L’avenir des langues régionales menacé par une manoeuvre du gouvernement

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La loi sur la protection et la promotion des langues régionales a été censurée par le Conseil constitutionnel suite à la saisine du gouvernement. Celui-ci a manœuvré pour remettre en cause une décision du Parlement. Les défenseurs des langues régionales se mobilisent.
Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), correspondance
Samedi 29 mai 2021, le collectif Pour que vivent nos langues appelle à des mobilisations pour alerter sur la menace que le Conseil constitutionnel fait peser sur les écoles « immersives », c’est-à-dire pratiquant l’enseignement dans une autre langue que le français. Le 21 mai, le Conseil a rendu un avis déclarant inconstitutionnel l’enseignement immersif en langues régionales et l’utilisation des signes diacritiques, qui changent la prononciation d’une lettre (les accents, le tilde, etc), au nom de l’article 2 de la Constitution qui stipule que « la langue de la République est le français ».
La loi dite Molac, du nom du député breton qui l’a portée, avait été adoptée à l’Assemblée Nationale le 8 avril. Elle visait à protéger et promouvoir les langues régionales sur trois aspects, l’enseignement, le patrimoine et les services publics. Nombre de députés LREM l’avaient votée contre l’avis du gouvernement. En réponse, celui-ci a fait rédiger une saisine du Conseil constitutionnel par le cabinet du ministre de l’Éducation nationale, et l’a fait signer par une soixantaine de députés. Le procédé est pour le moins inhabituel, si ce n’est inédit sous la Vᵉ République. Face à la colère et aux inquiétudes suscitées par la saisine et la décision des garants de la Constitution, le gouvernement tente désormais d’apaiser les tensions.

Peio Jorajuria est président de l’association Seaska, qui gère les écoles immersives en langue basque, les ikastola, sous contrat avec l’Éducation nationale depuis le début des années 1990. Trente-sept établissements appartiennent à la fédération dont trente-deux écoles, quatre collèges et un lycée. Il analyse la situation à l’aune des positions du gouvernement : « La loi Molac vient en réaction à un changement de position de l’Éducation nationale ces dernières années, et notamment avec ce nouveau gouvernement, voire même avec ce nouveau ministre. Les attaques contre les langues régionales se sont multipliées. À l’école publique, la réforme du bac a fait presque disparaître l’option langue régionale. En Occitanie, ils ont perdu 70 % de leurs effectifs en option. »
Première loi votée sur le sujet depuis 1951, la loi Molac entendait compenser les entraves mises par le gouvernement dans le développement de ces langues. Considéré comme « historique », le texte reconnaissait l’existence des écoles immersives et les confortait. Mais la déclaration d’inconstitutionnalité de l’enseignement immersif par le Conseil constitutionnel attise les craintes d’une remise en question des écoles Diwan, des Ikastola, des Calendretras, etc. Le Premier ministre, Jean Castex, a annoncé mardi 25 mai confier une mission à deux députés afin de travailler sur les conséquences de la censure de l’enseignement en immersif.
« Il faut changer l’article 2 de la Constitution »
De son côté, Emmanuel Macron a publié sur le réseau social Facebook un texte débutant par : « Les langues régionales sont un trésor national » qui salue le travail des écoles en immersion. « Pour l’instant ce ne sont que des paroles en l’air, dit Peio Jorajuria. Je ne sais pas quelle solution ils vont proposer, mais il faudra trouver des solutions. À terme, il faut changer l’article 2 de la Constitution car l’interprétation qu’en fait le Conseil constitutionnel revient à une interdiction des langues dites régionales. Il n’a jamais fait cette interprétation contre l’anglais, l’allemand ou l’italien. »
Devant les atermoiements du gouvernement, les défenseurs du breton, du basque, du catalan, du corse ou encore de l’alsacien promettent d’être nombreux dans les rues ce samedi : « La crise, ce sont eux qui l’ont créée. Les solutions sont entre leurs mains. Dans les territoires il y a une très très grande colère. On porte ce modèle depuis plusieurs générations. Tout ce travail pourrait être détruit », dit Peio Jorajuria.