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Franck Piccard : un ex-champion contre le « tout-ski »

« Le ski de fond m’a apporté une autre approche » de la montagne, plus douce, estime l'ex champion de ski Franck Piccard.

Toujours plus de pistes, d’hôtels, de canons à neige... Franck Piccard, ex-champion olympique désormais propriétaire de magasins de sport en Savoie, prône un ralentissement et une approche plus douce de la montagne. [4/6]

[Série 4/6] Alors que la neige manque, quel avenir pour le ski ? Réchauffement climatique, stations abandonnées ou en reconversion, nouvelles activités... Dans cette série, Reporterre fait le tour d’horizon des défis que doit relever la montagne.



Les Saisies (Savoie)

Celui qui aimait dévaler des pentes à plus de 100 kilomètres-heure s’est assagi. Franck Piccard, ancien skieur professionnel, nous le dit tout net : à 58 ans, il préfère désormais se balader plusieurs heures en forêt, en ski de fond. « Quand j’étais plus jeune, je ne voyais le ski qu’au travers du prisme de la compétition et de la vitesse, raconte-t-il. C’était un point de vue très étriqué du ski et de la montagne. Le ski de fond m’a apporté une autre approche. »

Cet ex-champion olympique nous reçoit dans son bureau, à l’arrière d’un de ses magasins aux Saisies (Savoie) – il en possède six dans la station. Depuis sa retraite sportive, il loue des skis, des snowboards, et vend des vêtements de sports d’hiver. Il nous sert un café, un grand sourire plaqué sur le visage, la silhouette fine et légère. Celle qui lui a valu, il y a trente-cinq ans, de faire figure d’intrus en compétition face aux « Golgoths qui venaient de l’étranger ».

« On ne doit plus prendre nos décisions comme on les prenait au XXe siècle, à l’aune de la rentabilité économique », assure une conseillère régionale EELV.

Aujourd’hui, le ralentissement qu’il prône dépasse la pratique sportive. « Il faut dire stop à l’urbanisation de la montagne », affirme-t-il sans détour. Pour lui, le modèle des stations qui ne cessent de s’agrandir, dans l’espoir d’attirer davantage, est à bout de souffle.

Il y a déjà bien assez d’hôtels, de pistes, de remontées...

« On a aujourd’hui des milliers de lits disponibles en hiver. C’est extrêmement rare, voire impossible, qu’ils soient tous occupés. Donc il faut arrêter de grignoter de l’espace pour construire, pour essayer d’accueillir des nouvelles personnes. » De la même façon, l’ancien athlète estime que les « centaines de kilomètres de pistes actuelles sont largement suffisantes, même pour les meilleurs skieurs du monde » – et il sait de quoi il parle. En clair : nul besoin d’installer de nouvelles remontées mécaniques, ou de construire des traversées de domaines. Se contenter de l’existant est suffisant.

Le skieur a remporté une médaille d’argent aux Jeux olympiques d’Albertville en 1992. © Yves Sieur / AFP

Il donne comme exemple la station de La Clusaz (Haute-Savoie). Elle possède déjà quatre retenues collinaires, destinées à fabriquer de la neige artificielle, et en prévoit une cinquième de 148 000 m³. « Ce n’est pas nécessaire », résume Franck Piccard. Une question de « bon sens ». Selon lui, continuer de se développer pour rentrer dans la « concurrence effrénée » avec les stations de ski étrangères est contre-productif : « Toutes les stations risquent de se ressembler. Si on n’est pas capable d’arrêter ça, on va perdre notre authenticité et notre âme. » Et perdre, donc, des clients intéressés par la beauté des Saisies, station située à 1 650 mètres d’altitude entre la vallée du Beaufortain et le Val d’Arly.

« Il faut rendre la montagne accessible à tous »

Malgré ses engagements, Franck Piccard est de ceux qui sont mal à l’aise à l’idée de se définir comme « écologiste » : il n’a pas l’impression d’en faire assez pour le mériter. Mais son amour pour sa région le conduit à se positionner de plus en plus.

Il faut dire que la montagne, c’est toute sa vie. Né à Albertville en 1964, fils d’un moniteur de ski et d’une commerçante, aîné d’un clan de cinq frères et une sœur, Franck Piccard est un enfant du pays. « Je n’ai pas de connaissances botaniques ou techniques, mais j’ai une connaissance de la montagne par ma vie, dit-il. Je sais ce que c’est d’être en alpage, avec des vaches, sans eau ni électricité. Et c’est quelque chose dont j’ai besoin. » Sa montagne, il l’aime « brute », « dans son jus ». Comme celle que ses grands-parents, alpagistes, ont connue.

