Habitats collectifs, friches à rénover… Ces villes préservent les sols

- © Juan Mendez / Reporterre
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Étalement urbain Habitat et urbanisme AlternativesAvec différentes initiatives, des communes ont réussi le pari de moins artificialiser les sols. C’est le cas des 152 communes réunies autour des rives du Rhône. [3/3]
Vous lisez la partie 3 de l’enquête « La fin des sols artificialisés, un objectif lointain ».
Vienne (Isère), reportage
« Nous sommes sur la bonne voie pour respecter la loi Climat. » Julien Lahaie, ingénieur-urbaniste et directeur du Syndicat mixte des Rives du Rhône, en veut pour preuve la large avance de leur schéma de cohérence territoriale (Scot). Réunissant 152 communes, celui-ci prévoit un objectif de réduction foncière d’environ 48 % d’ici à 2040 par rapport à la période 2005-2015. Un objectif ambitieux, alors que l’ambition zéro artificialisation nette, qui vise la division par deux du rythme de la consommation d’espace jusqu’à 2031, peine à se mettre en route à l’échelle nationale.
« Nous sommes entourés des métropoles de Lyon, Saint-Étienne, Grenoble et l’agglomération de Valence. Plutôt que se considérer comme des petites intercommunalités en marge, dépendantes des métropoles voisines, les élus se sont dit que, ensemble, ils seraient plus forts pour se développer comme un territoire majeur », explique Julien Lahaie. Surtout que Vienne, Roussillon (Isère), Annonay (Ardèche) et toutes les communes qui les entourent ne manquent pas d’atouts à faire valoir.
Les hauteurs de la vallée du Rhône sont parsemées de vignes, tandis que les rives du fleuve accueillent de grandes zones industrielles, dont la centrale nucléaire de Saint-Alban. À l’ouest, le parc naturel du massif du Pilat, à l’est, des espaces majoritairement agricoles. On recense ici plus d’une dizaine d’AOP, tels que les vins côte-rôtie, condrieu ou encore château-grillet. « Nous pouvons nous considérer comme le grenier des métropoles. Nous sommes également de gros producteurs de fraises, pommes et abricots », fait valoir Julien Lahaie.

Comme ailleurs, le territoire s’est artificialisé à un rythme soutenu depuis 1990 : 5 462 hectares exactement. Mais, très tôt, il s’est emparé du sujet. En périphérie des villes, on croise peu de zones commerciales, ces chaînes de magasins et de restauration rapide peu esthétiques installés uniformément le long des routes de tout le pays, qu’un article de Télérama avait qualifié de « France moche ». Les élus des Rives du Rhône ont eu la bonne idée de geler, dès le premier Scot approuvé en 2012, la création de ce type de zones commerciales, bien souvent construites sur des espaces agricoles, avec de grands parkings et des magasins en forme de « boîtes à chaussure », comme dit Julien Lahaie.
Habitats collectifs, friches à rénover…
Pour ce qui concerne les zones d’activités, on privilégie les terrains existants. C’est d’ailleurs sur la plateforme chimique de Roussillon, où il est déjà implanté, que le groupe Seqens a annoncé vouloir relancer la production de paracétamol. Preuve que relocalisation ne rime pas forcément avec artificialisation.
Quatre-vingt-dix friches ont été recensées sur le territoire. Quinze d’entre elles, comme un ancien hôtel-restaurant dans le cœur du bourg de Saint-Martin-d’Août (Drôme) ou encore une ancienne tannerie à Saint-Barthélemy (Isère), pourraient être transformées en logements ou en diverses activités. D’autres friches vont être renaturées, car elles occupent des terrains qui ne sont pas adaptés pour une réhabilitation. Par ailleurs, la ville de Vienne s’attelle à la rénovation de ses logements vacants. Un travail fastidieux, car dans cette ancienne cité antique de nombreux bâtiments sont classés.
Mais la première cause d’artificialisation, ici, comme dans le reste de l’Hexagone, est surtout la construction de maisons individuelles, responsables de 50 à 75 % de l’artificialisation selon les périodes. Le territoire est le siège d’une forte croissance résidentielle. Des familles viennent de la métropole de Lyon, accessible en moins d’une heure de train, « chercher du vert », explique l’ingénieur-urbaniste. « Les nouveaux arrivants voudraient des maisons individuelles, à nous de les convaincre que ce modèle ne fonctionne plus et qu’il faut se tourner vers de nouvelles formes urbaines, comme l’habitat collectif. Entre 2015 et 2022, les transactions dans l’immobilier collectif ont été multipliées par trois. »

« Densité douce » signifie construire plus de logements par hectare, mais pas de grandes tours, qui s’inscriraient mal dans le paysage. « Les communes développent des petits immeubles collectifs, avec des espaces extérieurs, balcons ou petites cours », explique Julien Lahaie. Chavanay (Loire) a accueilli une trentaine de logements en contrebas d’une vigne. La commune de Champagne (Ardèche), elle, a construit un écoquartier qui mêle appartements et petites maisons, dans un style architectural proche des bâtiments existants. « Ces habitats se vendent très bien. Nous n’avons quasiment pas de logements neufs en stock sur le territoire », précise notre interlocuteur. Repenser l’habitat, c’est aussi repenser la notion de propriété. Les espaces de nature, ici, sont tout autour des habitats, et non plus seulement dans des jardins individuels.

