Intimidations, arrestations… Les écologistes biélorusses réprimés par le pouvoir

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Monde Luttes NucléaireLe lancement de la première centrale nucléaire du pays pour 2021 et la pollution des usines suscitent une vive inquiétude chez les écologistes biélorusses. Mais la priorité demeure la situation politique : les activistes environnementaux, réprimés par le pouvoir, sont largement investis dans l’opposition au président contesté Alexandre Loukachenko.
- Minsk (Biélorussie), reportage
« Ne les croyez jamais. Vous avez le droit de ne pas ouvrir la porte s’ils n’ont pas de mandat de perquisition. Exigez la présence d’un avocat ! » dit Irina Soukhiy, la « grand-mère » du mouvement écologiste de Biélorussie. Elle entend ainsi prévenir ceux « qui n’ont pas encore eu de visite à domicile ». Elle-même a subi cette « visite » début septembre. Quatre hommes cagoulés et un, la tête découverte, l’ont amenée au poste de police « pour une conversation ». Dans les faits, « personne ne m’a parlé, raconte Irina, membre du conseil de l’ONG Ecohome et porte-parole du parti des Verts biélorusse. On m’a tout de suite mis le visage contre le mur et les bras derrière le dos. » Son appartement a été perquisitionné et elle est restée en prison pendant cinq jours. Le motif ? Sa participation, le 29 août dernier, à une manifestation contre le lancement de la première centrale nucléaire dans le pays. Elle portait une pancarte.
Ce qui est arrivé à Irina est banal. Plus exactement, cela est devenu banal après le 9 août, jour de l’élection présidentielle. Selon la version officielle, Alexandre Loukachenko, qui détient le pouvoir de ce pays de 9,5 millions d’habitants depuis 1994, a obtenu plus de 80 % des voix. Il s’agit de son sixième mandat. Selon la version des protestataires, qui descendent dans la rue tous les jours depuis l’élection, le vote a été falsifié et c’est une autre candidate, Svetlana Tikhanovskaïa, qui l’a remportée. Comme l’Union européenne, la coalition d’ONG écologiques Réseau vert a déclaré en septembre qu’elle ne reconnaissait pas les résultats de l’élection présidentielle.
- Minsk, le 16 août 2020.
Pour les opposants à Loukachenko, ce dernier est un dictateur, responsable de violences, de blessures et de meurtres de manifestants pacifiques. Des personnes arrêtées auraient été torturées, violées, comme cela est documenté dans les rapports de l’ONU et de Human rights watch. Plus de 10.000 personnes ont été « abusivement arrêtées », estime Anaïs Marin, rapporteuse spéciale de l’ONU sur les droits de l’Homme en Biélorussie. Elle a fait état de plus de 500 signalements d’actes de torture.
Les Biélorusses n’ont pas oublié l’explosion à la centrale de Tchernobyl
« À l’heure qu’il est, l’activité principale de notre ONG n’est pas beaucoup soutenue par la société alors que l’abattage des forêts continue et que des industries polluantes n’ont pas disparu », dit Irina. Le lancement de la première centrale nucléaire du pays, à Ostrovets, à quarante kilomètres de la capitale lituanienne, est prévu pour 2021. Les Biélorusses n’ont pas oublié l’explosion à la centrale de Tchernobyl, qui a durablement contaminé leur pays [1]. Mais la société civile est focalisée sur la situation politique, tout comme les activistes et les membres des ONG écologiques. Avant l’élection, ils ont souvent participé aux réunions de plusieurs candidats à la présidence et ont été des observateurs indépendants lors du vote. Aujourd’hui, ils aident les défenseurs des droits humains, participent à des marches de femmes — celle du 19 septembre, à Minsk, a rassemblé 2.000 femmes, plusieurs centaines d’entre elles ont été arrêtées — et traduisent des informations fiables pour leurs partenaires occidentaux.
- Irina Soukhiy (à droite), à une manifestation contre la centrale nucléaire, fin août.
« L’un de nos gars a été arrêté pendant une action et il est resté six jours en détention »
La pression du pouvoir s’applique à tous les niveaux, y compris à celui des initiatives locales, apolitiques. Par exemple, le 13 septembre, un dimanche, un résident de la ville de Gomel organisait un nettoyage autour d’un lac. Quelques jours plus tard, il était arrêté et détenu pendant trois jours. La pression concerne également ceux qui, avant les élections, ont activement participé aux activités écologistes — les ONG disent ne pas recevoir de menaces directes. Le 9 août, le coordinateur d’une inspection écologique indépendante, Denis Touchinski, a été arrêté en tant qu’observateur, dans un bureau de vote. Le 27 août, on a arrêté, chez elle, Svetlana Korol, créatrice du mouvement cycliste de Gomel et membre du Conseil de coordination de Biélorussie. Le 23 septembre, c’était le tour du membre du conseil du Réseau vert, Leonid Platonenko. Et la liste est loin d’être exhaustive.
