Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

PortraitAgriculture

Goran, le jeune permaculteur qui cartonne sur TikTok

À 21 ans, Goran s’est lancé dans le maraîchage dans la Drôme. Par des petites vidéos diffusées sur les réseaux sociaux qu’il réalise avec un ami, il popularise conseils et astuces de permaculture.

Drôme, reportage

Un bob enfoncé sur le crâne, Goran sourit à la caméra du smartphone sous le soleil brûlant. Les pieds campés dans la terre, le jeune homme de 21 ans explique comment tailler une vigne, celle de son voisin en l’occurrence, pour la bouturer et pouvoir ainsi récolter des raisins en deux ans. Son meilleur ami, Hugo, l’assiste en filmant chacun de ses gestes.

En une vingtaine de minutes, le duo a donc tourné une vidéo destinée aux amatrices et amateurs de jardinage. Montée directement sur téléphone, elle sera postée sur les réseaux sociaux. Ces petites capsules font un tabac. Trois mois après ses premières vidéos, 400 000 personnes suivent déjà le compte Goran le permaculteur sur Instagram et 330 000 sur Tiktok. 50 000 personnes ont par exemple vu sa vidéo « Lutter contre les moucherons de terreau » et 30 000 savent désormais comment faire rougir des tomates grâce à du purin de banane. En 2020, il a quitté Montpellier et ses études de philosophie pour revenir sur la terre où il a grandi, dans la Drôme. Grâce à un petit boulot et à ses économies, il s’est lancé dans le maraîchage en autodidacte.

Il peut compter sur le soutien de Hugo, qui l’aide à tourner et monter ses vidéos. © Charlie Delboy / Reporterre

« On se disait bien que ces conseils pour le potager intéresseraient du monde, mais on ne s’attendait clairement pas à autant de succès », s’enthousiasme Goran, des étoiles plein les yeux. « L’accessibilité des conseils de Goran s’adresse à tout public, je pense que ça permet aussi un nouveau regard sur l’agriculture, qu’on assimile à des personnes plus âgées », dit Hugo. Les mains sur les hanches, le maraîcher scrute son hectare de terrain au sud de Valence, dans la Drôme. Il en est bien plus fier encore que du nombre de ses abonnés sur les réseaux sociaux. Voilà deux ans et demi qu’il a repris ce terrain, à deux pas de sa maison d’enfance. Il appartient à ses parents, qui le lui ont cédé pour mener à bien son projet : transformer ce champ en ferme d’expérimentation, où il fait pousser fruits et légumes en permaculture — c’est-à-dire en se basant sur les enseignements de la nature et en respectant l’environnement et les êtres vivants. À terme, il prévoit d’y construire une microferme pédagogique, pouvant accueillir du public et des scolaires. Et songe à installer des habitats légers pour accueillir du public et des bénévoles en woofing. Pour l’instant, une vingtaine de variétés de tomates de toutes les couleurs, plusieurs arbres fruitiers, quelques poules et six oies s’y épanouissent déjà.

« Si je ne viens pas pendant plusieurs jours, je culpabilise »

« Au départ, c’était une friche. Il a fallu planter et essayer d’imaginer à quoi ça ressemblerait plus tard », se souvient Goran. Il se faufile entre ses plantations et nous montre le paillage qui protège du soleil ses pieds de tomates, et ses ollas en terre cuite qui humidifient son sol. Tout en désignant telle branche de murier qui rampe, ou tel pied de framboisier jaune qui grimpe en hauteur, il raconte son histoire dans un flot continu. Lorsqu’il a repris ce terrain à 19 ans, rien ne le prédestinait à la culture du sol. Aucun membre de sa famille ni de ses amis ne sont originaires du milieu agricole. Mais pendant le temps long de la crise sanitaire, enfermé dans son appartement étudiant, Goran s’est passionné pour le maraîchage en permaculture. Sur internet, il a avalé les vidéos de quelques youtubeurs — il cite religieusement sa sainte trinité : Le Jardin d’Émerveille, Le potager d’Olivier et La ferme de Cagnolle.

Pour l’instant, les deux jeunes hommes ne tirent rien de leurs vidéos sur Instagram et Tiktok mais espèrent que cela changera lorsqu’ils se lanceront sur Youtube. © Charlie Delboy / Reporterre

« La mise en pratique de la permaculture à partir de la théorie, c’est un autre délire », admet-il en souriant. Il confesse ses premières erreurs d’apprenti permaculteur : l’une de ses serres s’est effondrée lors d’un orage, et sa première récolte de tomates a été ravagée par un champignon bien connu des agriculteurs, le mildiou. « Je n’aurais pas appris autant de trucs sans faire toutes ces erreurs », assure-t-il en passant la main dans ses cheveux foncés. À quelques kilomètres seulement de chez sa mère où il habite, il vient ici six à sept jours par semaine. « Si je ne viens pas pendant plusieurs jours, je culpabilise », dit-il en regardant ses poules qui caquettent dans leur large enclos.

Dès le début de son projet, il a pu compter sur le soutien de ses amis et parents. Les agriculteurs du coin ont un avis plus nuancé : « Qu’est-ce que tu vas faire avec un seul hectare ? On me l’a souvent demandé », dit Goran sans lâcher son sourire. Pour l’instant, le jeune homme distribue ses récoltes à son entourage sans les monétiser. « Avant, j’avais un pote qui me prenait jusqu’à 100 œufs par semaine ! », s’enthousiasme-t-il. S’il n’a pas encore de modèle économique, il est persuadé de la rentabilité de son projet. Pour l’instant, les deux jeunes hommes ne tirent rien de leurs vidéos sur Instagram et Tiktok mais espèrent que cela changera lorsqu’ils se lanceront sur Youtube. Avec l’idée de vivre de leurs passions ensemble : le montage vidéo pour Hugo, la permaculture et sa transmission pour Goran. « On essaie de se mettre en contact avec des streamers, on aimerait aussi se développer sur des formats plus longs sur Youtube pour approfondir des contenus autour de différents légumes », dit Hugo. Et puis, pourquoi ne pas vendre des paniers de légumes à venir chercher à la ferme ? Des confitures et légumes transformés sur le marché ?

