. Le but de cette mesure : révéler les façades des bâtiments. Ils seront remplacés par des parasols, qui laisseront sûrement passer le vent et la pluie.

De quoi refroidir certains clients comme Camille, à la terrasse du Comptoir : « La suppression des barnums me freinerait, je pense, parce qu’ils coupent quand même du vent. » À côté d’elle, Xavier, qui habite place des Lices, nuance : « C’est pour la beauté de la ville. J’aime bien cette idée de les enlever, pour redonner une harmonie au centre-ville de Rennes. Il y a plein d’autres solutions, les parasols, les plaids... »

Roxane Menuet, salariée au Tio Paquito.

Certains établissements devront changer d’organisation : « Il y aura forcément moins de monde sur la terrasse et on devra peut-être ouvrir l’étage plus tôt en journée », suppose Roxane Menuet, salariée au Tio Paquito. « On était contre la suppression des barnums. C’est un problème, ça va avoir un gros impact. On va sûrement devoir faire des travaux pour gagner de la place à l’intérieur », regrette Thomas Ruellan, responsable du Champ Jacquet.

Mais « ça sera pour tout le monde pareil et les gens ne vont pas déserter le centre », espère-t-il. François De Pena lui, se veut rassurant : « La fonction du café restera. C’est un besoin humain de se retrouver socialement, de boire un coup dans la ville. Ce n’est pas une mesure qui peut faire que l’activité retombera. »

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