L’écologie selon Marine Le Pen et le FN : nationaliste et superficielle

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Marine Le Pen lance sa campagne présidentielle à Lyon ce week-end. Elle a intégré une dimension écologique à son projet présidentiel. Mais, démontre l’auteur de cette tribune, le parti d’extrême droite réduit l’écologie à la dimension identitaire et nationale, niant ce qui en fait sa singularité.
Bruno Villalba est professeur de sciences politiques à AgroParisTech, Ceraps-Lille 2.

« Nous portons un message de liberté, non de contrainte. L’écologie n’est possible que dans le cadre d’une nation libre, qui peut utiliser les leviers de la souveraineté. Vive l’écologie patriote, vive la république et vive la France ! » Marine Le Pen clôture ainsi la convention présidentielle du Front national du 5 décembre 2016 consacrée à l’écologie. Cette citation illustre l’objectif central de la stratégie politique du parti d’extrême droite : soumettre la légitime préoccupation de l’écologie au programme nationaliste. Elle exprime aussi la principale limite de cette appropriation : l’écologie est réduite à sa dimension identitaire, laissant dans l’ombre ce qui fait son irréductible singularité — la convergence de crises multiples (changement climatique, biodiversité, artificialisation des sols…) et ses conséquences complexes tant au niveau local qu’international. Le FN réalise donc une négation fondamentale de ce qu’est la crise écologique et peut ainsi embrigader l’écologie à son programme différentialiste.
L’intégration de l’écologie au sein du discours du FN a déjà fait l’objet de quelques analyses [1]. Nous souhaitons cependant insister sur l’une des conséquences majeures de cette stratégie, qui aboutit à une négation même de la question écologique. « L’écologie patriote » revient à nier l’étendue des problèmes écologiques, les effets de cumul des principales préoccupations (dérèglement climatique, érosion de la biodiversité, artificialisation des sols, etc.) et les contraintes sociales que cela soulève. Le FN construit ainsi une écologie superficielle, destinée à mettre au pas l’écologie au service de ses orientations idéologiques, quitte à procéder à une négation des enjeux fondamentaux de l’écologie.
1. Une écologie superficielle
L’extrême droite française s’intéresse à l’écologie depuis le milieu des années 1980. Un temps, le FN s’est préoccupé de l’écologie, mais avec une approche antimoderniste, soucieux de renouer avec les valeurs identitaires prémodernes de la communauté nationale.
Jean-Marie Le Pen ne s’est guère préoccupé de cette dimension, insistant surtout sur la question patrimoniale de l’écologie. Seule la thématique de la souffrance animale était vraiment présente. Le bien-être animal mettait en évidence une communauté de souffrance entre « les nationaux et les animaux », « les paysages et les paysans », et était l’occasion de critiquer les pratiques alimentaires des autres communautés religieuses.
Le programme de 2012 du FN abordait assez peu la question écologique. Aucune référence au réchauffement global ou à la transition énergétique n’y figurait.
Ses propositions actuelles sont par contre plus élargies, mais plus contradictoires. Il se déclare favorable à une transition énergétique qui devra maintenir la croissance, donc l’emploi, se prononce en faveur d’une production abondante d’énergie à bas coût, préconise une politique de rénovation thermique (faisant la part belle aux innovations techniques), sans pour autant préciser les ressources naturelles à mobiliser. Il n’hésite pas à capter à son profit quelques perspectives plus critiques : refuser l’obsolescence programmée, car elle entamerait le pouvoir d’achat des Français ; favoriser les circuits courts, en valorisant la préférence des terroirs locaux et en instaurant la priorité nationale locale… Ainsi, sous prétexte de produire une gestion écologique raisonnable, le FN entend renforcer le rôle interventionniste de l’État, afin de développer une croissance verte. Plus surprenant encore, sa politique accentue le recours au nucléaire : « Il faut en permanence innover et sécuriser ; l’abandonner ce serait se tirer une balle dans le pied », déclare Marine Le Pen en décembre 2016. Ces propositions pragmatiques, selon l’économiste frontiste Philippe Murer — « Il faut être raisonnable et trouver un juste milieu » — surfent sur une « écologie superficielle » [2] qui suppose que quelques aménagements de bons sens suffiront à juguler les effets les plus saillants des nuisances environnementales.

