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ReportageLa balade du naturaliste

L’ail des landes, un fragile sauvetage dans le Massif armoricain

Devenu rarissime dans le Massif armoricain, l’ail des landes, une petite fleur blanche à la floraison tardive, a fait l’objet d’un plan de réintroduction prometteur. En compagnie de la botaniste Aurélia Lachaud, Reporterre vous emmène en balade naturaliste.

Ce reportage s’inscrit dans notre série La balade du naturaliste : une randonnée à la découverte d’une espèce ou d’un milieu exceptionnel, en compagnie d’une ou d’un passionné.


  • Herbignac (Loire-Atlantique), reportage

Au volant de sa voiture capricieuse, qui hésite par moments à démarrer, la botaniste de l’association Bretagne vivante Aurélia Lachaud circule sur son terrain de jeu, Herbignac (Loire-Atlantique). C’est la commune du Massif armoricain où se trouve la plus forte concentration d’ail des landes. Allium ericetorum Thore, de son petit nom. « Une plante sur laquelle je travaille depuis vingt ans », précise-t-elle avant de s’engager sur un chemin qui débouche sur une vaste demeure. Ou plutôt, un petit manoir.

Nous sommes chez Gwenaël de La Monneraye, propriétaire d’un bois dans lequel se trouve le dernier site d’ail des landes découvert dans la région. « C’est ma mère, botaniste amatrice, qui avait repéré cette petite fleur blanche et avait contacté Bretagne vivante, se souvient-il, c’était en 2002. » Depuis la mort de sa mère, Gwenaël de La Monneraye a repris le flambeau et fait tout ce qu’il peut pour permettre à la petite fleur de survivre dans son bois.

Aurélia Lachaud et Gwenaël de La Monneraye inspectent la pousse des 169 pieds plantés en février.

Dans l’ensemble de la Bretagne historique, l’ail des landes est une plante rare. Elle est à ce titre protégée dans la région Pays de la Loire. La commune d’Herbignac compte quatre stations où la fleur blanche s’épanouit. Aurélia Lachaud y dénombre au total près de 2.000 fleurs. C’est peu. Ailleurs, dans le sud-ouest de la France, en Espagne et au Portugal, elles sont bien plus nombreuses.

« Je suis un peu comme une maman, je les regarde, les bichonne » 

C’est pour cette raison que, en 2004, le Conservatoire botanique national de Brest a mis en place un plan de conservation en partenariat avec Bretagne vivante. Mais, au fil des années, il est devenu de plus en plus difficile d’apercevoir ces petits pétales blancs qui s’ouvrent au mois de septembre. Et la situation s’est dégradée. Les landes reculent faute d’entretien, l’urbanisme avance.

Dans le bois de Gwenaël de la Monneraye, deux pieds vigoureux ont été dévorés en 2009, probablement par des mulots ou des campagnols. Une station de moins. Le Conservatoire, Bretagne vivante et le parc naturel régional de Brière ont décidé de planter 169 pieds, en février dernier, pour relancer la lignée.

Pour mener cette opération à bien, le Conservatoire et Bretagne vivante avaient au préalable conservé des graines et mis en culture des bulbes pour les réintroduire dans leur site d’origine. « Cela augmente les chances de reprise car la plante s’est déjà adaptée à ce sol-là », explique Aurélia Lachaud.

Aurélia Lachaud reporte ses observations sur cet appareil, qui lui permet d’étudier les évolutions entre deux passages.

En cette fin septembre, la botaniste est venue inspecter la reprise des pieds plantés, compter les survivants. « Je suis un peu comme une maman, je les regarde, les bichonne », s’amuse-t-elle tout en s’enfonçant dans le bois, avant de déboucher sur un espace dégagé, une petite lande, parfaitement adaptée à l’ail des landes. « Pour grandir, l’ail des landes a besoin d’un espace ouvert, où la végétation est basse, lui permettant de capter la lumière et le soleil. Il a également besoin d’un sol humide », détaille la botaniste, avant de mentionner ses habituels colocataires : la molinie bleue, les bruyères, le cirse des Anglais.

Pour repérer la zone où les bulbes ont été plantés, les botanistes du parc de Brière, du Conservatoire botanique et de l’association ont délimité un carré à l’aide de piquets et d’un ruban en plastique. À l’intérieur du périmètre, d’autres piquets, plus petits, signalent les bulbes. À quatre pattes, Aurélia Lachaud écarte les molinies, fouille et ausculte. Comme une mère attentionnée, elle s’agace des coups durs qu’accusent ses petits. « Pas mal de pieds ont disparu, annonce-t-elle. À vue de nez, il en reste entre 20 et 35. » Mais, après un comptage précis, elle arrive à 86 pieds survivants. Pas si mal. D’autant plus qu’une seconde phase de réintroduction devrait être lancée dans les mois prochains pour renforcer la reprise de cette espèce protégée.

Limace, campagnol et mulot sont les premiers suspects

Un grillage encercle même certains pieds : c’est un test contre les rongeurs. « Ça semble bien fonctionner », observe la botaniste, car les pieds laissés sans protection ont davantage souffert. Désappointé, Gwenaël de la Monneraye spécule avec la botaniste sur l’identité du coupable. Limace, campagnol et mulot sont les premiers suspects. C’est sur ces entrefaites que nous quittons cette station en cours de sauvetage.

Certains pieds d’ail sont protégés d’un grillage pour éviter les attaques des prédateurs.

En chemin, la botaniste de Bretagne vivante explique que la plupart des stations de la commune se situent chez des particuliers et souligne qu’« on ne peut rien faire sans l’accord des propriétaires ; s’ils ne sont pas volontaires, nous sommes impuissants ». Un de ces sites se situe sur le terrain d’une laiterie. Lorsqu’elle s’est agrandie, il fallu mettre mettre en place des compensations environnementales pour créer un espace favorable à l’implantation de l’ail. Une entreprise d’insertion entretient régulièrement cet espace dégagé pour qu’il se gorge de lumière : l’habitat idéal pour l’ail. « Grâce à cette gestion, l’ail des landes est en cours d’extension sur ce site. »

La voiture s’arrête à peine plus loin, près de la dernière station de la commune. Aurélia Lachaud a beau être patiente, à l’écoute et souriante, cette fois-ci, l’agacement pointe : « J’ai délimité les zones où se trouve l’ail pour que les personnes qui passent sur cette parcelle ne les piétinent pas, mais regardez ! C’est pénible », souffle-t-elle, en découvrant des pieds écrasés. Un peu plus que pénible, même, car détruire volontairement une espèce protégée relève du délit. Tout n’est pas pour autant saccagé et des fleurs commencent à déployer leurs pétales blancs. De quoi rendre son sourire à la maman de l’ail des landes.

Malgré la délimitation du périmètre, il a été piétiné.

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