« Il faut dire stop à l’urbanisation de la montagne. »

Son rêve de gosse ? Devenir champion olympique de ski. Mission accomplie en 1988, avec l’épreuve de Super-G aux Jeux de Calgary (Canada), avant de décrocher – à domicile – la médaille d’argent pour la descente aux Jeux olympiques d’Albertville en 1992. Il a pris sa retraite quelques mois plus tard, après le choc d’avoir vu mourir à l’entraînement « quasiment sous [ses] yeux » un skieur autrichien, Gernot Reinstadler. En 1999, après diverses expériences (testeur pour une marque de ski, consultant à la télévision et même président de l’office de tourisme des Saisies), Franck Piccard a succédé à ses parents en reprenant avec son épouse les emblématiques magasins « Piccard Sports ».

Au fil des ans, entre le changement climatique de plus en plus visible et le « déclic » de la pandémie de Covid-19, Franck Piccard a commencé à se questionner sur le modèle des stations. « À cause de cinquante ans de ski alpin, tout le monde associe la montagne à un séjour de ski. Il faut changer ça », estime-t-il. En tant que commerçant, le Savoyard sait que cela pourrait aller de pair avec une réduction de l’économie. Mais il s’y tient prêt. « Il y aura une réorientation probable de nos commerces, on va peut-être proposer des séjours différents, avec du culturel, des visites de la montagne, des activités comme le ski nordique, les raquettes, prévoit-il. Il peut y avoir tellement de choses à découvrir sur une base existante. »

« À cause de cinquante ans de ski alpin, tout le monde associe la montagne à un séjour de ski. Il faut changer ça », estime Franck Piccard.

Le tout, en espérant un « retravail » du calendrier scolaire par l’État, pour que les séjours des vacanciers soient plus espacés dans le temps – et par conséquent moins chers qu’aujourd’hui. « Il faut rendre la montagne accessible à tous, insiste-t-il. Mais inutile de construire pour ça, on a déjà tout ce qu’il faut. »

« Il n’est jamais trop tard pour bien faire »

S’il y en a qui se réjouissent particulièrement de ces prises de position, ce sont bien les associations et les élus écologistes. « Franck Piccard était un champion sympathique, il a une certaine aura. Son discours interpelle les gens, peut-être plus que celui des écolos qui sont souvent perçus comme des gens contre tout », reconnaît Jean Kerrien, de France Nature Environnement Savoie.

« On nous dit parfois qu’on manque de pragmatisme, abonde Fabienne Grébert, conseillère régionale (Europe Écologie – Les Verts) en Auvergne-Rhône-Alpes. Mais Franck, quelqu’un qui est implanté dans l’univers de la montagne, du ski, dans son système de valeurs, dit la même chose que nous : on ne doit plus prendre nos décisions comme on les prenait au XXe siècle, à l’aune de la rentabilité économique. » Surtout quand les études montrent que, de toute façon, le nombre de jours de neige va drastiquement diminuer d’ici 2100.

Affirmer publiquement ce type d’opinion n’est jamais aisé. Franck Piccard évoque les critiques, les malentendus. « Certaines personnes m’ont dit que je voulais la mort de la montagne. Au contraire ! », s’exclame-t-il. « Franck est un peu décrié, certaines personnes disent qu’il s’est enrichi grâce à un modèle qu’il critique aujourd’hui, témoigne Valérie Paumier, fondatrice de l’association Résilience montagne, qui connaît bien l’ancien athlète. Moi je pense qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire. Il sait de quoi il parle, il est droit dans ses bottes. »

En arrivant à la station des Saisies, on ne peut pas les louper : les magasins Piccard sports, grands chalets en bois floqués d’un logo rouge et blanc.

Il le reconnaît toutefois : il n’aurait pas osé s’exprimer de cette manière quand il était encore à haut niveau. D’où son admiration pour celles et ceux, comme la skieuse américaine Mikaela Shiffrin ou le Français Alexis Pinturault, qui commencent à prendre position sur la question écologique. En attendant que d’autres leur emboîtent le pas, Franck Piccard continue de faire entendre sa voix. En écrivant des ouvrages, en signant des tribunes. Dans l’espoir que celles-ci montreront aux élus le nombre grossissant de personnes désirant un changement – pour les aider à « dire stop aux promoteurs immobiliers ».

« Ce sont des choses réclamées par nos clients, assure le Savoyard. Aujourd’hui, ils ne viennent pas pour skier, mais pour s’échapper de la grisaille, de l’urbanisme. » Des gens qui, comme Franck Piccard le fait désormais sur ses skis de fond, ralentissent, prennent le temps de profiter de l’air pur, de la beauté des paysages. De la montagne, tout simplement.

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