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Eau et rivières

L’humanité a dépassé une limite planétaire : l’humidité des sols

La forêt amazonienne, ici en Équateur, pourrait se transformer en savane.

Une récente évaluation de l’état de l’eau douce montre qu’une nouvelle limite planétaire a été franchie. C’est la première fois que l’humidité des sols est prise en compte dans ce calcul.

Le changement climatique a fait prendre conscience que les activités humaines mettent en danger le fonctionnement global de la planète. Mais le climat n’est pas le seul système terrestre affecté. Une nouvelle étude, publiée dans Nature le 26 avril, montre qu’une sixième limite planétaire, celle de l’eau douce, a été franchie.

Depuis 2009, le Stockholm Resilience Center propose neuf limites planétaires pour suivre l’impact des activités humaines sur les différents systèmes biophysiques et calculer les limites de chacun. Outre le climat, d’autres changements sont d’ores et déjà critiques : l’érosion de la biosphère, les perturbations du cycle de l’azote et du phosphore, le changement d’utilisation des sols et la pollution terrestre par des milliers de substances synthétiques. L’eau douce vient désormais s’ajouter à cette liste.

Dans l’article de Nature, les auteurs soulignent que si la dernière évaluation de la consommation d’eau douce n’était pas alarmante, c’est que l’indicateur n’était pas bon. En effet, seule l’eau dite « bleue » était prise en compte, autrement dit les lacs, les rivières et les nappes souterraines. L’évaluation des ressources en eau oubliait ainsi de prendre en compte l’humidité des sols (avec précipitations et évaporation), ou « eau verte ».

L’eau verte sous-tend l’existence de toute végétation

« L’humidité du sol dans la zone racinaire est cruciale, car elle représente l’eau disponible pour les écosystèmes terrestres et détermine donc directement si la végétation subira un stress hydrique », souligne Lan Wang-Erlandsson, chercheuse au Stockholm Resilience Center et première autrice de l’article.

L’eau verte sous-tend ainsi l’existence de toute végétation, y compris l’agriculture. Or l’état de la ressource en eau bleue ne suffit pas pour comprendre celui de l’eau verte. Par exemple, la déforestation peut avoir un impact positif sur la réserve en eau bleue, en augmentant le ruissellement des pluies vers les rivières, mais elle réduit en revanche l’humidité présente dans les sols déboisés.

« Cet article propose une révision de l’ancienne limite planétaire, pour mieux représenter les différents effets des changements du cycle de l’eau sur le système terrestre », explique ainsi la chercheuse, qui pointe que, à l’aune de ce nouvel indicateur, le changement subi par l’eau douce « est au-delà des limites de sécurité. Pour le dire simplement : de vastes étendues de terres sont maintenant considérablement plus humides ou plus sèches que la normale », soit depuis plus de 10 000 ans tout au long de l’holocène.

La forêt amazonienne, ici à Manaus en 2005, pourrait se transformer en savane. Wikimedia Commons/CC BY 3.0/James Martins

Troisième mise à jour

Pour les chercheurs, l’enjeu est aussi de mieux comprendre les interactions entre l’humidité des sols, la biosphère et le climat. Le changement climatique et la déforestation provoquent par exemple un assèchement croissant, qui s’autoamplifie par la réduction des précipitations et l’augmentation du risque de sécheresse, d’incendies et de mortalité des arbres.

« La forêt amazonienne est peut-être l’exemple le plus emblématique et le plus connu : l’assèchement continu pourrait conduire à une transition abrupte et persistante de la forêt tropicale, à un état semblable à celui de la savane qui sera difficile ou impossible à inverser. En conséquence, la forêt amazonienne semble désormais être une source nette de carbone », explique Lan Wang-Erlandsson. Les trois quarts de la forêt amazonienne ont ainsi perdu en résilience depuis le début des années 2020, selon une étude publiée en mars dernier. La chercheuse pointe d’autres résultats de novembre 2020 : « Des changements brusques du régime d’humidité du sol semblent également s’être produits, par exemple en Asie de l’Est intérieure, où les vagues de chaleur et les sécheresses s’autoamplifient. »

« Johan Rockström [pionnier des travaux sur les limites planétaires et directeur du Stockholm Resilience Center de 2007 à 2018] a été extrêmement actif pour que le concept d’eau verte soit pris en compte par les centres de recherche et les discours internationaux sur l’eau au milieu des années 2000, dit à Reporterre Jean-Philippe Venot, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), qui précise toutefois : Si l’humidité des sols est bien sûr un sujet pertinent, je me demande en quoi c’est une limite planétaire, étant donné que c’est un statut temporaire de l’eau dans le sol [après précipitation et avant évaporation]. Elle est par ailleurs indirectement prise en compte dans les autres limites planétaires, comme celle sur le climat du fait du changement des températures et des dynamiques de précipitations, et celle sur le changement d’usages des terres qui impacte fortement l’humidité des sols. »

Une troisième mise à jour de l’ensemble des limites planétaires est attendue au plus tard pour début de 2023.

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