Comme à l’accoutumée, le FN agit par injonction paradoxale, puisqu’à la fois il constate le caractère préjudiciable de la politique économique libérale dominante, alors qu’il entend dans le même temps proposer une extension du modèle consumériste actuel, même s’il privilégie le bien-être des seuls ressortissants nationaux. Il peut dans le même mouvement de menton préconiser la relance de la consommation et la gestion des déchets, le dynamisme étatique de la production nationale et la lutte contre les pollutions, le développement d’une industrie compétitive sur le plan international en fermant les frontières aux acteurs étrangers…
2. Une écologie mise au pas
Le FN continue de « reposer sur les piliers fondateurs du national-populisme autoritaire » [3]. L’écologie nationale qu’il propose est une variante de son projet souverainiste et nationaliste. Le double objectif est alors de préserver l’exclusivité des richesses nationales et de conserver les particularités naturelles de la France — de ses racines à ses richesses, de son patrimoine naturel à son patrimoine génétique. Cela ne peut se faire que si l’on réfute l’importance de la mondialisation, du libre-échange et bien sûr de la politique de l’Europe. L’écologie se réalisera ainsi « par le patriotisme économique, par le protectionnisme intelligent à produire à proximité des lieux de consommation ». Cela évoque bien sûr l’image mythifiée et figée d’une France éternelle, incarnée par des paysages d’une beauté originelle menacée.
Par conséquent, on comprend mieux pourquoi le FN ne parle pas de « biodiversité », ou « de préservation des espèces » mais de « respect des lois de la nature ». Cela produit une vision propriétaire de la nature — les Français sont les légitimes héritiers de la terre des ancêtres, et donc il importe de sauver cette propriété pour la transmettre à notre lignée — et donc de procéder à la sélection des personnes habilitées à disposer d’un tel héritage à partir des origines « naturelles » des hommes.
Enfin, cette écologie bleu marine réaffirme l’importance de préserver l’identité française. Ce qu’elle introduit est d’étendre le projet différentialiste du FN au profit de certains humains et au détriment des autres. L’écologie doit par ailleurs se parer des mêmes couleurs nationalistes que sa politique migratoire ou sa politique de préférence nationale. Il est alors aisé de justifier de l’utilisation d’un soi-disant « ordre naturel » des civilisations pour justifier le refus de l’immigration et de la différence.
3. Une écologie négationniste
Pour cela, l’extrême droite procède dans son discours d’une méthode négationniste. Elle consiste à réfuter la complexité croissante des déséquilibres écologiques, de leurs conséquences et de leurs échelles. Le FN ne dénigre pas les dysfonctionnements écologiques : il en refuse le caractère systémique. Leurs positions climatosceptiques peuvent en témoigner. La politique de camouflage idéologique entreprise par Marine le Pen modère ce discours climatosceptique. La crise climatique n’est pas niée en tant que telle, mais ses effets sur les communautés humaines à l’échelle internationale le sont. La figure des réfugiés climatiques s’estompe derrière l’image élaborée et mobilisée par le FN du migrant envahissant, lui permettant ainsi de maintenir la vieille tradition xénophobe de l’extrême droite, en la parant de nouvelles teintes. Cette politique négationniste s’élabore autour de trois principes.
Le premier consiste à sélectionner les causes et conséquences des crises écologiques. Elle minimise les effets là-bas, et accentue les séquelles ici. Cela permet de justifier une fois de plus le discours de la priorité nationale ; il convient de préserver le territoire national des conséquences des crises écologiques, en instaurant une conservation maximale de cet espace et de ses ressources. Une option qui privilégie la défense des intérêts nationaux, que l’on construit comme complètement indépendant des ressources, intérêts et solidarités internationales.

Le deuxième principe opère une discrimination sélective des victimes légitimes de la crise environnementale. Ce faisant, le FN produit un discours victimaire à l’égard du peuple français : ce dernier est principalement victime d’une dégradation écologique, sans qu’il n’en soit aucunement responsable...
Le troisième principe est le plus important, car il est construit à partir d’une volonté délibérée de minorer l’ampleur de la crise écologique actuelle. En restant sur une perspective purement technique et patrimoniale de l’écologie, le FN maintient l’illusion que les réponses politiques à la crise écologique proviendraient d’une réponse nationale. Or, les mécanismes de dérégulation du climat se moquent d’une telle échelle. L’État-nation n’a guère encore de sens à l’échelle des conséquences internationales du climat ou de l’effondrement de la biodiversité ou bien encore de la raréfaction programmée des ressources non renouvelables. Prétendre que le FN pourra contenir les effets de ces crises constitue une négation sublime de la réalité écologique actuelle.
Le FN instrumentalise l’écologie dans le projet idéologique nationaliste, dont les modalités de construction et les objectifs à court terme ne sont guère compatibles avec les enjeux actuels des crises écologiques cumulées. L’écologie se trouve ainsi niée dans ses caractéristiques fondamentales (dynamique évolutive et temporelle, nécessité de l’échange et de l’hybridation…) pour réduire sa portée et l’incorporer dans la politique différentialiste du FN. Il est important de mettre l’accent sur les conséquences d’une telle négation. Elles participent à une euphémisation de l’enjeu, en lui conférant un rôle subalterne et résiduel dans la construction des politiques. Elles permettent de légitimer l’idée que la réponse devra être une réponse nationale, construite indépendamment des interactions globales que l’écologie mobilise. Dès lors, elles continuent à véhiculer l’idée que l’écologie peut servir de dispositif pour mettre en place des politiques différentialistes. L’interprétation biologique des différences entre les cultures et les valeurs populistes définirait ainsi les politiques environnementales.