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En brefDéchets nucléaires

Coût de Cigéo : le rapporteur du Conseil d’État douche les associations

La rapporteuse Mireille Le Corre a réclamé le rejet des requêtes des associations lors de l’audience au Conseil d’État consacrée aux coûts du projet Cigéo, lundi 19 mars peu après 14 h. Le 3 mars 2016, le réseau Sortir du nucléaire, France nature environnement, Mirabel-Lorraine nature environnement et BureStop55 avaient saisi l’institution et réclamé l’annulation de l’arrêté du 15 janvier 2016, signé par la ministre de l’Environnement de l’époque Ségolène Royal, qui établissait à 25 milliards d’euros [1] le « coût objectif » du projet d’enfouissement des déchets radioactifs en couche géologique profonde à Bure (Meuse). « Soit un montant inférieur à près d’un tiers à celui évalué par l’Agence nationale de gestion des déchets radioactifs (Andra) », déplorait dans un communiqué daté du 14 mars le réseau Sortir du nucléaire, qui accusait la ministre de « complaisance envers les producteurs de déchets » radioactifs (EDF, Orano [ex-Areva] et CEA) censés financer le projet.

Depuis la loi du 26 juin 2006 qui retient le choix de l’enfouissement, les évaluations des coûts de Cigéo se suivent et ne se ressemblent pas. Lors du débat public de 2013, le coût du projet était évalué à 16,6 milliards d’euros, une estimation qualifiée d’« obsolète » par les opposants. En 2014, un rapport de la Cour des comptes relevait l’écart entre les évaluations effectuées en 2009 par l’Andra — 33,8 milliards d’euros —, le cabinet d’audit PwC — entre 39,1 et 43,6 milliards d’euros —, et les producteurs de déchets — 14,8 milliards d’euros. La Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) a ensuite demandé une nouvelle évaluation des coûts à l’Andra, soumise à l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et aux observations des producteurs de déchets radioactifs. Rebelote : en 2016, l’Andra a annoncé tabler sur un projet à 34,5 milliards d’euros, un chiffre qualifié d’« optimiste » par l’ASN mais rapporté à 20 milliards d’euros par les producteurs.

La rapporteuse a rejeté l’argument du ministère de la Transition écologique et solidaire selon lequel l’arrêté de 2016 était un « acte préparatoire » « non réglementaire », que le coût indiqué n’était pas définitif et qu’il n’y avait donc pas lieu de l’accuser d’abus de pouvoir. Mais elle a également écarté tous les arguments des associations. Ces dernières avaient invoqué un droit à l’information en cas d’impact significatif du projet sur l’environnement. « Cet arrêté a une incidence directe sur les comptes des exploitants qui produisent les déchets radioactifs, mais nous avons des difficultés à établir son impact direct sur l’environnement », a répliqué Mme Le Corre.

« Le seul critère devrait être de savoir si les montants qu’ils provisionnent sont suffisants pour financer le projet » 

La rapporteuse a également estimé que la participation du public réclamée par les associations ne devait pas forcément porter sur l’évaluation des coûts du projet mais sur les modalités de gestion des déchets radioactifs — « ce qui sera le cas », a-t-elle souligné. Mercredi 7 mars, le secrétaire d’État Sébastien Lecornu avait annoncé la tenue l’automne prochain d’un débat public sur les déchets radioactifs. Les associations locales et les opposants à Cigéo avaient dénoncé une mascarade, alors que la répression à Bure était plus forte que jamais.

Enfin, Mme Le Corre n’a pas jugé que Ségolène Royal avait commis une erreur manifeste d’appréciation en fixant le montant de 25 milliards d’euros. « Nous estimons qu’il était loisible au ministre de prendre une évaluation inférieure qui reste dans la fourchette de l’Andra », a-t-elle estimé, décrivant l’arrêté comme « une décision de compromis visant à ne pas faire peser le coût de la gestion des déchets radioactifs sur les générations futures tout en ne grévant pas de manière indue la capacité d’investissement des exploitants » producteurs de déchets radioactifs. « Ce qui semble le plus important, c’est que cette évaluation des coûts soit mise à jour régulièrement », a-t-elle conclu. Plusieurs réévaluations des coûts sont en effet imposées à l’Andra et aux exploitants, la prochaine devant être remise au moment du dépôt de la demande d’autorisation de création (DAC) prévue pour 2019.

Charlotte Mijeon, porte-parole du réseau Sortir du nucléaire et Me Delalande, l’avocat des associations, lundi 19 mars, au Conseil d’État.

« La rapporteuse a bien retenu que les sous-évaluations chroniques de la fin des années 2000 étaient condamnables et coupables », s’est consolé l’avocat des associations, Me Samuel Delalande, à la sortie de l’audience. Mais il s’est montré très critique à l’encontre de ses conclusions : « La surcharge sur les comptes des exploitants ne devrait pas être un critère. Le seul critère devrait être de savoir si les montants qu’ils provisionnent sont suffisants pour financer le projet. Elle a présenté un compromis qui n’a pas lieu d’être. »

Charlotte Mijeon, porte-parole du réseau Sortir du nucléaire, a relevé pour sa part les nombreuses incertitudes qui pèsent encore sur le coût du projet : « Depuis la dernière évaluation, l’ASN a pointé les risques d’incendie et le problème des déchets bitumineux. Par ailleurs, la Commission nationale d’évaluation a critiqué dans un rapport la manière dont le taux d’actualisation avait été fixé. Les incertitudes laissent présager une hausse des coûts plutôt qu’une optimisation. » Dans la soirée, les associations ont réclamé au ministère de la Transition écologique et solidaire qu’il commande en urgence une réactualisation de l’évaluation des coûts de Cigéo.

Quant au Conseil d’État, il devrait rendre sa décision dans un délai de trois semaines.

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