L’Allemagne peine à poursuivre sa transition énergétique

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Climat Énergie MondeHôte de la COP23, et souvent citée en modèle de transition énergétique, l’Allemagne risque pourtant de rater ses objectifs climatiques. La faute à sa dépendance au charbon et au manque d’ambition politique.
- Berlin (Allemagne), correspondance
Pour la première fois, au mois d’octobre, pas moins de 44 % de l’électricité produite en Allemagne était d’origine renouvelable. En quelques années, grâce à sa politique volontariste d’Energiewende (« tournant énergétique »), l’Allemagne est devenue le premier parc éolien et le premier producteur d’énergie photovoltaïque d’Europe. Mais ce succès est en trompe-l’œil.
Car l’Allemagne risque de rater les objectifs climatiques ambitieux qu’elle s’est imposés, soit une réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES) de 40 % en 2020 par rapport au niveau de 1990. Les experts du ministère fédéral de l’Environnement tirent la sonnette d’alarme. Selon leurs calculs, si le gouvernement ne prend pas de nouvelles mesures, la baisse ne serait au mieux que de 32,5 %. « Un tel manquement serait un grave revers pour la politique climatique de l’Allemagne », s’inquiètent les auteurs de la note des experts.
Les causes sont multiples, liées à une « série d’erreurs d’appréciation du développement économique ». Autrement dit, la croissance de l’Allemagne aurait été mal anticipée : sa population augmente à nouveau, l’économie est en plein boom, entraînant une hausse de la consommation d’énergie bien au-delà des projections du gouvernement. Les ventes de voitures ne diminuent pas, consommant toujours plus d’essence et de carburant diesel.
Un manque d’ambition politique
Mais surtout, le gros point noir du bilan climatique allemand reste sa dépendance au charbon. Une centaine de centrales de houille et de lignite continuent de tourner à plein régime dans le pays. Elles fournissent 40 % de la consommation d’électricité des Allemands et exportent aussi très bien leur courant bon marché vers les pays voisins, dont la France. En cause, notamment, « l’inefficacité du marché européen des droits à polluer », selon Christoph Podewils, du think tank Agora Energiewende. Le prix à payer par tonne de dioxyde de carbone (CO2) émise étant trop bas, les exploitants sont incités à continuer à produire plutôt qu’à fermer leurs centrales.
En cause également un manque d’ambition politique. En 2015, le gouvernement avait bien décidé de déconnecter du réseau les huit centrales de lignite les plus polluantes du pays, pour faire diminuer la production de 45 GW (gigawatts) à 40 GW en 2020. Mais c’est largement insuffisant : la production d’électricité issue du charbon devrait être divisée par deux pour tenir les engagements climatiques. En 2016, l’Allemagne a rejeté l’équivalent de 906 millions de tonnes de CO2. D’ici à 2020, pour respecter le but fixé, cette valeur ne devrait pas dépasser 751 millions de tonnes.
Le renouvelable est entré dans une ère de turbulences

