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Transports

Grand Paris : la rentabilité douteuse des futures lignes de métro

Lancé en 2011, le Grand Paris Express est l'un des plus vastes projets d'infrastructures en Europe.

Afin de justifier le prolongement de certaines lignes du métro parisien, la Société du Grand Paris affirme la grande rentabilité économique du projet. Des urbanistes et des associations dénoncent des chiffres truqués.

La Société du Grand Paris (SGP) jouerait-elle avec les chiffres ? Selon plusieurs associations, urbanistes et spécialistes des transports, l’établissement public chargé de réaliser le Grand Paris Express gonfle artificiellement la rentabilité attendue de ses futurs métros 17 et 18. L’objectif : justifier la construction de ces lignes très contestées, notamment pour ses conséquences environnementales.

Lancé en 2011, le Grand Paris Express est l’un des plus vastes projets d’infrastructures en Europe. Il comporte quatre nouvelles lignes de métro automatiques, soixante-huit gares et la promesse de déplacements plus faciles et plus rapides « de banlieue à banlieue sans passer par Paris », du Bourget à Versailles, de Roissy à Marne-la-Vallée, ou encore de La Défense à Orly.

Aujourd’hui, malgré plusieurs années de retard et des coûts revus à la hausse, le « chantier du siècle » avance à grands pas : une centaine de kilomètres de tunnel ont été creusés, des gares aménagées et les premiers rails posés.

Des procédés « douteux »

Mais pour la SGP, tout n’est pas encore gagné : les futurs tronçons 17 Nord et 18 Ouest suscitent une forte opposition. Sur le terrain et devant les tribunaux, des activistes tentent de stopper les travaux, qui menacent de détruire les terres fertiles du triangle de Gonesse (Val-d’Oise) et du plateau de Saclay (Yvelines).

Aussi, les chiffres avancés pour justifier l’intérêt public de ces métros interrogent. Selon plusieurs urbanistes et trois associations en lutte — le Collectif pour le Triangle de Gonesse, le Collectif OIN Saclay et le Collectif contre la ligne 18 —, la SGP emploie des procédés « douteux » pour défendre les différents projets. Reporterre a eu accès aux évaluations socio-économiques de la Société du Grand Paris, produites par celle-ci dans le cadre des enquêtes publiques. Et ces documents, intitulés « pièces H », révèlent une évolution troublante : les lignes 17 Nord et 18, considérées en 2016 comme les moins rentables de tout le réseau, sont devenues en 2021 les plus profitables.

Le collectif contre la ligne 18 occupe les terres agricoles du plateau de Saclay en guise de protestation contre le projet. Twitter/Collectif contre la ligne 18

« Avant chaque chantier, une infrastructure de transport est l’objet d’un calcul qui met en regard ses bénéfices par rapport à ses coûts d’investissement », explique Harm Smit, ingénieur de l’École polytechnique de Delft, aux Pays-Bas. Le chiffre ainsi obtenu, appelé « valeur actualisée nette », donne la rentabilité attendue de l’infrastructure. En cinq ans, la rentabilité de la ligne 17 Nord a ainsi augmenté de 732 %, et celle de la ligne 18 de 1 873 %, d’après les chiffres du Collectif OIN Saclay, vérifiés et affinés par Reporterre. Dans le même temps, poursuit Harm Smit, « la SGP a baissé la rentabilité des lignes où l’avancement des travaux est tel qu’un retour en arrière n’est plus envisageable, pour augmenter celle des lignes où un revirement reste possible ».

Gains de productivité

Pour Jacqueline Lorthiois, urbaniste et socio-économiste, qui a travaillé dans plusieurs cabinets ministériels, le cas de la ligne 17 Nord montre « l’inconsistance de la manipulation ». Sur ce tronçon, « les prévisions initiales de sa fréquentation reposaient en partie sur le mégacentre commercial EuropaCity et le terminal T4 : des projets abandonnés ou reportés, soit 70 000 emplois partis en fumée. La "valeur actualisée nette" de cette ligne aurait donc dû passer dans le rouge, et non pas monter en flèche ! »

Contactée par Reporterre, la Société du Grand Paris ne conteste pas le bond spectaculaire de la rentabilité attendu des lignes 17 et 18. Mais comment l’explique-t-elle ? Par « une meilleure prise en compte des effets d’agglomération induites par le Grand Paris Express ». C’est-à-dire la possibilité de réaliser des gains de productivité grâce à la concentration de plusieurs domaines d’activités au même endroit. Par exemple, poursuit l’établissement public, l’annonce de l’ouverture de la ligne de métro 18 a attiré « de nombreux grands centres d’enseignement et de recherches sur le plateau de Saclay ces dernières années ».

Améliorer les lignes existantes

Une justification insuffisante, juge Harm Smit : « Si la concentration des emplois autour d’un pôle d’excellence peut avoir un effet économique positif, elle ne peut pas justifier une évolution si importante de la rentabilité d’une ligne. Rien ne prouve que cet effet n’existerait pas sans la ligne. »

Par ailleurs, aux accusations de trucages, la SGP rétorque que ses analyses ont été « validées plusieurs fois par de nombreux experts indépendants ». Plusieurs contre-expertises indépendantes, consultées par Reporterre et compilées par le Collectif OIN Saclay, invitent pourtant à plusieurs reprises l’organisme à « plus de prudence » dans ses calculs.

Suite à ces analyses et en attente d’une nouvelle évaluation socio-économique réalisée par des experts indépendants, les associations demandent un moratoire immédiat sur les lignes 17 Nord et 18 Ouest, qu’elles estiment « inutiles pour les habitantes, toxiques pour l’environnement » et « gravement déficitaires ». Elles réclament une « réorientation » de l’effort d’investissement sur le financement et l’amélioration du réseau de transports existant — RER B et D, réalisation du tram-train T11 — « qui cumule les retards et les problèmes d’exploitation ».

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