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Énergie

Fuites des gazoducs Nord Stream, la bombe climatique et géopolitique

Les bouillonnements dus aux fuites de méthane au large de l'île danoise de Bornholm font jusqu'à 1 kilomètre de diamètre.

Trois grandes fuites sont apparues sur les gazoducs Nord Stream reliant la Russie à l’Allemagne sous la mer Baltique. Des millions de mètres cubes de méthane, très polluant, s’échappent. L’Union européenne parle de sabotage.

Berlin (Allemagne), correspondance

« Sur » la vidéo diffusée par l’armée danoise, la mer bouillonne, sans discontinuer : c’est le méthane qui s’échappe depuis le 26 septembre des gazoducs russes Nord Stream 1 et 2 en mer Baltique. En vingt-quatre heures à peine, trois grandes fuites sont apparues au large de l’île danoise de Bornholm : deux sur Nord Stream 1, une sur Nord Stream 2, dans les zones économiques exclusives du Danemark et de la Suède. À la surface de la mer, « le bouillonnement le plus vaste s’étend sur plus d’un kilomètre de diamètre, le plus petit sur 200 mètres », ont constaté les militaires danois dépêchés sur place en avion. Pour éviter tout accident — le méthane étant hautement inflammable —, la navigation est interdite autour des fuites dans un rayon de cinq milles nautiques, soit 9 kilomètres. Leur survol est également interdit.

La marine danoise accompagnée d’experts allemands tente d’identifier plus précisément la cause de ces fuites, très rares sur ce type d’infrastructures en acier et en béton, conçues pour résister aux chocs. Il s’agit notamment de déterminer l’origine de deux puissantes secousses captées par la station sismique de Bornholm, lundi à 2 h 03 puis 19 h 04. « Il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’explosions ou de détonations », avançait mardi 27 septembre le sismologue Björn Lund du réseau sismologique suédois (SNSN) à la chaîne de radio SVT.

Ces fuites sont dues à « des actes délibérés »

Ces fuites sont dues à « des actes délibérés », « pas à un accident », affirmait mardi soir la première ministre danoise Mette Frederiksen. Un peu plus tôt dans la journée, la Pologne allait plus loin en pointant du doigt la Russie. « Nous sommes dans une situation de haute tension internationale, a indiqué Marcin Przydacz, vice-ministre polonais des Affaires étrangères. Malheureusement, notre voisin de l’Est mène une politique agressive en permanence. »

Côté russe, le Kremlin n’a pas répondu aux accusations à son encontre et s’est dit « extrêmement préoccupé », n’excluant « aucune » hypothèse. D’après le site d’information Spiegel Online, la CIA, le renseignement américain, avait alerté cet été le gouvernement allemand de la possibilité d’un sabotage sur les gazoducs de la Baltique.

Le gazoduc Nord Stream 1, long de plus de 1 200 kilomètres, relie depuis 2012 la Russie à l’Allemagne via la mer Baltique. Son jumeau, Nord Stream 2, devait ouvrir cette année et doubler la capacité d’approvisionnement de l’Europe en gaz russe. Controversés, au cœur d’un bras de fer géopolitique, tous deux sont à l’arrêt : la mise en service de Nord Stream 2 a été suspendue fin février par les autorités allemandes, en représailles à l’invasion russe en Ukraine. Quant à Nord Stream 1, la Russie a fermé son robinet fin août, officiellement parce que les sanctions occidentales retardent la maintenance du gazoduc.

Les deux plus grands gazoducs sous-marins du monde étaient donc hors service, mais pas vides pour autant, lundi, lorsque les fuites sont apparues. D’après son exploitant russe, les trois conduites endommagées (sur quatre au total) de Nord Stream 1 et 2 contenaient chacune 117 millions de mètres cubes de gaz, qui s’échappent peu à peu. Impossibles à colmater, les fuites devraient durer « une semaine » jusqu’à épuisement du méthane, selon le ministre danois de l’Énergie, Dan Jørgensen.

« Il y a un risque d’étouffement pour les animaux »

Les conséquences climatiques s’annoncent importantes. « Le méthane est extrêmement dangereux, quatre-vingt fois plus que le CO2 en terme d’effet de serre [sur une période de vingt ans] [1], explique à Reporterre Constantin Zerger, expert en énergie et protection du climat de l’organisation Deutsche Umwelthilfe (DUH). Si les quantités contenues dans les deux gazoducs sont entièrement relâchées dans l’atmosphère, cela correspond à l’émission de 28,5 millions de tonnes d’équivalent CO2, soit l’équivalent des émissions annuelles d’une grande centrale à charbon. Les dégâts sont immenses pour le climat. » Pour Constantin Zerger, l’événement illustre la nécessité de sortir des énergies fossiles au profit des renouvelables et de diminuer la consommation énergétique de l’Europe.

Le Danemark et l’Allemagne se veulent rassurants sur les conséquences pour l’environnement, qui devraient être « limitées » : le méthane se dissout en partie dans l’eau, ce qui réduit fortement sa toxicité. « D’après notre état de connaissance actuel, les fuites de méthane ne représentent pas un danger considérable pour la mer Baltique », a assuré une porte-parole du ministère allemand de l’Environnement. L’association environnementale Bund craint toutefois des dégâts pour la faune et la flore. « Comme on ne sait pas clairement quel mélange est transporté par Nord Stream, des dégâts inconnus pourraient être provoqués par d’autres gaz sur l’écosystème marin de façon localisée », a réagi Nadja Ziebarth, biologiste marine au sein de l’association, auprès de l’agence de presse Dpa. « Il y a également un risque d’étouffement pour les animaux qui n’arrivent pas à fuir la zone rapidement ».

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