Comment le pionnier des énergies renouvelables a-t-il pu en arriver là ? Certains ressorts de la transition ont rouillé et l’Allemagne est en plein doute. Parti sur les chapeaux de roue, encouragé par une loi de programmation sécurisant les investissements dans le secteur, le renouvelable allemand est entré dans une zone de turbulences. Pour le principal producteur de photovoltaïque du pays, Solarworld, l’eldorado s’est transformé en cauchemar et l’entreprise a fait faillite au début de l’année. Autre signe de fébrilité, l’élan citoyen qui s’était formé autour des coopératives d’énergie a été freiné par une nouvelle méthode d’entrée sur le marché par appel d’offres, favorisant la concentration des plus gros acteurs.
« L’Energiewende ne tient pas ses promesses : le renouvelable devait sortir du marché les centrales à énergies fossiles et ainsi servir la protection du climat », explique le journal libéral Die Welt. Car si le renouvelable a bel et bien remplacé le nucléaire dans le mix énergétique allemand, il n’a pas permis de s’émanciper du charbon. Plutôt que les centrales de houille et de lignite, ce sont les centrales à gaz, pourtant jugées plus propres, mais moins rentables, qui ont été déconnectées du réseau.
Pour les sceptiques, les autorités allemandes auraient pêché par précipitation. « L’horizon s’est obscurci », juge l’organisme France stratégie, rattaché au Premier ministre français, qui dresse un bilan sévère dans une note du mois d’août 2017.
L’Energiewende serait trop coûteuse et mettrait en jeu la sécurité énergétique du pays en négligeant le développement de capacités de stockage. « L’Allemagne est menacée par les quantités considérables d’énergies renouvelables intermittentes qui fragilisent le système électrique, laissant planer des menaces de black-out », affirme l’auteur de la note, Étienne Beeker, ancien ingénieur EDF, qui ne manque pas l’occasion de souligner que le nucléaire, banni par les Allemands, a l’avantage d’être « stable et décarboné ».
Des arguments balayés par Vincent Boulanger, auteur du livre Transition énergétique : comment fait l’Allemagne ?, qui dénonce une vision « partiale » frisant « la malhonnêteté intellectuelle ». « Certes, l’Allemagne ne montre pas l’exemple en matière d’émissions de CO2, reconnaît-il, mais aujourd’hui, l’énergie renouvelable ne coûte pas plus cher à produire que l’énergie conventionnelle. L’Allemagne a créé des champions mondiaux des énergies renouvelables mais aussi des dynamiques territoriales qui font école à travers le monde. »
Un modèle à la croisée des chemins
Le modèle est donc à la croisée des chemins, et son avenir dépend désormais des négociations de coalition en cours à Berlin. Les conservateurs de la CDU d’Angela Merkel, les libéraux du FDP et les écologistes, appelés, s’ils arrivent à s’entendre, à former le prochain gouvernement, s’écharpent sur la question. Les Verts se veulent les garants de la décarbonation du pays, en demandant la fin des moteurs à combustion, la sortie du charbon et 100 % d’énergies renouvelables d’ici 2030. La CDU accepterait de maintenir les subventions au renouvelable, mais échelonnerait la fermeture des centrales à charbon d’ici à la fin du siècle, craignant des conséquences économiques. Quant au FDP, il sera sans doute le plus dur à convaincre. Le parti libéral veut au contraire supprimer les subventions aux énergies renouvelables pour « laisser faire le marché ». Pas question non plus d’une sortie des énergies fossiles.

Les trois partis se sont cependant engagés à respecter l’accord de Paris sur la réduction des émissions de dioxyde de carbone. Et alors que la COP23 s’est ouverte lundi 6 novembre à Bonn, dans l’ouest du pays, c’est leur crédibilité politique qui est en jeu. « Vis-à-vis de l’opinion internationale, l’Allemagne ne peut pas se permettre de rater son objectif climatique, explique Vincent Boulanger. Elle a trop communiqué sur sa politique énergétique pour cela. »
Pour Christoph Podewils, d’Agora Energiewende, un compromis qui permettrait à l’Allemagne d’être dans les clous de ses engagements est possible. « Il faudrait engager tout de suite des solutions rapides, sans forcément mettre hors service les centrales à charbon, mais en les mettant en réserve, hors du réseau d’électricité, explique-t-il. C’est réaliste car nous produisons bien plus de courant que nous n’en consommons. »
Cette proposition sera-t-elle choisie par les dirigeants politiques ? La chancelière, Angela Merkel, a promis pendant la campagne électorale qu’elle « trouverait les moyens d’atteindre les objectifs climatiques de 2020 ». Mais reste bien silencieuse depuis le début des négociations. Pas de quoi s’alarmer pour Vincent Boulanger : « Tout est possible, quand on voit la rapidité avec laquelle elle a décidé de sortir du nucléaire en 2011. » Les semaines à venir seront probablement décisives pour l’avenir de la transition énergétique allemande… et celui du climat.