Gourmand en eau et en céréales, le méga-méthaniseur de Cérilly ne passe pas

Les opposants souhaitent l'abandon de l'usine de méthanisation qui vient d’être construite à Cérilly. - © Léa Dang / Reporterre
Les opposants souhaitent l'abandon de l'usine de méthanisation qui vient d’être construite à Cérilly. - © Léa Dang / Reporterre
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Luttes ÉnergieLe 3 juin, plusieurs associations ont manifesté en Côte-d’Or contre la construction d’un énorme méthaniseur. Deux recours ont été déposés pour faire annuler le projet.
Châtillon-sur-Seine (Côte-d’Or), reportage
Près de Châtillon-sur-Seine, les champs de céréales s’étalent à perte de vue. Cette région, connue pour sa production à grande échelle de blé, d’orge et de colza, est aussi un territoire peu densément peuplé. Pourtant, plus d’une centaine de manifestants étaient présents durant la journée du 3 juin pour soutenir le collectif Mega-méthaniseur Ni ici ni ailleurs contre l’usine de méthanisation qui vient d’être construite à Cérilly. La méthanisation consiste à utiliser des matières organiques (des déjections animales mêlées à des cultures intermédiaires, comme l’avoine, le seigle, etc.), pour produire du gaz.
Géré par Sécalia, filiale française de l’entreprise danoise Nature energie rachetée par Shell, et par la coopérative agricole Dijon Céréales, cette marmite XXL tout juste sortie de terre peut traiter jusqu’à 200 000 tonnes de matières organiques par an et s’étend sur quinze hectares. En ajoutant « un hectare par unité de stockage dans les cinq communes concernées, cela fait plus de vingt hectares qui ne pourront plus être utilisés pour l’agriculture », précise Cyril Beaulieu, un des portes-parole de la Confédération paysanne. Alors que la construction a commencé en août dernier, le seigle devrait être incorporé en décembre et les premiers mètres cubes de gaz devraient être produits en février 2024.

L’ambiance, festive et pacifique le jour de la mobilisation, avait été ternie quelques jours plus tôt par la publication d’un arrêté préfectoral autorisant la gendarmerie à utiliser un drone et un hélicoptère pour surveiller les manifestants. Des moyens jugés « complètement surdimensionnés » par les organisateurs, dont le dernier rassemblement en octobre dernier n’avait pas entraîné un tel déploiement de forces de l’ordre. Cela montre, pour l’historien François Jarrige, « le rapport de force politique qui s’est instauré depuis Sainte-Soline ».
Moins de cultures à destination des humains
Les opposants sont préoccupés par les nuisances sonores et olfactives, l’augmentation de la circulation des camions aux alentours du site et de la pollution des eaux, mais aussi par la disponibilité de la ressource : « Les méthaniseurs consomment (au démarrage) et produisent énormément d’eau. Or, ils ne produisent de l’eau qu’au bout de deux mois, quand la pompe est amorcée. Pour l’usine de Cérilly, le préfet a autorisé un prélèvement de 5 mètres cubes à l’heure, ce qui fait 120 mètres cubes d’eau par jour, une quantité énorme pour une zone sinistrée et alors que les besoins réels du méthaniseur sont deux fois moins importants », s’inquiète un membre de l’association La Grande Côte Châtillonnaise. D’après un ancien chef de projet de l’entreprise Spie Batignolles, l’or bleu manquait déjà pendant la phase de construction et était régulièrement apporté par des camions-citernes.
De plus, et alors que les projets de méthaniseurs sont de plus en plus nombreux, les cultures nécessaires pour fabriquer du gaz empiètent sur celles à destination de l’alimentation humaine. À Cérilly, les déchets organiques sont composés à 90 % de seigle, produit entre les cultures principales, sous l’appellation Cultures intermédiaires à valorisation énergétique (CIVE). Le projet n’est d’ailleurs pas soutenu par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, car celui-ci dépasse la limite d’apport en CIVE fixée à 30 %.
La biodiversité menacée
Pour sa défense, Sécalia écrit sur son site que « le seigle fourrager n’est pas en concurrence avec les cultures alimentaires ». Mais pour Cyril Beaulieu, la récolte tardive des CIVE en mai ne peut que compromettre les cultures suivantes : après un seigle fourrager, « il ne resta plus grand-chose dans le sol pour la culture d’après ». Un point que le vice-président de Dijon Céréales, Philippe Déclaire, reconnaissait lui-même dans la presse locale le 30 mars.

Enfin, l’implantation de CIVE sur plusieurs milliers d’hectares pourrait porter atteinte à la biodiversité du site, en particulier au busard cendré, un oiseau migrateur qui niche dans les champs de céréales et fait partie des espèces protégées en France. « La récolte des CIVE a lieu pile au moment où les œufs des busards cendrés éclosent. Elle est réalisée avec des machines qui roulent trop vite : les oisillons n’ont pas le temps de s’enfuir et sont broyés », déplore George Risoud, vice-président de la LPO Bourgogne Franche-Comté, qui rappelle que les busards cendrés ne sont pas les seules espèces menacées par ces pratiques agricoles.
Pour le moment, les associations locales ont déposé deux recours au tribunal administratif de Dijon. En attendant, elles comptent entretenir les liens tissés avec les différents collectifs — parfois venus de loin — pour intensifier leur lutte.