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Climat

Kali Akuno, militant noir et écolo, se bat aux Etats-Unis pour la justice climatique

Kali Akuno, ancien gangster, défend l’idée que la justice sociale et l’environnement sont indissociables. Il le met en pratique avec l’organisation Cooperation Jackson, dans cette ville pauvre et majoritairement noire du sud des États-Unis. Il est en France cette semaine et reviendra pour les mobilisations de la COP 21.

- New-York, correspondance

Après son passage à la Nouvelle Orléans en 2005, l’ouragan Katrina a laissé une ville à l’agonie, abandonnée par les pouvoirs publics. Comme souvent lors de catastrophes naturelles, les plus pauvres ont été les plus touchés. Et comme souvent, aux États-Unis, les plus pauvres sont les Noirs. C’est pourquoi, quand Kali Akuno, un militant basé à Jackson, dans le Mississippi, se bat pour les droits des Afro-Américains, il considère qu’il doit aussi lutter contre la pollution, la sécheresse, le manque d’eau potable, bref, pour la protection de l’environnement. « Le réchauffement climatique est une réalité matérielle pour nous. Notre communauté n’a pas les ressources pour acheter de l’eau supplémentaire ou pour fare face à la hausse des prix alimentaires », explique-t-il calmement, après une conférence de presse à Manhattan.

Cet ancien membre du gang des Crips a connu les violences liées à la drogue du Los Angeles des années 1980. Passé plusieurs fois à tabac par la police, il a été sauvé par sa passion pour le football américain. Une blessure l’a empêché de passer pro, mais il a gardé la carrure. Aujourd’hui, sa barbichette et ses joues rondes lui donnent l’air serein. Pourtant, il assure être toujours en colère : « Il y a urgence. Les travailleurs pauvres afro-américains sont comme les canaris dans les mines », les premières victimes qui permettent aux autres de prendre la mesure du problème environnemental.

Protéger la planète passe donc forcément par la défense d’une meilleure justice sociale. « Vous ne pouvez pas militer pour une justice climatique sans vous préoccuper des problèmes profonds causés par le système capitaliste : le racisme, le colonialisme, l’impérialisme », estime l’activiste d’une quarantaine d’années.

« Nous tentons de trouver des solutions »

Ce lien entre environnement et luttes antiracistes n’est pas nouveau. « C’est la communauté noire, dans les années 1980, qui a inventé le concept de “racisme environnemental” », rappelle Kali Akuno. En Caroline du Nord ou en Louisiane, de nombreux combats ont eu lieu pour protéger les travailleurs noirs qui vivaient près d’usines de charbon, de centrales électriques ou nucléaires : « Ils avaient des problèmes de santé majeurs, comme de l’asthme ou d’autres maladies respiratoires, une pression sanguine élevée, de l’hypertension... ce qui peut mener à une mort prématurée. »

Pourtant, faute de moyens, ces combats se sont essoufflés dans les années 1990. « Mais la prise de conscience n’a pas disparu », assure le révolutionnaire, nourri au militantisme grâce à sa famille très engagée dans des mouvements comme les Black Panthers. La seule différence, c’est qu’avant, nous essayions seulement d’arrêter les pires effets de la pollution. Aujourd’hui, nous tentons aussi de trouver des solutions.

Les siennes passent par le terrain. À Jackson, ville du sud des État-Unis, 80 % des habitants sont Noirs et la ville affiche taux de chômage officiel de 12 %. « En fait, c’est plutôt 30 %, et 60 % pour les jeunes, si on prend en compte ceux qui ont abandonné leur recherche de travail », note Kali Akuno. Avec son organisation Cooperation Jackson, il tente de créer des emplois et de mieux répartir les richesses tout en misant sur le vert. « Nous montons des coopératives tournées vers le compost, l’énergie solaire, l’agriculture locale, et nous promouvons des formes de transport alternatives, comme le vélo ou le covoiturage », énumère-t-il. En parallèle, la pression est mise sur la mairie pour changer la politique locale et faire de Jackson « la ville la plus verte des États-Unis ».

