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Forêts tropicales

L’Amazonie pourrait se transformer en savane

Forêt amazonienne à Manaus, en 2005.

En vingt ans, les trois quarts de la forêt amazonienne ont perdu en résilience, révèle une étude scientifique. Un point de bascule qui pourrait amorcer la transformation de l’Amazonie en un écosystème plus sec.

La luxuriante forêt amazonienne pourrait-elle se transformer en savane ? Ce scénario catastrophe est de plus en plus crédible, selon les spécialistes. 76,2 % de cet immense réservoir de biodiversité a perdu en résilience depuis le début des années 2000, selon une étude publiée lundi 7 mars dans la revue scientifique Nature Climate Change. Selon ses auteurs, l’Amazonie - immense massif de forêt tropicale humide - pourrait être sur le point d’atteindre son point de bascule, à partir duquel elle se transformerait de manière irréversible en un écosystème plus sec.

L’équipe de scientifiques est parvenue à ce résultat en analysant des données collectées par des satellites. Ces derniers ont mesuré pendant plusieurs dizaines d’années la biomasse et la verdoyance de cette immense étendue d’eau et de plantes tropicales. Les chercheurs ont ainsi pu évaluer la résilience de l’Amazonie.

« Par le terme “résilience”, nous entendons la capacité de la forêt pluviale à revenir à un état stable après une perturbation, comme une sécheresse ou un évènement météorologique extrême, a précisé Chris Boulton, l’un des auteurs de cette étude, lors d’une conférence de presse. Si la forêt devait aujourd’hui faire face à la même sécheresse qu’en 2005, elle aurait beaucoup plus de mal à récupérer. » Dire que cette perte de résilience est grave est un euphémisme. Selon l’équipe de scientifiques, c’est un signe supplémentaire du fait que l’Amazonie s’approche de son point de rupture.

« Un cercle vicieux »

« Imaginons que la savane soit une vallée, que la forêt pluviale en soit une autre, et qu’il y ait une petite butte entre elles, explique Timothy Lenton, professeur à l’université d’Exeter, en Angleterre. Il faut se représenter l’état actuel de la forêt comme une petite balle roulant dans le fond de la seconde vallée. Plus la forêt est résiliente, plus ses versants sont raides et profonds. Ce que nous montrent ces résultats, c’est que la vallée devient de moins en moins profonde, et finira par disparaître lorsque le point de bascule sera atteint. » La balle imaginaire pourrait alors rouler sans anicroche jusqu’à l’autre vallée... et se transformer en savane.

« Si l’on perd la forêt pluviale, environ 90 milliards de tonnes de dioxyde de carbone seront émis dans l’atmosphère, principalement par les arbres et le sol, prévient Timothy Lenton. C’est l’équivalent de plusieurs années d’émissions par l’humanité. » « Le système de mousson dans son ensemble pourrait également être affecté », ajoute Niklas Boers, de l’Institut de la recherche sur l’impact du changement climatique de Potsdam.

Exploitation minière illégale dans la terre indigène Munduruku, à Pará (Brésil), en 2020. Flickr/CC BY-NC-SA 2.0/Marizilda Cruppe/Amazônia Real/Amazon Watch

Un tel bouleversement semble difficile à concevoir. Il est pourtant réaliste. Comme Reporterre l’a déjà expliqué, le changement climatique et la déforestation épuisent la forêt amazonienne. Cette dernière a une particularité : elle produit, dans une certaine mesure, sa propre pluie, grâce aux arbres qui réévaporent l’eau du sol et la maintiennent dans un état « d’hyper-humidité » propice à son équilibre. La détérioration de la forêt par l’être humain met en péril sa capacité à s’autoentretenir.

Chaque année, des dizaines de millions d’hectares sont détruits pour faire pousser le soja dont se repaissent les bœufs élevés dans des fermes industrielles. Les sécheresses, de plus en plus fréquentes et intenses, favorisent le départ de mégafeux incontrôlables. Ces derniers contribuent à la dégradation de la forêt, et donc à l’augmentation de sa vulnérabilité face aux incendies. « C’est un cercle vicieux », dit à Reporterre Valéry Gond, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et spécialiste des forêts tropicales (qui n’a pas contribué à cette étude).

« On crie dans le désert »

Dans leur document, Chris Boulton, Timothy Lenton et Niklas Boers montrent que les parties de la forêt les plus sèches et proches des activités humaines (que ce soit des routes, des centres urbains ou des terres cultivées) étaient aussi les moins résilientes. « Nous pourrions en conclure que le point de rupture devrait être atteint plus rapidement dans ces zones. Il pourrait ensuite se diffuser à d’autres parties du système », estime Timothy Lenton.

Si leur modèle ne leur a pas permis de déterminer avec précision la date à laquelle ce point de bascule pourrait être atteint, les scientifiques peinent à cacher leur inquiétude. « Si nous le dépassons, le dépérissement de la forêt serait bien plus rapide que la fonte de la banquise du Groenland », indique Niklas Boers. Certains modèles montrent que ses conséquences pourraient se faire ressentir dès 2070.

« La politique de Jair Bolsonaro va à l’inverse de ce qu’il faudrait faire »

« Cette étude amène une pierre de plus aux recherches sur le point de bascule de l’Amazonie », note Valéry Gond, du Cirad. Les résultats de cette équipe, qui confirment ceux de nombreuses autres études publiées ces dernières années, ne présagent selon lui « rien de bon » pour l’avenir de la région. Le chercheur se dit « affligé » par le manque de réaction politique au regard de la gravité des faits. « Cela fait trente-cinq ans que je travaille dans ce domaine. On arrive aux mêmes conclusions que lorsque j’étais étudiant, la situation n’a pas beaucoup évolué. On essaie de faire des choses honnêtes, avec des méthodes balisées, de vraies données, et l’on s’aperçoit que l’on crie dans le désert. »

Sous la présidence de Luiz Inácio Lula da Silva (2003 – 2011), la déforestation avait « nettement ralenti », raconte-t-il. Depuis l’accession au pouvoir de l’ancien militaire d’extrême droite Jair Bolsonaro en 2019, elle est repartie à des niveaux dramatiquement élevés. L’équivalent de la superficie du Liban est détruit tous les ans. « La politique de Jair Bolsonaro va à l’inverse de ce qu’il faudrait faire, poursuit Valéry Gond. La forêt amazonienne est un peu comme l’océan, elle a beaucoup d’inertie. Si l’on se met à freiner la déforestation en 2030, tous les dégâts faits avant seront irréparables. »

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