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Animaux

Frelons asiatiques, un essaim de préjugés

Devant les ruches des abeilles, le frelon asiatique guette sa proie.

Insecte agressif, à la piqûre dangereuse, mangeur d’abeilles… Partout où il s’installe, le frelon asiatique suscite la méfiance, voire la peur. Pourtant, les scientifiques ont une vision bien différente. [2/3]

Vous lisez la seconde partie de notre série « Insectes “nuisibles” : comment cohabiter ». Pour ne pas rater les prochaines, abonnez-vous à notre infolettre.



Quand on lui demande quel est son insecte préféré, François Lasserre répond : « Le frelon asiatique ! » Une réponse qui suscite toujours de vives réactions, constate l’entomologiste, grand défenseur de la bestiole. Insecte agressif, à la piqûre dangereuse, mangeur d’abeilles… Il a le don de terroriser petits et grands. En 2004, le premier frelon asiatique a été observé en France, en Aquitaine. Dix-neuf ans plus tard, Vespa velutina, de son nom latin, a officiellement colonisé tout le territoire métropolitain, sauf la Corse. Même dans le Haut-Rhin, jusque-là épargné, il est officiellement présent depuis juin dernier : « Une reine fondatrice a été capturée sur la commune d’Houssen le 25 mai, puis un nid à 40 km de là, à Mulhouse », décrit le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN).

Mais quand certains tremblent au seul son de son bourdonnement, François Lasserre, lui, raconte être fasciné par ce super prédateur : « Quand il est en vol stationnaire devant sa proie, c’est absolument dingue, magnifique ! » Il insiste pour le nommer par son vrai nom — frelon à pattes jaunes. Comme aux États-Unis où Vespa velutina ne doit plus être désigné par le terme « asiatique » depuis que la Société d’entomologie d’Amérique (ESA) a adopté en 2021 de nouvelles lignes directrices concernant les noms communs des insectes.

Plus question d’utiliser des termes qui font référence à des groupes ethniques ou raciaux ou qui sont susceptibles d’attiser la peur, voire de créer de la discrimination raciale. Pour l’entomologiste français aussi, « frelon asiatique » est un nom trop connoté : « C’est le frelon étranger, l’Asiatique, face au frelon européen. D’ailleurs, le vrai nom du frelon dit “européen” est en réalité frelon d’Europe. Mais par glissement sémantique, il est devenu le frelon de chez nous face au frelon venu d’ailleurs. »

« Des dizaines de frelons à quelques centimètres de nos têtes »

Il ne cesse de le répéter : le frelon à pattes jaunes, comme le frelon d’Europe, est craintif et complètement inoffensif, « dès lors qu’il est en dehors et à une certaine distance de son nid ». Il raconte volontiers cette anecdote récente où, invité à un mariage, il a découvert en levant les yeux que des dizaines de frelons butinaient dans les fleurs de la pergola sous laquelle trinquaient les 200 invités. « Ils étaient à quelques centimètres de nos têtes, ils nous rasaient, la pergola étant très basse. Pourtant, personne ne les a remarqués. C’est dire à quel point ces insectes font leur vie sans se soucier de nous. »

Une piqûre de frelon asiatique est moins dangereuse que celles des abeilles. Wikimedia Commons/CC0 1.0/Nicolas Y. D. Tirel

Dans une courte vidéo destinée à démystifier le danger, le scientifique démontre leur indifférence aux humains et leur absence d’agressivité : il frôle et attrape les frelons occupés à déguster des fruits sous un arbre, sans aucune conséquence.

L’entomologiste aimerait aussi casser le préjugé selon lequel la piqûre du frelon serait particulièrement dangereuse. « Elle n’est pas plus dangereuse que celles des autres guêpes et elle l’est même moins que celle de l’abeille. » Quand elle pique, l’abeille laisse son dard avec tout son venin, ce qui n’est pas le cas du frelon ou de la guêpe qui n’en libèrent qu’une partie. « Les piqûres de frelon à pattes jaunes sont rarissimes et seulement accidentelles », juge-t-il. Le seul véritable risque concernerait les personnes allergiques aux venins des hyménoptères — entre 1 et 5 % de la population en France — et celles qui s’approcheraient à moins de 5 mètres d’un nid. Se sentant en danger, les frelons peuvent attaquer et infliger des dizaines de piqûres simultanées. Heureusement, le nid est souvent perché assez haut dans les arbres, hors d’atteinte.

