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L’éducation à la nature est primordiale, finançons-la

Le confinement nous rappelle à quel point nous avons besoin des sensations que nous offre le monde naturel. Pourquoi ne pas en profiter pour impulser une vaste politique d’éducation à la nature ? C’est ce que propose l’auteur de cette tribune, en suggérant notamment l’instauration d’une taxe spécifique. Pour notre plus grand bien, et celui de la transition écologique.

Dimitri de Boissieu est écologue de formation et éducateur à la nature et à l’environnement. Il est l’auteur de Bolivie, l’illusion écologiste (éditions Écosociété, 2019) et coauteur de Sortir ! Dans la nature avec un groupe (Éditions écologistes de l’Euzière).

Dimitri de Boissieu

La crise sanitaire que nous vivons aujourd’hui prouve que toutes les activités d’intérêt général, comme la culture, l’éducation, l’action sociale et l’environnement sont totalement indispensables à notre bien-vivre. Néanmoins, un des axes totalement négligés depuis plusieurs décennies par les pouvoirs publics est l’éducation à la nature et à l’environnement pour tous et toutes, à tous les âges de la vie.

De nombreux travaux de pédagogues, de scientifiques et de journalistes ont pourtant déjà montré qu’une fréquentation régulière de la nature est indispensable au bien-être des humains. En témoignent les écrits de Louis Espinassous, du réseau École et nature, de Sarah Wauquiez, de Matthieu Chéreau et Moïna Fauchier-Delavigne, de Richard Louv ou d’Anne-Caroline Prévot.

Le contact avec le dehors permet aux enfants et adultes de se sentir bien, d’avoir confiance en eux, de gagner en autonomie et en créativité, d’être en meilleure santé et moins stressés. Il développe le goût de la coopération avec les autres et une certaine empathie envers la biodiversité et la planète Terre. L’éducation à la nature permet aussi l’acquisition de connaissances sur le monde vivant et l’établissement d’un lien affectif fort entre les personnes et leur environnement. Elle transforme ainsi notre rapport au monde et construit une société plus respectueuse des écosystèmes et des cycles naturels.

Les enfants reçoivent des enseignements sur le développement durable assis devant des écrans

Malgré ces précieuses potentialités de l’éducation à la nature, depuis une vingtaine d’années, le nombre et la durée des classes de découverte et des séjours de vacances nature ne cessent de diminuer, comme le prouvent les travaux de la « Dynamique sortir » du réseau École et Nature [1]. La peur du risque, les contraintes réglementaires et administratives, la prégnance des écrans dans la vie quotidienne, la société consumériste et le manque de budgets alloués aux sorties et séjours nature éloignent de plus en plus les enfants et adolescents du dehors.

Alors que, dans de nombreux pays d’Europe, les jardins d’enfants de plein air, les écoles en forêt et le réensauvagement des cours d’école sont monnaie courante, ils restent en France le plus souvent à l’initiative militante de quelques enseignants et animateurs isolés. Un inquiétant « syndrome du manque de nature » se développe donc dans la population, aujourd’hui très certainement amplifié par le confinement.

Le plan biodiversité du ministère de la Transition écologique et solidaire annonçait en 2018 l’objectif de « promouvoir le développement de séjours nature au collège ». Mais, dans les faits, rien ne bouge. La circulaire « transition écologique » de 2019 de l’Éducation nationale n’abordait, quant à elle, même pas la notion de besoin de nature. Alors que, dans les médias, on vante les bienfaits de la reconnexion à la nature, des bains de forêt ou de la sylvothérapie, les enfants de nos villes et campagnes restent du matin au soir cloîtrés entre quatre murs. Ils sont assignés à recevoir des enseignements sur le développement durable assis sur des chaises et devant des écrans. Pour éviter de créer une société atrophiée et afin de réussir la transition écologique, il devient donc urgent de développer massivement une politique d’éducation à la nature sur tout le territoire.

Pourtant, bien que la crise sanitaire ait permis une certaine prise de conscience sur la nécessité de construire rapidement une société de justice sociale et environnementale, l’actualité nous montre que les tenants du pouvoir utilisent plutôt le prétexte de la relance économique pour asseoir l’ordre néolibéral, en prenant précipitamment des décisions anti-environnementales [2].

Le changement ne sera donc envisageable que si un solide rapport de force social s’établit dans le pays. En cette période inédite, les forces progressistes se doivent d’être tenaces et créatives. Comme nous y invite Bruno Latour, il est utile de lister les activités que nous souhaitons diminuer ou développer. L’an 01 est de retour : soyons réalistes, demandons l’impossible !

Le nombre et la durée des classes de découverte et des séjours de vacances nature ne cessent de diminuer.

Une taxe de la publicité pourrait financer l’éducation à la nature

En 1976 a été intelligemment créée la taxe départementale des espaces naturels sensibles (TDENS). Renommée aujourd’hui taxe d’aménagement, elle permet aux collectivités locales de taxer à hauteur de 1 à 5 % toutes les opérations soumises à autorisation d’urbanisme — notamment les nouvelles constructions. Ces fonds publics sont affectés à l’acquisition foncière d’espaces naturels, dans le but de les protéger, de les gérer et de les ouvrir au public. Il s’agit en quelque sorte d’appliquer le principe pollueur-payeur au processus d’urbanisation. En construisant une maison, on artificialise durablement les sols, au détriment de la nature ordinaire. On paye donc pour compenser cette dégradation. Entre 2001 et 2010, la TDENS a permis de générer à l’échelle du pays un budget moyen annuel de 167 millions d’euros [3]

Cette logique pourrait tout à fait s’appliquer au financement de l’éducation à la nature en « prenant l’argent où il se trouve », comme le propose la réalisatrice Coline Serreau dans son message « Le monde qui marchait sur la tête est en train de remettre ses idées à l’endroit ». Certains « pollueurs de l’enfance » sont facilement identifiables : les publicitaires dégradent en toute impunité les cerveaux de nos jeunes générations. En les bombardant de publicités dès le plus jeune âge, les marchands manipulent les enfants pour les transformer en « prescripteurs d’achats », notamment d’aliments trop gras et trop sucrés. La publicité développe par ailleurs chez eux un sentiment de frustration. Surtout, elle leur assigne durablement un rôle de consommateur et ancre en eux les stéréotypes de genre.

Une loi interdisant la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique a été promulguée fin 2016. C’est une avancée importante [4].

Mais qu’en est-il de la publicité diffusée sur les chaînes de télévision privées, sur les panneaux publicitaires, dans la presse jeunesse et sur Internet ? Il faut continuer à militer pour l’interdire ou la limiter. De manière plus pragmatique, une taxe pourrait aussi tenter de compenser, a minima, l’influence néfaste de la publicité sur l’éducation des enfants.

En France, les recettes publicitaires augmentent constamment depuis une décennie, atteignant, selon le Baromètre unifié du marché publicitaire la valeur de quinze milliards d’euros en 2019. En imaginant qu’un quart des publicités soit à destination des 0-18 ans et en appliquant aux marques une taxe de seulement 1 % sur leurs investissements publicitaires, la collectivité pourrait ainsi bénéficier d’un budget annuel de 37,5 millions d’euros.

Enfin de quoi envisager le développement d’une ambitieuse politique d’éducation à la nature... Afin que les enfants puissent à nouveau courir dans les prés, et que s’accélère la transformation écosociale de notre monde.

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