Fukushima cinq ans après, une plaie toujours ouverte

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La catastrophe nucléaire de Fukushima a fait des dizaines de milliers de déplacés et empoisonné la région. La décontamination du site nucléaire est loin d’être achevée et les problèmes sanitaires ne font que s’annoncer. Pourtant, le gouvernement de Shinzo Abe travaille à la relance du nucléaire au Japon.
Il y a cinq ans jour pour jour, un séisme de magnitude 9 dans le nord-est du Japon provoquait un tsunami, qui a entraîné la disparition de plus de 19.000 personnes. La conjugaison du séisme et du tsunami a aussi causé le plus grave accident nucléaire depuis Tchernobyl. De l’eau s’est infiltrée dans la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi et les systèmes de refroidissement se sont arrêtés, provoquant la fusion des coeurs d’au moins deux réacteurs et des rejets radioactifs massifs. Cette catastrophe a été classée au niveau 7, le plus élevé, de l’échelle internationale des événements nucléaires. 160.000 personnes ont été évacuées des environs de la centrale et 100.000 au moins sont encore déplacées aujourd’hui.

Yûki Takahata est journaliste, auteur et traductrice. Elle vit à Paris depuis 40 ans et s’est rendue à Tokyo après la catastrophe, puis à Fukushima au mois de novembre 2015. Elle reste en lien en permanence avec des militants et des habitants au Japon. « Des sacs, des sacs et des sacs de déchets » après les travaux de décontamination, voilà l’image qui lui revient en tête instantanément. Mais « plus personne ne porte de masque », « les gens essaient de faire comme si de rien n’était », se souvient-elle aussi... Cette militante de l’association Sortir du nucléaire Paris a observé cinq ans d’évolution d’une société sous le choc. La mobilisation impressionnante de 2012, quand le gouvernement a annoncé le retour au nucléaire, s’est effritée. « Après l’accident, la majorité de la population a compris qu’il fallait sortir du nucléaire, mais aujourd’hui, on ne parle plus de l’accident à Tokyo. Les gens baissent à nouveau la garde pour vivre normalement et ne pas être constamment inquiets », regrette-t-elle.

« Les militants que j’ai rencontrés sur place me disent qu’ils ont du mal à en parler : la société est coupée en deux », développe la journaliste. Pourtant, l’incident est loin d’être clos. « La terre est contaminée. Même dans les zones qui n’ont pas été évacuées, le taux de radioactivité est bien plus élevé qu’avant le 11 mars 2011 », décrit Yûki Takahata. Longtemps cachée par les autorités, la pollution continue. Les réacteurs accidentés sont refroidis en permanence par de l’eau qui, une fois contaminée, est stockée dans des cuves... parfois défectueuses. Les fuites sont nombreuses et s’écoulent dans l’océan Pacifique.
20 millions de mètres cubes de déchets
Nul ne sait le nombre total de victimes qu’aura causé la catastrophe de Fukushima. Yûki Takahata évoque en vrac les suicides des déplacés, les leucémies, les problèmes cardiaques... « Mais on ne peut lier ces événements de manière certaine à l’accident, même si on a l’impression que c’est plus fréquent qu’avant ». Deux ONG, Physicians for social responsability (PSR) et International Physicians for the Prevention of Nuclear War (IPPN), notent pourtant dans un rapport que 116 enfants de la préfecture de Fukushima ont déjà été diagnostiqués d’une forme agressive ou généralisée de cancer de la thyroïde. Dans une population équivalente, la norme est de 1 à 5 cas.
Pour les survivants, la vie de déplacé n’a rien de simple, les discriminations sont fréquentes, même si « les gens sur place préfèrent ne pas en parler ». 7.000 personnes travaillent chaque jour au démantèlement des trois réacteurs accidentés qui devraient prendre 30 à 40 ans. Au delà du risque sanitaire, environ 20 millions de mètres cubes de déchets sont attendus dans la seule province de Fukushima et le centre d’entreposage prévu s’étendra sur 16 km2, selon un rapport de l’Acro (Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’ouest) pour Greenpeace Belgique.

Malgré les doutes qui persistent sur l’avenir des populations et le traitement de ces déchets radioactifs, le gouvernement a décidé d’autoriser le retour des premiers résidents dans les zones « de préparation au retour ». Tous les ordres d’évacuation doivent être levés avant mars 2017 et les indemnisations prendront fin un an plus tard, sauf dans les zones dites de « retour difficile », les plus contaminées. « Le gouvernement veut que les gens retournent dans les zones les moins critiques pour pouvoir dire que l’incident est terminé », déplore Yûki Takahata. La nouvelle génération, celle des jeunes parents, est réticente, contrairement aux anciens qui souhaitent retrouver leur foyer. La communauté, là encore, est « disloquée », selon le mot de la militante anti-nucléaire, étonnée de constater que « les Japonais oublient vite ».
Malgré la volonté du gouvernement, seulement deux réacteurs ont été remis en exploitation dans le pays
Le risque toujours présent de séismes ou de tsunamis, n’incite pas non plus les autorités à renoncer à l’atome, alors que les sondages sont unanimes : la population y est opposée. D’ailleurs, tous les réacteurs du pays ont été fermés pendant presque deux ans. Jusqu’à ce que le gouvernement annonce la relance du nucléaire, affichant en avril 2015, la volonté d’atteindre 20 à 22 % du mix énergétique grâce au nucléaire d’ici 2030. Il reste 43 réacteurs nucléaires exploitables au Japon contre 54 avant l’accident.
Mais la situation n’est pas si simple. Un tribunal japonais a ordonné mercredi 9 mars l’arrêt, pour des raisons de sûreté, de deux réacteurs nucléaires qui ont été relancés début 2016 à Takahama. En presqu’un an, deux réacteurs seulement ont effectivement été remis en exploitation, à Sendai.
La justice devra aussi déterminer les responsabilités du désastre dans un procès très attendu : trois anciens dirigeants de Tepco, la compagnie qui gérait la centrale de Fukushima-Daiichi, vont être traduits devant les tribunaux après la plainte de citoyens en 2012.
Le gouvernement déploie des efforts importants pour donner l’image d’un pays où tout revient à la normale, alors qu’il doit accueillir les Jeux Olympiques de 2020. « Il y a une volonté de montrer que ’Fukushima, c’est fini’, c’est le déni qui continue et c’est cela qui est très grave », déplore Yûki Takahata, peu optimiste pour l’avenir du pays. « Le Japon a perdu sa confiance économique et cette catastrophe l’a touché dans son narcissisme, cela explique cette envie de tourner la page alors que c’était l’occasion de changer de politique », analyse-t-elle. Membre d’un réseau de ressortissants japonais à l’étranger, Yûki Takahata milite en France avec plus de motivation que jamais pour faire passer un message simple : « le nucléaire est une technologie de mort ».