Il s’attaque au « seul insecte qui a un syndicat »

Pour François Lasserre, « le principal défaut de Vespa velutina est de s’attaquer à l’abeille domestique, le seul insecte qui a un syndicat ! Si ce frelon s’était attaqué aux moustiques, on lui aurait déroulé le tapis rouge ». La lutte antifrelon engagée par les apiculteurs expliquerait-elle sa mauvaise réputation auprès du grand public ? En tout cas, le frelon d’Europe, qui s’intéresse moins aux ruchers, semble avoir conquis une certaine respectabilité auprès du public, depuis l’arrivée de son cousin d’Asie.

À la différence du frelon d’Europe, le nouveau venu nourrit ses larves de préférence avec des espèces qui vivent groupées. Ce qui explique que les abeilles figurent parmi ses mets favoris. « Il entraîne des mortalités de colonies et des coûts supplémentaires de protection des ruchers. Dans certaines zones, il est devenu impossible de pratiquer l’apiculture », déplore l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf) qui le considère comme un véritable fléau.

Sa méthode de chasse est redoutable. Il reste à l’affût, en vol stationnaire, devant les ruches attendant la sortie des abeilles. Non seulement il fait des dégâts dans l’effectif, mais il conduit aussi la ruche à réduire son activité et à s’affaiblir. « Les abeilles réagissent mal et limitent généralement leurs sorties pour chercher nectar et pollen, surtout à l’entrée de l’hiver où elles devraient faire leur réserve », explique Quentin Rome, chargé de mission Frelon asiatique & Hyménoptères au MNHN.

Parmi les mets favoris du frelon asiatique : l’abeille. Wikimedia Commons/CC BY-SA 2.0/Danel Solabarrieta

Car nos abeilles n’ont pas encore trouvé de parade assez efficace pour déjouer cette prédation, contrairement aux abeilles asiatiques : ces dernières se groupent en boule autour du frelon et font vibrer leurs muscles alaires jusqu’à faire monter la température à 46 °C. Le frelon meurt d’hyperthermie. « Les programmes de sélection des races d’abeilles en Europe ont, en général, favorisé des lignées peu agressives », note le MNHN, sur son site dédié au frelon asiatique. Ce qui pourrait expliquer en partie leur inefficacité à se défendre contre ce nouvel ennemi. Il est possible qu’elles finissent par s’adapter, mais cela prendra du temps.

Un facteur d’affaiblissement des ruches

Par ailleurs, on l’ignore souvent, mais l’abeille domestique n’est pas la seule composante du régime alimentaire du frelon. En zone urbaine où elle est plus présente, elle peut représenter jusqu’à 70 % de son repas. Mais, dans un milieu diversifié, des études ont montré que cette proportion se réduit à un tiers ; le reste est composé à niveau égal de guêpes sociales et de mouches.

Selon Quentin Rome, « globalement, le frelon cause certainement la mort d’un pourcentage de colonies (dont le chiffre n’est pas encore estimé, probablement dans les 5 à 10 % en fonction des années). Mais nous avons pu démontrer que Vespa velutina était surtout un facteur d’affaiblissement parmi de très nombreux autres qui impactent l’abeille domestique ». Pesticides, maladies, acarien varroa, monoculture, biodiversité en berne… les causes de l’effondrement des colonies sont multiples.

Repenser notre façon d’accueillir le vivant

Pour tenter de limiter les dommages du frelon sur les ruches, de nombreuses techniques sont expérimentées comme le piégeage, l’utilisation de « muselières » pour protéger les ruches, la destruction de nids ou encore la sélection de variétés d’abeilles plus combatives. Certaines suscitent le débat entre apiculteurs et scientifiques, parfois même entre scientifiques.

« Mais si l’on n’est pas apiculteur, professionnel ou amateur, il est tout à fait possible de vivre avec ces animaux », assure François Lasserre. Car désormais, nous cohabitons avec ce frelon à pattes jaunes, et on sait qu’on ne pourra pas l’éradiquer. Sa présence soulève « de nombreuses questions économiques, mais aussi philosophiques et culturelles », observe l’entomologiste. Ce frelon nous oblige ainsi à nous questionner sur notre tendance à stigmatiser la totalité d’une espèce, sous prétexte que certains individus nous ont posé, un jour, un problème. « C’est notre façon d’accueillir le vivant qui est à repenser. »

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