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ReportageMonde

L’Angleterre post-Brexit tente une agriculture plus écolo

Des vaches en Angleterre, illustration.

Finie, la politique agricole commune européenne. L’Angleterre a lancé ses propres mesures, plus respectueuses de l’environnement. Reportage chez une agricultrice mi-figue mi-raisin.

Langley Mill (Grande-Bretagne), correspondance

Cette matinée-là de fin avril, quand on arrive à Langley Mill, village situé à l’ouest de Nottingham, il fait à peine 7 °C. Un peu frisquet pour la saison. Et pourtant, les fermiers de la région redoutent plus que tout le retour du beau temps. « Il n’a pas plu depuis un mois, si la chaleur réapparait maintenant, la terre va finir de s’assécher, ce sera une catastrophe », s’inquiète Jessica Langton, 22 ans, qui nous reçoit dans la ferme familiale. À côté de ses cours à l’université des sciences animales, la jeune femme donne des coups de main à sa mère. Tracey, quinquagénaire dynamique, est à la tête d’une exploitation de 65 hectares où broutent paisiblement une soixantaine de vaches.

La famille Langton, très préoccupée par le changement climatique, fait partie des mille exploitants ayant décidé de participer aux dispositifs pilotes de la nouvelle politique agricole anglaise. Avec le Brexit, les Britanniques ont quitté la politique agricole commune (PAC). Celle-ci subventionnait jusqu’ici fermiers et agriculteurs en fonction de la superficie de leur exploitation ou de la taille de leur cheptel — encourageant ainsi une agriculture intensive.

En 2020, l’Angleterre a décidé de rompre avec cette philosophie. Objectif ? Encourager les pratiques permettant de respecter le sol et les cours d’eau, soutenir la biodiversité, réduire les émissions carbone et récompenser le bien-être animal. « Contrairement à la PAC, la protection de l’environnement est, dans les textes législatifs, passée avant l’objectif de production », explique à Reporterre Ludivine Petetin, maîtresse de conférences à l’université de Cardiff et spécialiste des questions agro-alimentaires au Royaume-Uni.

« Le Brexit était censé faciliter la vie des gens »

Les versements européens doivent être progressivement réduits d’ici la fin de l’année 2027 au profit de subsides verts « made in England ». Problème, ces aides forment à l’heure actuelle un ensemble touffu de nouveaux dispositifs jugés complexes par les fermiers. Tracey a ainsi tenté de faire financer la création d’une forêt de deux cents arbres sur ses terres. Un parcours du combattant : « Il est très compliqué de comprendre qui peut prétendre à ces subventions et comment faire sa demande. » En avril 2021, 40 % des agriculteurs disaient ne même pas être au courant de l’existence de ces subventions. En janvier 2022, un rapport parlementaire dénonçait le manque d’informations leur permettant de planifier leurs activités. « C’est assez ironique car le Brexit était présenté comme un moyen de sortir du magma bureaucratique européen et donc faciliter la vie des gens », tacle Ludivine Petetin.

Avec le Brexit, les Britanniques ont quitté la politique agricole commune (PAC). Flickr / CC BY-NC-ND 2.0 / Mark Grant-Jones

Difficulté supplémentaire : toutes les démarches se font en ligne et il n’existe aucun numéro de téléphone pour se faire aider. « Ça va être compliqué pour les anciennes générations. Mon père, décédé il y a peu, ne comprenait rien à internet. Sans compter que la connexion n’est pas toujours géniale dans ce coin-là », pointe Tracey. Cette dernière déplore aussi le manque de formation pour s’engager dans les pratiques agricoles durables. Dans le cadre du dispositif pilote, les deux femmes ont planté une trentaine de bouleaux et d’érables au milieu d’un bois plus ancien, situé en contrebas de leur exploitation. « Il a fallu chercher quel espèce était la plus appropriée, à quelle distance les placer les uns des autres… Je n’y connais rien, je suis fermière moi, pas arboricultrice ! » grimace l’éleveuse. Dans l’ensemble, toute la famille Langton déplore l’impréparation du gouvernement britannique en la matière. « Le Brexit a été voté en 2016 et pourtant on a l’impression que tout est fait au dernier moment », souligne Jessica.

En novembre 2021, le ministère de l’Environnement a mis en place un fonds afin de permettre aux exploitants d’acquérir des équipements écologiques, tels que des panneaux solaires pour alimenter des clôtures électriques. « Tout le monde s’est jeté dessus et l’exécutif s’est rendu compte qu’il n’y avait pas assez d’argent dans les caisses… », rapporte Tracey en levant les yeux au ciel.

