Inondations au Pakistan : « 2022 est une année noire »

Des Pakistanais touchés par les inondations le 29 août 2022, dans la province du Pendjab, à Dera Ghazi Khan. - © Shahid Saeed Mirza / AFP
Des Pakistanais touchés par les inondations le 29 août 2022, dans la province du Pendjab, à Dera Ghazi Khan. - © Shahid Saeed Mirza / AFP
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Depuis juin, des pluies torrentielles mortelles s’abattent sur le Pakistan. Elles sont responsables d’une crise humanitaire dans un pays déjà touché par une crise économique et politique.
Plus de 1 100 personnes décédées, un million de maisons détruites ou endommagées, un tiers du pays sous l’eau… et un bilan qui ne cesse de s’alourdir. Depuis juin et le début de la mousson, des pluies torrentielles s’abattent sur le Pakistan, qui avait déjà subi une vague de chaleur extrême ces derniers mois.
La ministre du changement climatique Sherry Rehman a estimé que 33 millions de personnes sont affectées par cette catastrophe, soit une personne sur sept de ce pays comptant 220 millions d’habitants. En état d’urgence nationale, le pays a lancé le 26 août un appel à l’aide à la communauté internationale – il négocie en outre un plan de sauvetage avec le Fonds monétaire international (FMI). Jean-Luc Racine, spécialiste du Pakistan, directeur de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et chercheur senior au groupe de réflexion Asia Centre, a répondu à nos questions.
Que vous inspire la situation actuelle au Pakistan ?
Jean-Luc Racine — Comme l’a écrit un journaliste pakistanais, l’expression qui résume le mieux la situation actuelle est « Apocalypse now ». Il y avait déjà eu des inondations très sérieuses en 2010 [qui avaient causé la mort de 2 000 personnes], mais celles de cet été n’ont rien à voir : ce sont les plus graves que le pays a jamais connues. Dans certaines provinces, en particulier dans celle du Sindh, l’eau déborde dans les vallées. On est incapable aujourd’hui d’évaluer précisément l’ampleur des dégâts, on ne la connaîtra que quand l’eau sera asséchée. Mais cela pose des questions de santé publique : au-delà des plus de 1 100 décès déjà annoncés, la ministre du changement climatique Sherry Rehman a estimé que 33 millions de personnes sont affectées par la catastrophe. Cela pose la question de l’accès à l’eau potable ou encore celle de l’exposition des populations vivant dans les campagnes à des maladies transmises par les moustiques. [En stagnant, l’eau des inondations entraîne une prolifération de moustiques qui sont notamment porteurs du paludisme.]
Le pays est-il préparé à encaisser ce genre de catastrophe ? Selon l’ONG Germanwatch, en 2020, il se classait en huitième position des États les plus vulnérables face au dérèglement climatique.
De toute évidence : non. D’autant que le Pakistan repose sur un système fédéral, avec des gouvernements élus dans chacune des cinq provinces du pays. Face à une catastrophe de cette ampleur se pose la question de comment coordonner l’action du gouvernement central avec les politiques et capacités inégales des gouvernements provinciaux. Mais cette année, il y a eu une prise de conscience de la réalité du changement climatique — y compris du côté des États riches. De là à ce que cette prise de conscience se traduise en efficacité politique, au Pakistan ou ailleurs... La presse pakistanaise souligne ces jours-ci l’existence du dérèglement climatique et, par voie de conséquence, explique comment les gouvernements pakistanais successifs n’ont pas fait face au problème. D’autant qu’entre mars et juin, le pays a souffert d’un manque d’accès à l’eau en raison d’une vague de chaleur extrême, et, qu’aujourd’hui, il est complètement inondé. Cela repose la question de la maîtrise de l’eau dans le pays.

Un autre point d’interrogation important est celui de la fonte des glaciers himalayens causée par le réchauffement climatique [ce qui, par ricochet, provoque des épisodes d’inondations ou bien de grande sécheresse]. Ces glaciers alimentent le bassin de l’Indus, qui est essentiel pour le Pakistan : ce fleuve majeur, avec ses affluents, est la clé de l’agriculture d’un pays qui repose encore largement sur une économie agricole.
Le Pakistan va-t-il s’en relever ?
Les conséquences économiques vont être absolument dramatiques pour les populations : les petits paysans, qui sont majoritaires dans le pays, vont avoir beaucoup de mal à se relever de la destruction des récoltes causée par la sécheresse puis par ces inondations. Cela va aussi avoir des effets sur le secteur industriel, qu’il s’agisse de l’agrobusiness qui produit du riz ou de l’industrie textile qui, avec ses cultures de coton, est l’un des champs d’exportation majeurs du pays.
Et ce, d’autant plus que le pays était déjà plongé dans une crise économique, financière et politique particulièrement grave. En avril dernier, le Premier ministre Imran Khan a été renversé par un vote de défiance de l’Assemblée nationale. Depuis, le gouvernement de coalition a du mal à se structurer. Il est en outre sous le coup des attaques verbales de l’ancien Premier ministre, qui a gardé un fort pouvoir de mobilisation de ses partisans. Le pays fait donc face à une triple conjonction : grande fragilité politique, crise économique et financière et catastrophes naturelles d’une ampleur jamais vue qui créent une crise humanitaire. Il s’agit d’une espèce de cercle vicieux : 2022 est une année noire pour le Pakistan.