Le Syndicat mixte des Rives du Rhône intervient auprès des communes pour les accompagner dans ces nouvelles manières de construire. Il mène également de nombreuses études pour trouver de nouvelles solutions de sobriété foncière. La démarche « bimby », acronyme de « Build in My BackYard » (« construire dans mon jardin »), est ainsi à l’étude. Il s’agit d’accompagner les particuliers dans l’accueil de nouveaux logements sur leurs terrains pour éviter de construire en périphérie.
La structure se penche également sur les possibilités « d’intensification » et de « chrono aménagement », c’est-à-dire optimiser l’utilisation des bâtiments plutôt que de multiplier les constructions. « Les locaux des bibliothèques, par exemple, pourraient être utilisés par des associations pendant les horaires où elles ne sont pas ouvertes au public », explique Julien Lahaie. Il cite également l’exemple des cours d’école à Paris, qui sont ouvertes à tous le samedi. Ou encore l’île de Noirmoutier, où une école est transformée hors période scolaire en hébergement pour des familles précaires qui viennent en vacances.
Une grande base de données sur la biodiversité
Les premiers résultats de cette politique se font déjà sentir. Entre 2015 et 2020, le rythme de l’artificialisation a été divisé par deux par rapport aux années précédentes. « Nous ne sommes pas uniquement dans une logique quantitative qui consisterait à simplement construire par endroit et renaturer par d’autres », précise Julien Lahaie. Dans les Rives du Rhône, la lutte contre l’artificialisation va de pair avec la préservation de la biodiversité. Associations environnementales, fédérations de chasse et de pêche, collectivités et entreprises se sont réunies dès 2010 au sein d’un « réseau de veille pour la biodiversité », devenu en 2019 l’association Rives Nature. Cette structure permet notamment de centraliser les connaissances sur l’état de la biodiversité sur le territoire.

« Notre objectif est de créer une grande base de données, accessible aux élus et à tous ceux qui veulent concevoir un projet, car c’est la connaissance de la biodiversité qui va permettre de prendre en compte ses particularités. Ce n’est pas : on aménage et ensuite on regarde l’impact », explique Philippe Genty, maire de Saint-Maurice-l’Exil et président de l’association Rives Nature. Depuis l’hôtel de ville — celui-ci est équipé de panneaux solaires et d’un système de géothermie —, le maire a vue sur le parc naturel du Pilat. Ce dernier est également membre de Rives Nature, et un partenaire de poids pour orienter les politiques environnementales. Elle propose des formations aux élus du territoire « qui n’ont pas tous la même sensibilité à la biodiversité », dixit Philippe Genty, et fait des actions de sensibilisation dans les écoles.

La désimperméabilisation des cours d’école, mais aussi des lotissements
Toujours sur le volet biodiversité, le Syndicat mixte des Rives du Rhône travaille sur des projets de renaturation et de désimperméabilisation. « Nous incitons les élus à faire de la gestion alternative des eaux pluviales et les accompagnons dans cette démarche », explique Aglaé Bullich, salariée de la structure chargée de ce sujet. Il s’agit de faire des aménagements pour que les eaux pluviales soient stockées ou filtrées dans différents ouvrages, et non plus évacuées dans le réseau des eaux usées. Un sujet d’autant plus important que le territoire, avec la présence du Rhône, présente un fort risque d’inondation. La désimperméabilisation consiste à remplacer le bitume par des espaces mêlant différentes matières végétales. Un projet a ainsi été mené dans une école dans la commune de Chasse-sur-Rhône (Isère).
Mais l’installation de noues végétalisées peut aussi se faire dans des lotissements, comme cela a été fait à Valleron, un quartier de Serpaize (Isère). « On peut repenser la manière de circuler dans les lotissements, en créant des zones de circulation apaisée et en désimperméabilisant les trottoirs », dit Aglaé Bullich. Selon elle, si les habitants ont pu être sceptiques à propos de la réduction de la place de la voiture, ils sont aujourd’hui « très satisfaits ». Les zones commerciales peuvent elles aussi accueillir des dispositifs favorisant plus de biodiversité et une meilleure gestion des eaux pluviales. « Il est possible de mutualiser les places de stationnement entre les différents commerces, de faire des places de parkings perméables et des toitures végétalisées sur les commerces. »
Nombre d’initiatives existent, donc, pour parvenir à une division par deux du rythme de la consommation foncière. À l’échelle nationale, il reste encore beaucoup à faire.