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Agriculture

PAC : la France a raté l’occasion de soutenir l’agriculture écologique

Manifestation de la Confédération paysanne le 13 avril 2021 à Rennes, en Bretagne.

C’est fait : la France a déposé sa déclinaison locale des objectifs de la politique agricole commune. Aides environnementales insuffisantes, néopaysans peu soutenus... « Une PAC de la continuité », résume un paysan.

PAC, PSN [1], Maec [2], écorégimes… C’est un monde d’acronymes, mais derrière ces termes obscurs et ces débats techniques se cache un enjeu crucial : celui de l’avenir de notre agriculture. Un avenir en grande partie décidé par la politique agricole commune (PAC). Cette politique européenne distribue 60 milliards d’euros chaque année aux agriculteurs d’Europe, dont 9 milliards en France. De quoi déterminer qui cultive quoi et comment. En l’occurrence, la PAC a largement contribué à l’avènement d’une agriculture à base de pesticides et d’engrais industriels, dénoncent les écologistes et organisations paysannes.

Elle est révisée tous les cinq ans : quelles seront les nouvelles règles pour la période 2023-2027 ? Et notamment en France ? Car si un cadre est décidé au niveau de l’Union européenne, chaque pays décline ensuite ces principes chez lui, avec une certaine marge de manœuvre. C’est à cette étape que nous en sommes aujourd’hui. Le gouvernement a donné la dernière touche, lundi 20 décembre, à son plan stratégique national (PSN). Il le dépose à Bruxelles mercredi 22 décembre.

De nouvelles règles du jeu qui ne changeront pas la donne, estime la plateforme Pour une autre PAC, coalition d’ONG et de syndicats paysans. Elles n’apporteront « aucune amélioration de l’impact de l’agriculture sur le climat, la gestion des ressources naturelles ou la biodiversité », dénonçait le président de la coalition, Mathieu Courgeau, dans une lettre ouverte à Jean Castex publiée par La Tribune en novembre.

Pour le prouver, il brandissait deux avis d’instances très sérieuses :

  • Un rapport de la Cour des comptes, paru en octobre, expliquait que les règles actuelles avaient abouti à concentrer les aides environnementales sur une toute petite partie (9 %) des terres agricoles. Insuffisant pour rendre l’agriculture plus écolo selon la Cour. Elle invitait à ne pas « reproduire les écueils » dans la nouvelle mouture. Et demandait aussi des critères environnementaux « ambitieux » pour l’attribution des subventions.
  • L’avis de l’Autorité environnementale, aussi publié en octobre. Elle remarquait que le gouvernement n’avait pas saisi l’occasion de « renforcer les aides conditionnées à des pratiques plus favorables à l’environnement ». Autre regret de l’autorité : une « conviction » que la trajectoire choisie ne permet pas de remplir les engagements en terme de climat, biodiversité et qualité de l’eau de la France.

Las : deux mois après ces alertes, le gouvernement n’a pas rectifié le tir. « C’est une PAC de la continuité, le ministre l’a dit lui-même, constate Mathieu Courgeau auprès de Reporterre. Or, vu les résultats depuis 2015, la continuité ne permet pas de relever les défis des années à venir ! »

« C’est une PAC de la continuité »

Le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie a annoncé les derniers arbitrages lors d’une large réunion lundi 20 décembre. Parmi les annonces, un « consensus sur l’interdiction de cumuler retraite et aide de la PAC » pour les agriculteurs de plus de 67 ans. En effet, de nombreux agriculteurs continuent de travailler après l’âge légal de la retraite. Insuffisant selon Mathieu Courgeau, car ce n’est pas s’attaquer au problème de fond : « Certains agriculteurs préfèrent continuer de faire cultiver leur ferme par des entreprises pour toucher les aides de la PAC et le revenu de la production. Ils continueront, car cela rapportera toujours plus qu’une retraite agricole en général très faible. » C’est donc autant de fermes où de jeunes agriculteurs ne pourront pas s’installer. Le ministère signale des exceptions possibles, qui seront discutées à partir de janvier.

De nombreux obstacles pour les néopaysans

Autre obstacle pour les néopaysans, le ministre a également arbitré sur le diplôme et l’âge nécessaires pour recevoir l’aide « Jeune agriculteur », quand un agriculteur s’installe. « C’est 20 000 à 40 000 euros selon les régions », souligne Mathieu Courgeau. Un coup de pouce non négligeable, qui restera réservé aux moins de 40 ans et aux détenteurs d’un diplôme agricole niveau bac. Les détenteurs d’autres diplômes ou plus âgés, de plus en plus nombreux à s’installer, ne pourront pas demander cette aide précieuse.

« L’objectif partagé est le renouvellement des générations », maintient pourtant le ministère. L’agriculture a du mal à attirer les jeunes : la France a perdu 100 000 fermes en dix ans, notamment à cause des difficultés à s’installer. « Le gouvernement avait des outils et a décidé de ne pas les utiliser », déplore Mathieu Courgeau. Proposer une aide adaptée aux fermes avec peu d’hectares, augmenter la prime aux cinquante premiers hectares, limiter les aides données aux plus grosses fermes, le tout pour mieux redistribuer l’argent public : autant de mesures qui n’ont pas été retenues. Rappelons qu’à l’échelle de l’Union européenne, 80 % des subventions vont à seulement 20 % des fermes.

Du point de vue environnemental, les déceptions sont aussi nombreuses pour les organisations écolos et paysannes. Par exemple, le budget des mesures agro-environnementales et climatiques (Maec) « va probablement un peu diminuer, déplore Mathieu Courgeau. Ce sont des contrats sur cinq ans pour faire évoluer la ferme vers moins de pesticides et d’engrais chimiques. Le faible budget fait que beaucoup d’agriculteurs qui le voudraient ne peuvent pas y avoir accès. »

L’agriculture a du mal à attirer les jeunes : la France a perdu 100 000 fermes en dix ans. © Estelle Pereira/Reporterre

Autre terme barbare, les « écorégimes », eux, manquent d’ambition. Cela soumet une partie des aides que reçoit un agriculteur à des conditions environnementales. Mais les critères choisis font que la grande majorité des agriculteurs y auront déjà accès. « L’objectif du ministère était de faire entrer un maximum d’agriculteurs sans qu’ils aient à changer les pratiques actuelles », déplore encore M. Courgeau.

Trop de contraintes pourraient mettre les agriculteurs français « dans une situation de concurrence déloyale » a rappelé, lundi soir, le ministère de l’Agriculture. Pour lui, la priorité est d’harmoniser les règles européennes, « pour que l’on n’aboutisse pas à diminuer la production en France, augmenter les importations, et donc délocaliser nos impacts environnementaux ».

Le cabinet de M. Denormandie s’est félicité des nombreux « échanges constructifs » lors de l’élaboration de ce plan, et le fait qu’il soit rendu dans les délais à la Commission européenne. Celle-ci doit donner son avis dans les trois mois. La plateforme Pour une autre PAC appelle l’instance à exiger plus d’ambition environnementale. Car de son côté, M. Courgeau a eu « l’impression que M. Denormandie était sourd à tout ce que l’on disait ».

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