Guerre : à l’ouest de l’Ukraine, l’accueil des réfugiés s’organise

Cette femme et ses enfants ont fui l'Ukraine pour se rendre en Slovaquie, le 25 février 2022. - © Peter Lazar / AFP
Cette femme et ses enfants ont fui l'Ukraine pour se rendre en Slovaquie, le 25 février 2022. - © Peter Lazar / AFP
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Migrations Monde UkraineAu lendemain de l’invasion russe, 100 000 Ukrainiens auraient déjà fui leurs foyers. Des migrants arrivent par centaines aux frontières. Une habitante s’interroge : « Faut-il fuir le pays, rester ici ou repartir combattre ? »
« Des centaines de personnes attendent devant le poste de frontière. Beaucoup sont venues en voiture, d’autres à pied. Personne ne sait s’il faut passer en Slovaquie, rester ici ou repartir combattre… » Natasha vit dans l’extrême ouest de l’Ukraine. Au lendemain du déclenchement de la guerre, avec l’intrusion des troupes militaires russes dans le pays, la stupéfaction a laissé place à l’affolement. Si pour le moment, aucun missile n’a touché la région, les migrants arrivent par centaines : « Tout le monde s’agglutine à la frontière, mais les contrôles prennent beaucoup de temps. » Engagée dans une association humanitaire, cette Ukrainienne francophone décrit à Reporterre l’élan de générosité qui s’est spontanément mis en place. « Toutes les communes des alentours mettent à disposition des salles de sport, des écoles ou des universités pour accueillir les déplacés. Les habitants apportent de la nourriture et des couvertures, mais les pénuries commencent dans les grands magasins. »
Si l’armée ukrainienne se bat, elle recule inexorablement. Depuis la prise de la centrale nucléaire de Tchernobyl, jeudi 24 février dans la soirée, l’armée russe poursuit sa route vers le sud. En ligne de mire : la capitale du pays envahi, Kiev. Même constat au sud et à l’est, où les envahisseurs rencontrent peu de résistance. Vendredi 25 février, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a publié un décret appelant à la mobilisation générale pendant les trois prochains mois. Tous les réservistes doivent prendre les armes pour défendre leur pays. La loi martiale interdit également aux hommes de 18 à 60 ans de quitter le territoire. Le cas échéant, ils sont arrêtés aux postes de frontière, séparés de leur famille et invités à aller combattre.

Malgré cet appel à la résistance, 100 000 Ukrainiens auraient déjà fui leurs foyers et plusieurs milliers seraient parvenus à quitter le pays, rapporte le Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés. À Kiev, rongés par la peur, certains habitants se terrent dans le métro pour échapper aux bombardements. Jeudi soir, les cinq voies de l’autoroute reliant Kiev à l’ouest du pays étaient embouteillées. « Ils arrivent par milliers », confirme un Ukrainien vivant à proximité des frontières roumaines et hongroises. Propriétaire d’un gîte, il s’efforce d’organiser l’accueil de vingt-quatre enfants en danger sur le front est : « Ils sont pris en tenaille. Leur ville est en train de tomber aux mains des Russes, confie-t-il à Reporterre. Leurs parents ont décidé de les envoyer ici pour les protéger. Ce sont des familles pauvres, sans passeport. Ils ne peuvent pas se permettre de faire le voyage jusque dans un autre pays. » Voyant approcher les chars de Vladimir Poutine, une autre famille vivant à proximité de la frontière biélorusse a fui le matin des premiers affrontements. « En temps normal, il y a neuf heures de route entre chez eux et notre gîte, poursuit l’homme. Là, ils ont mis trente-six heures. »
Moins d’un jour et demi après le début de la guerre, Natasha tente de se rassurer : « Nous sommes entourés de pays membres de l’Otan, là, à quelques kilomètres. Les Russes n’oseront jamais venir jusqu’ici. » Une réflexion que partageait le propriétaire du gîte, avant que l’angoisse ne l’envahisse : « J’aimerais dire qu’on est en sécurité, mais la vérité, c’est qu’on n’en sait rien. Qui aurait pu prédire cette situation il y a encore quelques jours ? On vit dans un cauchemar dont on aimerait se réveiller. Il est tout à fait probable que Poutine veuille conquérir tout le pays. »
Les pays limitrophes se préparent à la vague migratoire
Face à ce flux migratoire, Linda Thomas-Greenfield, ambassadrice étasunienne à l’Organisation des Nations unies (ONU), estime à près de cinq millions le nombre potentiel de déplacés dans les prochaines semaines. Préparés à l’éventualité d’une nouvelle crise de réfugiés, plusieurs pays limitrophes ont d’ores et déjà assuré leur soutien à la population ukrainienne. La Pologne, qui compte déjà 1,5 million de ressortissants ukrainiens, prépare depuis plusieurs semaines des plans d’urgence pour accueillir « une vague allant même jusqu’à un million de personnes ». Le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, a formé un groupe de travail dont la mission est de définir les besoins en matière de soins médicaux, de transport, d’éducation et de logistique. Les enfants et adolescents réfugiés pourront intégrer les écoles et universités polonaises.
En Slovaquie, quatre camps de réfugiés sont d’ores et déjà prêts à héberger les demandeurs d’asile. « Si la situation l’exige, nous pouvons aussi utiliser les installations d’hébergement existantes du ministère de l’Intérieur et d’autres ministères », a annoncé Roman Mikulec, ministre de l’Intérieur. Même élan de solidarité en Roumanie, pays parmi les plus précaires de l’Union européenne, où l’État envisage de mettre en place des centres d’accueil le long de la frontière. Enfin, la présidente moldave, Maia Sandu, a déclaré sur Twitter avoir offert l’hospitalité à plus de 4 000 personnes, jeudi 24 février : « Nos frontières sont ouvertes aux citoyens ukrainiens qui ont besoin d’un endroit sécurisé. »
Le Premier ministre nationaliste hongrois, Viktor Orban, craint que la vague migratoire ne redessine « fondamentalement la situation politique et économique » de son pays. Il est en train de déployer ses troupes à la frontière avec l’Ukraine, à des fins de sécurité et d’aide humanitaire. En dépit de sa politique migratoire très restrictive, son voisin autrichien, qui n’a pas de frontière avec l’Ukraine, a également affiché son soutien à la population envahie. « Nous sommes une famille européenne et les familles se soutiennent les unes les autres », a déclaré le chancelier Karl Nehammer.
La France prête à accueillir des réfugiés ukrainiens
« La France prendra sa part ». Vendredi 25 février, à l’issue du Conseil européen dédié à l’invasion de l’Ukraine, Emmanuel Macron a assuré que la France participera à l’accueil des réfugiés, sans donner davantage de précisions. La veille, lors d’une manifestation de solidarité tenue sur la place de la Comédie, à Lyon, le maire écologiste Grégory Doucet appelait l’Europe à une réaction plus forte : « Le niveau des sanctions jusqu’ici symboliques doit s’élever. Si on n’actionne pas tous les leviers, on aura des résultats partiels », a déclaré l’édile, marqué par son expérience dans l’humanitaire avec Handicap international. « En tant que ville, on prendra toute notre part dans la solidarité concrète que l’on pourra exercer auprès du peuple ukrainien. On se tiendra prêt pour accueillir des réfugiés. »