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EntretienÉconomie

Julien Bayou : « Le revenu de base libère une partie de la population »

Il y a trois mois, Julien Bayou a lancé l’initiative « Mon revenu de base »,. Le but : expérimenter concrètement le fonctionnement de cet outil social. Pour Colibris le mag, il revient sur les débuts de cette mise en pratique unique en France.

Militant associatif et conseiller régional écologiste d’Île-de-France, Julien Bayou a lancé en novembre 2017 une expérimentation citoyenne du revenu de base avec une dizaine de bénévoles et le soutien du Mouvement français pour un revenu de base (MFRB).


Le principe de « Mon revenu de base » est simple : tous les 12.000 euros récoltés grâce à un financement participatif, l’association redistribue la somme de 1.000 € mensuelle à une personne tirée au sort parmi les 80.000 pour l’instant inscrites sur le site. Et ce, sans contrepartie. Pas même celle d’avoir contribué au financement ; il est possible de prendre part au tirage au sort sans verser d’argent et vice-versa. Le 6 décembre, les trois premiers bénéficiaires ont été désignés : Denis, Caroline et Brigitte. Dans la foulée, une nouvelle opération de collecte a été lancée et les inscriptions restent ouvertes — l’expérience continue…


On connaît le militant de Jeudi noir et de Nuit debout, l’homme politique élu et porte-parole d’Europe Écologie-Les Verts. Depuis peu, on découvre le citoyen engagé en faveur du revenu de base. Comment en êtes-vous arrivé à vous saisir de ce sujet en vogue ?

Julien Bayou — Ça n’est pas vraiment une idée neuve pour moi, on parlait déjà du revenu minimal en 2009 pendant les élections européennes. Mais je me suis vraiment emparé du sujet en croisant la route du Mouvement français pour un revenu de base (MFRB), il y a quelques années. Ce qui m’a frappé, et beaucoup plu d’ailleurs, c’est qu’au lieu d’une révolution, ils proposaient un chemin en douceur, la mise en place d’un revenu de base par étapes. En commençant notamment par rendre le RSA [revenu de solidarité active] automatique, pour éviter le tiers de non-recours actuel. Une fois le RSA rendu automatique, il s’agira de le verser aux 18-25 ans, qui en sont aujourd’hui exclus alors qu’ils font partie de ceux qui en ont le plus besoin. Il sera ensuite temps de l’individualiser, puis de l’universaliser pour obtenir un véritable revenu de base tel que le définit le MFRB : universel, individuel, inconditionnel, inaliénable, permanent et cumulable.

C’est comme cela, me semble-t-il, que l’on rapproche l’utopie de l’horizon immédiat. 

L’équipe de bénévoles de l’association MonRevenuDeBase à l’automne 2017.


Et à quelle utopie répond ce revenu universel exactement ?

Oh, le revenu de base coche beaucoup de cases ! Il permet d’abord une lutte contre la pauvreté. Pour quelqu’un qui est au RSA, qui a du mal à se soigner, qui voudrait travailler mais ne peut pas même assurer les dépenses nécessaires à la recherche d’emploi, 1.000 € par mois permet d’assainir la situation. C’est un moyen immédiat de faire reculer la précarité et la détresse la plus inacceptable.

Mais ça n’est pas tout. Le revenu de base, et c’est ce qu’il a de fabuleux, libère toute une partie de la population. Celle qui a aujourd’hui de quoi survivre mais ne s’épanouit pas du fait d’une activité, d’un rythme ou d’un lieu de vie imposés par la nécessité de subvenir à ses besoins. Le revenu de base apporte une forme de sérénité et la liberté de se réaliser dans ce qui nous correspond.


Pourrait-on également dire du revenu de base qu’il est une mesure écologique ?

On identifie bien les objectifs de lutte contre la pauvreté et de libération des énergies ; moins celui de préservation de la planète, qui est pourtant une composante essentielle du revenu de base. Dans la mesure où ce dernier peut permettre de travailler moins, de travailler mieux, de vivre où l’on souhaite, etc., on peut imaginer tout un tas d’utilisations de ce revenu qui auraient pour conséquence indirecte de réduire l’impact écologique de l’homme sur son environnement. Je connais par exemple un certain nombre de personnes qui vivent à Paris par défaut, parce que c’est là où se trouvent les emplois. Un revenu de base, surtout s’il est perçu par plusieurs membres du foyer, pourrait leur permettre de s’installer ailleurs, et notamment dans des espaces davantage ruraux. Cela induirait une pression citadine moindre, des déplacements quotidiens de la périphérie au centre de la ville restreints et autant d’effets induits qui réduiraient encore notre empreinte écologique.