Avant de livrer des conseils permaculture sur les réseaux sociaux, Goran était étudiant en philosophie à Montpellier. © Charlie Delboy / Reporterre

« C’est pas parce qu’on ne vient pas du milieu agricole qu’on ne peut pas y arriver »

En vulgarisant des techniques de jardinage de permaculture dans ses vidéos, Goran se sent investi de la même mission que ses youtubeurs modèles : permettre à tous et toutes d’accéder à la culture d’un potager. « C’est pas parce qu’on ne vient pas, à la base, du milieu agricole qu’on ne peut pas y arriver », répète-il inlassablement. Parmi ses 400 000 abonnés sur Instagram, ils sont des centaines à poster chaque jour des commentaires, dont beaucoup de louanges. « J’adore vos vidéos, elles me donnent le courage de m’y mettre aussi », l’interpelle une internaute en dessous de sa vidéo sur la bouture de lavande. « Comment peut-on bouturer un hibiscus ? », questionne l’un ; « Comment repousser les chenilles vertes, ou garder un pied de basilic acheté au supermarché en vie ? », ajoute un autre.

Hugo, 23 ans, tourne et monte aussi les vidéos et se charge de transmettre les demandes à son ami. « Pas plus tard que ce matin, un jeune homme près de Nîmes qui veut faire de la perma [nous a contacté] », s’enthousiasme-t-il à la lecture des courriels. Le jeune homme assiste Goran depuis qu’il est revenu de voyage, en avril dernier. Bien pratique, il habite juste en face du terrain. « Quand Goran m’a présenté son projet au départ, je trouvais ça farfelu. Je n’ai pas beaucoup d’amis de notre âge qui s’intéressent au jardinage », sourit-il. « Mais il a toujours eu beaucoup d’idées. À une époque, il voulait monter un food truck, un terrain de motocross… ».

Des fraises, des tomates, des courgettes, des poules, des oies... s’épanouissent sur l’hectare de Goran. © Charlie Delboy / Reporterre

À ses côtés, le permaculteur inspecte les plants de son jardin aromatique sous le soleil de midi. Basilic mauve et vert, feuilles de cresson et de stévia… Il les froisse entre ses mains pour en révéler les arômes. Dans son potager, ses courgettes jaunes et vertes cohabitent avec des touffes d’herbes adventices qu’il conserve pour l’ombre qu’elles procurent. « La permaculture, c’est simplement du bon sens », sourit-il. Même quand on a pas de temps, ni de jardin. « Si tous les matins en allant au travail, tu prends ta dosette de café et qu’au lieu de la mettre dans la poubelle, tu vas l’épandre au pied d’un massif dans le parc ou la rue en face chez toi… C’est toujours un petit coup de pouce pour la nature ».

Il se prend à rêver à un monde de « permaculture XXL », dans lequel les agriculteurs convertiraient leurs productions en maraîchage raisonné. « J’ai déjà vu énormément d’agriculteurs changer pour conserver leur terre en sols vivants, conserver des sols vivants. Alors je veux montrer que tout le monde peut le faire ! »

Alors que les alertes sur le front de l’environnement continuent en ce mois d’octobre, nous avons un petit service à vous demander. Nous espérons que les derniers mois de 2023 comporteront de nombreuses avancées pour l’écologie. Quoi qu’il arrive, les journalistes de Reporterre seront là pour vous apporter des informations claires et indépendantes.

Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés exclusivement par les dons de nos lectrices et lecteurs : nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre. Ce soutien vital signifie que des millions de personnes peuvent continuer à s’informer sur le péril environnemental, quelle que soit leur capacité à payer pour cela. Allez-vous nous soutenir cette année ?

Contrairement à beaucoup d’autres, Reporterre n’a pas de propriétaire milliardaire ni d’actionnaires : le média est à but non lucratif. De plus, nous ne diffusons aucune publicité. Ainsi, aucun intérêt financier ne peut influencer notre travail. Être libres de toute ingérence commerciale ou politique nous permet d’enquêter de façon indépendante. Personne ne modifie ce que nous publions, ou ne détourne notre attention de ce qui est le plus important.

Avec votre soutien, nous continuerons à rendre les articles de Reporterre ouverts et gratuits, pour que tout le monde puisse les lire. Ainsi, davantage de personnes peuvent prendre conscience de l’urgence environnementale qui pèse sur la population, et agir. Ensemble, nous pouvons exiger mieux des puissants, et lutter pour la démocratie.

Quel que soit le montant que vous donnez, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission d’information pour les années à venir. Si vous le pouvez, choisissez un soutien mensuel, à partir de seulement 1€. Cela prend moins de deux minutes, et vous aurez chaque mois un impact fort en faveur d’un journalisme indépendant dédié à l’écologie. Merci.

Soutenir Reporterre

📨 S’abonner gratuitement aux lettres d’info

Abonnez-vous en moins d'une minute pour recevoir gratuitement par e-mail, au choix tous les jours ou toutes les semaines, une sélection des articles publiés par Reporterre.

S’abonner
Fermer Précedent Suivant

legende