Un réseau de fermes urbaines, les « freedom farms », a déjà été créé, complété par un système de compost auquel les restaurants de la ville participent. Le but est de rendre la terre fertile dans les parties les plus délabrées de Jackson afin d’y faire pousser du bio. Les lots vacants et les maisons en ruine sont réquisitionnés pour retrouver un « usage productif et pour créer une économie locale sur la durée ».

Convaincre les plus démunis

L’objectif à dix ans est ambitieux : zéro émission, zéro gaspillage, et la création de 2.000 emplois. « Certes, cela ne répondra toujours pas à la totalité des besoins de notre communauté, admet l’organisateur. Mais à la fin, cela peut aboutir à plusieurs dizaines de milliers d’emplois. » Surtout si la baisse du coût de la vie peut mener à une réduction du temps de travail : « Les gens n’ont pas besoin de travailler huit heures par jour. S’ils ont un vrai salaire, et si on peut diminuer le prix de l’électricité, de l’eau et du logement, alors ils pourront travailler moins et avoir plus de temps pour eux. »

À terme, c’est l’autosuffisance qui est visée. « Jackson est à majorité noire, notre conseil municipal est presque entièrement composé de Noirs, et pourtant la plupart des contrats locaux sont passés avec des partenaires extérieurs à la ville, souvent dans les banlieues plus riches, se désole Kali Akuno. Or si nous subventionnons les banlieues, nous pouvons nous subventionner nous-mêmes ! »

Kali Akuno (debout), ancien gangster, défend lui aussi l’idée que la justice sociale et l’environnement sont indissociables. Il le met en pratique avec l’organisation Cooperation Jackson, dans cette ville pauvre et majoritairement noire du sud des États-Unis.

Avant d’en arriver là, l’un des principaux défis est de mobiliser la communauté. « Comment passer d’un soutien passif à un soutien actif et durable ? Nous sommes toujours en train de chercher », avoue le co-directeur de Cooperation Jackson. La cinquantaine de militants tente de communiquer un maximum avec des milliers de sympathisants, mais aussi avec les habitants les plus démunis, pour qui l’environnement n’est pas le problème le plus urgent : « Nous utilisons énormément la radio, car c’est le média local dans lequel les gens ont plus confiance. Pour attirer les jeunes, nous envahissons les réseaux sociaux. Et pour les plus pauvres qui n’ont pas d’ordinateurs ou qui sont parfois illettrés, nous privilégions le porte-à-porte et les conversations. La culture orale est très importante. »

Si le projet fonctionne, il ambitionnera de s’étendre dans le Mississippi, mais aussi au niveau national et l’international. « On ne fait pas de socialisme dans un seul pays », plaisante Kali Akuno, avant de retrouver son sérieux : « Nous arrivons à un moment crucial : dans les cinq à dix prochaines années, les humains pourront encore modifier la façon dont ils produisent et distribuent les richesses. Si nous ne le faisons pas, nous mettrons en danger notre futur et celui de nos enfants. »

« Je n’attends rien de la COP21 »

Afin de porter ses idées, Kali Akuno se rendra à la COP 21, à Paris, en décembre, avec sept autres militants de son organisation. Mais il le dit d’emblée, il n’en attend pas grand chose : « Nous pensons que les gouvernements vont tout simplement suivre les ordres des grandes multinationales, qui ont l’intention de continuer ce régime de pollution, peu importe les fausses solutions qu’ils préconisent. À partir du 12 décembre, nous allons donc nous battre contre cet accord. » Pour lui, la COP 21 sera en fait surtout l’occasion de rencontrer d’autres militants en lutte, de partager des expériences locales, et de « construire une résistance unifiée, à une échelle globale ».

Kali et Adofo représentant la Cooperation Jackson au Forum social mondial du printemps 2015, à Tunis.

Une résistance qui doit aussi s’inscrire dans le temps, en particulier pour la communauté noire états-unienne. « Dans ma génération, on nous apprenait que penser ou agir trop librement n’était pas bon pour nous, se souvient-il. J’espère que j’aurai réussi à briser ce cercle vicieux avec mes enfants. L’héritage que je veux leur laisser, c’est que j’aurai aidé à nettoyer tout ça. »


Kali Akuno est en région parisienne aujourd’hui et demain

Avec des représentants de Grassroot Global Jusitice Alliance.

Le 6 octobre à Paris et le 7 octobre à Fresnes : Infos et inscriptions ici

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