On pourrait également imaginer le revenu de base comme un moyen d’accompagner les agriculteurs qui le souhaiteraient à opérer une transition vers une agriculture biologique, aujourd’hui impossible du fait du manque de ressources pendant la conversion. C’est d’ailleurs une piste qu’explore actuellement le conseil départemental du Gers.


Au-delà de votre conviction que le revenu de base peut être une solution, que cherchez-vous exactement à faire avec l’initiative « Mon revenu de base » ?

60 milliards de déficits publics, 6 millions de chômeurs, du mal-être au travail, la destruction de la planète… Ça fait beaucoup de points négatifs pour un système qui est censé être la norme. Ce que l’on veut faire, c’est aller voir ailleurs, trouver des alternatives. Monnaies locales, revenu de base… on explore ! Or, tant qu’on reste dans le théorique, c’est parole contre parole. J’ai des idées, des convictions, mais c’est tout à fait logique que quelqu’un en face en ait des différentes, et en définitive, c’est match nul balle au centre. Il faut donc de la matière concrète qui permette de passer du discours théorique à la piste de travail.

Avec l’expérimentation que nous avons lancée, chacun peut s’approprier le concept et, au travers des différents bénéficiaires, s’identifier. Se dire par exemple : « Ah tiens, j’aurais fait pareil, j’aurais mis de côté et aidé mes enfants, comme Brigitte. » Le revenu de base devient rugueux, palpable ; avec cette expérience, on interpelle toute la société et on renvoie chacun à ses propres besoins et à ses propres envies. 

Et y compris les pouvoirs publics ! Car, au-delà de ce rôle d’interpellation, notre initiative a une dimension scientifique. Le suivi des participants et des bénéficiaires nous donne une formidable matière. Celle-ci pourra être utilisée comme support à la prise de décision et à une mise en place plus globale. 


Pourquoi ne pas avoir sélectionné parmi les personnes inscrites celles qui en avaient le plus besoin ?

Pour générer la question, déjà, et ça marche à chaque fois ! On est tellement conditionné par des minima sociaux qui demandent contrepartie qu’on n’imagine pas pouvoir donner la même chose à tout le monde. Or, il s’agit de la définition même du revenu de base tel que l’entend le MFRB. Il est universel — tous les membres de la communauté le reçoivent, quels que soient leurs revenus ou leurs situations professionnelles, et inconditionnel — pas besoin de justifier une recherche d’emploi ni de travailler en échange. Cela permet de sortir d’un système de contrôle, qui biaise l’effet libérateur du revenu. 


Et quels sont les prochains petits pas pour « Mon Revenu de base » ?

Obtenir un débouché politique, sans aucun doute. On a été reçus à l’Élysée pour explorer l’idée d’une expérimentation dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté. La machine est lancée ; on va continuer à travailler avec les parlementaires pour imaginer comment éventuellement concrétiser cette idée…

Nous serions le premier pays doté d’une protection sociale étendue, bien qu’à bout de souffle, à oser l’innovation sociale d’un revenu de base. Il faut aujourd’hui laisser à chacun la possibilité de se lancer, d’expérimenter, d’échouer aussi… après tout, n’est-ce pas ça, une « start-up nation » telle que la souhaite Emmanuel Macron ?


Et vous, que feriez-vous avec un revenu de base ?

À vrai dire, j’ai déjà l’impression d’avoir un revenu de base. En tant qu’élu au conseil régional d’Île-de-France, je suis payé par le contribuable pour mener les combats qui lui sont chers et qui me sont chers — le lien social, la pauvreté, l’écologie… Il s’agit d’une obligation de moyens, je dois aller au conseil régional bien sûr, mais je dispose du temps et de la possibilité d’aller beaucoup plus loin, et d’agir comme je l’entends au rythme où je l’entends. Que demander de plus ?!

  • Propos recueillis par Gabrielle Paoli/Colibris

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