Outre les difficultés pratiques, le manque de moyens est en effet l’autre défaut essentiel souligné par les agriculteurs. « Ils vont perdre beaucoup d’argent avec cette nouvelle politique », reconnait Ludivine Petetin. De fait, la famille de Tracey perçoit aujourd’hui près de 15 000 livres annuelles (19 000 euros) via les versements européens et les anciennes subventions environnementales anglaises appelées à disparaître. En comparaison, le projet pilote lui a fait gagner… 200 livres (233 euros). « Les bonnes pratiques sont uniquement basées sur le volontariat. Si le dispositif n’est pas assez rémunérateur, alors les exploitants agricoles ne s’y engageront pas » souligne Ludivine Petetin. Pire, certains pourraient tout simplement rendre leur tablier. Les versements européens devraient être réduits de moitié d’ici 2024. Or le rapport parlementaire a montré que les aides de la PAC représentaient une bouée financière pour près d’un tiers des agriculteurs.

Les versements européens doivent être progressivement réduits d’ici la fin de l’année 2027 au profit de subsides verts « made in England ». Flickr / CC / Ian Livesey

Des légumineuses fourragères pour fertiliser naturellement le sol

La transition vers une agriculture écologique devrait être d’autant plus compliquée pour les éleveurs engagés de longue date dans des modèles intensifs. « Pour ceux qui ont des grandes exploitations, il n’est pas facile de réduire les quantités de fertilisant industriel. Quand on a près de mille vaches, on a intérêt à avoir suffisamment d’herbe pour les nourrir donc à maximiser le rendement du sol. Sinon, la production de lait s’effondre et les profits aussi. Pour nous c’est facile, on a de la place et un petit cheptel, on peut se permettre de faire des expérimentations », souligne Jessica. Depuis dix ans, la famille de Tracey a en effet mis en place des mesures de protection du sol. Leurs terres sont des « prairies permanentes », c’est-à-dire des terrains herbeux peu travaillés. Un champ en particulier, situé en contrebas de la ferme, a été prénommé le « champ des vanneaux » en référence aux oiseaux qui viennent y faire leur nid. « Tous les ans, d’avril à juin, nous laissons seulement quelques vaches brouter ici, c’est ce qui permet à la biodiversité de se développer », dit Jessica.

L’un des objectifs de la famille est de planter des légumineuses fourragères comme le trèfle blanc et la luzerne, utilisées à la fois pour alimenter les herbivores et fertiliser naturellement le sol. Avec la guerre en Ukraine, le prix des engrais industriels et du blé pour nourrir les bêtes a explosé. Alors, ces nouvelles cultures seront-elles un bon choix pour l’environnement et pour le porte-monnaie ? Pas si sûr. « On redoute moins les incertitudes climatiques quand on a des fertilisants et du blé, dit Jessica. En ce moment, la météo rend la situation compliquée. » Récemment, Tracey a laissé ses vaches brouter l’herbe d’un champ initialement destiné à l’ensilage [1]. « Nous n’avions pas la choix, à cause de la sécheresse, rien n’a poussé. »

Flickr /CC BY-NC-ND 2.0 / velodenz

Pour autant, cette dernière garde confiance : « C’est sûr que ce sera difficile mais nous espérons qu’avec toutes ces nouvelles plantes, nous arriverons à surmonter tout ça. »

Les mesures du plan anglais risquent cependant d’être contre-carrées par la guerre en Ukraine et la contre-offensive de l’agro-industrie. En diminuant la production, « nous pourrions ironiquement nous retrouver à augmenter les importations d’aliments produits selon des normes environnementales moins exigeantes » a estimé la National Farmers’ Union (NFU), soit l’équivalent de la FNSEA en Angleterre. Puissant syndicat, la NFU milite pour que la nouvelle politique soit repoussée de deux ans.

D’après le groupe de réflexion Green Alliance, un tel délai mettrait cependant gravement en péril les objectifs de décarbonation du secteur agricole (réduction des émissions d’un tiers d’ici 2035), eux même cruciaux pour atteindre la neutralité carbone du pays d’ici le milieu du siècle. D’après une étude du groupe parue en avril, les émissions carbone du secteur seraient deux plus fois élevées que prévues si le nouveau système était repoussé de deux ans. Pour Dustin Benton, auteur du rapport, la hausse du coût du diesel et des fertilisants doit par ailleurs être un argument supplémentaire pour sortir du système productiviste, en particulier pour les petites exploitations. « Beaucoup de ces fermes sont bien dotées en capital naturel mais n’ont pas un grand rendement. Si ces petites structures étaient rémunérées pour prendre soin de la nature, alors elles augmenteraient probablement leur rentabilité par rapport aux versements européens », écrit-il. La ministre de l’Agriculture britannique Victoria Prentis a affirmé qu’elle ne repousserait pas le calendrier initial.

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