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Énergie

Inquiétudes après la mégafissure à la centrale nucléaire de Penly

La fissure découverte sur un réacteur de la centrale nucléaire de Penly s’étend sur 155 mm, et sa profondeur est de 23 mm, pour une épaisseur de 27 mm. Ici, en décembre 2022.

Taille importante, localisation inédite : la fissure découverte sur l’un des réacteurs de la centrale de Penly interroge. D’autres réacteurs pourraient être concernés par ce défaut.

Nouveau coup dur pour EDF. Ce dernier a découvert une nouvelle fissure, inédite par sa profondeur et sa localisation, sur le réacteur no 1 de 1 300 mégawatts (MW) de la centrale nucléaire de Penly (Seine-Maritime). Un nouvel épisode dans la série noire de la corrosion sous contrainte, qui pourrit la vie de l’électricien depuis bientôt un an et demi.

Cette fois-ci, « la fissure s’étend sur 155 mm, soit environ le quart de la circonférence de la tuyauterie, et sa profondeur est de 23 mm, pour une épaisseur de 27 mm », décrit l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Elle se situe sur la branche chaude du circuit d’injection de sûreté [1], un système d’une importance cruciale pour prévenir les accidents nucléaires graves puisqu’il permet de refroidir le cœur du réacteur en cas de brèche dans le circuit primaire. EDF l’a découverte en janvier, à l’occasion d’une expertise sur une soudure réalisée dans le cadre du programme de contrôle de corrosion sous contrainte.

Une fissure d’une taille inédite

Première surprise : la fissure est d’une profondeur jamais observée auparavant. « Les défauts découverts jusqu’à présent étaient plutôt de l’ordre de 2 à 6 mm », rappelle à Reporterre Karine Herviou, directrice générale adjointe de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), chargée du pôle sûreté des installations et systèmes nucléaires. Qui alerte sur le risque de rupture du tuyau et de fuite au niveau du système de refroidissement principal du réacteur.

Est-ce grave ? Difficile à dire. Chaque réacteur est doté de quatre boucles d’injection de sûreté : si l’une se rompt, les trois autres sont censées pouvoir prendre le relais et suffire pour éviter l’accident. « Après la découverte du problème de corrosion sous contrainte, EDF a refait des calculs et démontré que le cœur pourrait être refroidi même si deux boucles étaient rompues. Le groupe a aussi sensibilisé les équipes de conduite en salle des commandes pour qu’elles arrêtent le cœur rapidement au moindre doute sur l’occurrence d’une fuite », rassure Karine Herviou.

Une fuite d’eau légèrement radioactive dans l’enceinte de confinement du réacteur n’en reste pas moins un événement hautement problématique, même s’il n’y a pas de contamination de l’environnement alentour. « C’est la catégorie la plus grave d’accident pris en compte aujourd’hui, explique Yves Marignac, expert nucléaire à l’association NégaWatt et membre des groupes permanents d’experts de l’ASN. Ça entraîne une contamination de l’ensemble de l’enceinte de confinement et ça met des années à être réparé. » Il ne faudrait pas non plus que plus de deux boucles du circuit d’injection de sûreté rompent simultanément. « Or, même si c’est peu probable, ce n’est pas exclu, car ces quatre boucles sont exactement semblables et peuvent donc être frappées du même défaut », redoute l’expert nucléaire.

Une zone jusqu’ici « non sensible »

Quoiqu’il en soit, la découverte de cette fissure a été jugée suffisamment grave pour que l’ASN le classe au niveau 2 de l’échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques (Ines). Un classement relativement rare, puisqu’il ne concerne que quelques incidents chaque année — la majorité d’entre eux sont considérés comme de simples anomalies et classés au niveau 1.

Deuxième fait inattendu, la fissure découverte à Penly 1 est située dans une zone qui était jusqu’à présent considérée comme « non sensible » par EDF. Ce sont des contrôles additionnels et non systématiques, sur des coudes où l’électricien ne pensait pas trouver de défauts, qui l’ont mise au jour, explique Yves Marignac. « Jusqu’ici, l’essentiel des problèmes a été trouvé sur la branche froide, la partie du circuit d’injection de sûreté qui vient injecter de l’eau dans la cuve », indique-t-il.

« Des réacteurs de 900 MW peuvent également être concernés »

Enfin, cette fissure n’aurait pas été causée par les facteurs habituellement évoqués par EDF — géométrie des lignes de tuyauterie, conditions de soudage. Le responsable serait cette fois-ci une double réparation visant à réaligner certains tuyaux, lors de la construction du réacteur, « ce qui est de nature à modifier ses propriétés mécaniques et les contraintes internes du métal au niveau de cette zone », juge l’ASN. « Un facteur qui n’avait pas vraiment été identifié et discuté jusque-là », signale Yves Marignac.

Quid des autres réacteurs ?

Ce n’est donc pas un fil qu’EDF risque de tirer avec cette découverte, mais toute une pelote de nouvelles difficultés. Première question : d’autres réacteurs peuvent-ils être touchés par ces mégafissures ? « Comme elle n’était pas considérée comme zone sensible, la branche chaude des circuits d’injection de sûreté n’a pas été contrôlée de manière systématique sur les réacteurs déjà traités », dit Yves Marignac.

Il faudra donc y revenir, selon lui. Avec une vigilance particulière à l’égard des réacteurs de 1 300 MW, et notamment aux onze autres installations du palier P’4 — construits exactement sur le même modèle et à la même époque que Penly 1. « Mais comme le risque est également lié à des opérations de réalignement et de réparation, des réacteurs de 900 MW, qu’on considérait jusqu’à présent comme peu à risque, peuvent également être concernés », redoute l’expert.

EDF avait déjà prévu de remplacer les lignes de tuyauterie le plus à risque du palier P’4 en 2023 et de contrôler toutes les autres. Ces opérations devaient être étalées tout au long de l’année 2023. Mais après la découverte de la mégafissure de Penly 1, l’ASN a demandé au groupe de réviser sa stratégie et notamment de recenser toutes les soudures et les tuyaux qui ont fait l’objet de réparations ou d’opérations de réalignement par le passé. EDF doit rendre sa copie dans les prochains jours.

Va-t-il falloir accélérer le rythme des arrêts pour contrôle et réparation, remplacer plus de lignes ? Impossible à dire pour le moment. Mais deux sources interrogées par le média spécialisé Contexte estiment que le problème est suffisamment sérieux pour que soit posée la question du maintien en service des onze réacteurs similaires à Penly 1.

En 2022, la production nucléaire nationale s’était établie à 279 térawattheures (TWh), le niveau de production le plus bas depuis plus de trente ans. Lors de la présentation des résultats du groupe, en février dernier, le nouveau PDG, Luc Rémont, avait largement incriminé l’indisponibilité du parc liée au problème de fissures. « Nous confirmons pour 2023 la fourchette de production nucléaire de 300 à 330 TWh correspondant à une sortie progressive de ce phénomène de corrosion sous contrainte », avait-il néanmoins déclaré, plein d’optimisme. Il se pourrait que cette nouvelle découverte perturbe à nouveau les plans du groupe.

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