« L’un de nos gars a été arrêté pendant une action et il est resté six jours en détention, explique le président de l’ONG Le temps de la Terre, Grigori Terentiev. Personnellement, j’ai subi des pressions de la part du KGB [le service de renseignements biélorusse a gardé le nom soviétique] — récemment, on m’a contacté et invité à une rencontre, via Viber [un logiciel de communication], pour discuter, et cela ne me plaît pas. J’ai déjà eu une rencontre au KGB il y a quatre ans. Des agents surveillent les activistes, et je dirige une ONG. Alors, cette fois, j’ai refusé d’y aller et j’ai demandé à ce qu’on m’envoie un courrier officiel. »
Des agents ont tenté d’arrêter deux membres d’Ecohome chez eux, mais ne les ont pas trouvés. Au sein de l’organisation, on pense que le KGB essaie d’intimider des militantes. « Ce sont des tentatives visant à trouver les organisatrices des marches de femmes. Mais ces organisatrices n’existent pas, tout est décentralisé », raconte la membre du conseil d’Ecohome, Irina Soukhiy.
- Des fleurs en souvenir de la première personne qui a péri lors des manifestations. Le 16 août 2020, Minsk.
La Société de cyclistes de Minsk ne se considère, elle, pas menacée. « Il n’y a pas de menace directe contre nous. Et nous ne recevons pas de financement local ou étranger que l’État pourrait bloquer », dit le président Evgueni Khoroujiy.
Les financements représentent un problème à part. Il est très difficile de les obtenir que ce soit à l’intérieur du pays ou à l’étranger. En juin, la publication d’un arrêté a compliqué encore davantage l’enregistrement de l’aide financière pour des projets qui ne sont pas réalisés par l’État. De surcroît, les autorités ont commencé à manifester un intérêt inhabituel pour des financements obtenus dans le passé. L’une des structures du ministère de l’Intérieur réclame aux ONG des documents relatifs à leur financement « pour des besoins de service ».
L’État intimide les ONG pour montrer qu’elles sont « sous contrôle du ministère »
Selon la directrice de l’ONG Lawtrend — spécialisée dans l’aide légale — Olga Smolianko, la pression et l’intimidation caractérisent la politique d’État à l’égard des ONG et des activistes. « Des lettres réclamant des documents financiers sont un moyen de démontrer que les ONG et leur financement se trouvent sous contrôle du ministère », affirme la défenseure des droits humains. Elle raconte que Lawtrend a reçu dernièrement près de trente demandes de consultation de la part d’ONG de différentes orientations. « L’État parle d’un renforcement du contrôle sur l’aide financière étrangère et établit un lien entre certains bénéficiaires d’une telle aide et l’organisation et le financement des protestations. Ces réclamations sont un facteur d’intimidation des ONG », affirme Smolianko.
- Lizaveta Chalaï, directrice d’une ONG soumise à un contrôle financier accru.
Minsk urban platform fut parmi les ONG soumises à un contrôle financier accru. Au moment du contrôle, quatre activistes étaient déjà partis à Kiev, en Ukraine, et deux autres s’apprêtent à partir. Soit le départ de la moitié du noyau de l’organisation. « Sont partis surtout ceux qui pouvaient être menacés à Minsk, mais aussi ceux qui se sentaient moralement abattus et angoissés », raconte Lizaveta Chalaï, directrice et coordinatrice de projets de la plateforme. « Dans un État de droit, le contrôle de pièces comptables ne peut être perçu comme une menace, mais la Biélorussie se trouve dans une situation de faillite morale », précise-t-elle. Le groupe continue son travail et réfléchit à la façon de rendre ses projets encore plus actuels. L’équipe espère « rentrer au pays et y continuer son travail. Nous partons pour rester en liberté ».
« La perspective la plus effroyable, c’est l’instauration d’une dictature militaire »
« Si le régime de Loukachenko n’est pas aboli, toutes les ONG indépendantes seront fermées ou confrontées à des problèmes graves. Et la perspective la plus effroyable, c’est l’instauration d’une dictature militaire », dit l’écologiste Irina Soukhiy. Cependant, selon le directeur du Centre de transformation européenne et membre du conseil du Réseau vert, Andrei Egorov, une révolution démocratique est en marche. Début septembre, il a été arrêté pendant une manifestation à Minsk et il est resté dix jours derrière les barreaux. « Des masses de gens provenant de tous les groupes sociaux, des citadins et des villageois, soutiennent le mouvement. Partout au Bélarus », dit Egorov.
- Place centrale de Minsk avant une manifestation. Août 2020.
Selon le politologue, deux revendications émergent : le rétablissement des instituts de droit et des enquêtes concernant les violences policières ; et un fonctionnement normal des institutions démocratiques, avec, entre autres, l’organisation d’une nouvelle élection présidentielle. L’agenda écologique ne figure pas parmi ces exigences, mais il apparaîtra si la révolution a lieu. « Il y aura alors la possibilité de réaliser des aspirations particulières qui, dans le passé, n’étaient pas au premier plan », explique le politologue. La lutte contre la centrale nucléaire par exemple, ou contre les usines polluantes, comme celle de batteries à Brest.
« La tâche prioritaire aujourd’hui, c’est le transfert du pouvoir. Mais on ne peut pas dire que l’agenda vert n’est pas d’actualité. Des communautés locales sont en plein essor, ce qui correspond à l’un des fondements de l’idéologie verte », dit Anastasia Dorofeïeva, secrétaire internationale du parti biélorusse des Verts. « Les Verts ont des solutions qui peuvent aider à traverser plus facilement la crise lors du changement du système économique et politique : l’économie de partage, l’énergie verte durable, le développement des liens économiques au niveau des localités, l’autogestion communautaire... Si nous introduisons ces principes au niveau des communautés locales, nous pourrons transformer la Biélorussie en un pays qui donnera au monde entier l’exemple de relations économiques et politiques nouvelles. »