La Chine, notre destin
Peut-on être plus bête qu’un économiste ? Sans doute, car la limite, en ce domaine, n’existe pas réellement. Il n’empêche que si l’on faisait un concours - mais qui l’organiserait ? -, ce spécialiste-là serait assuré de monter sur le podium. Oui, l’économiste est massivement con, je suis désolé de froisser ainsi la sensibilité de mes lecteurs. L’économiste ordinaire se délectera de la prose du journal Le Figaro, ce qui est déjà un bien mauvais signe. J’ai trouvé et lu deux petits chefs-d’œuvre consacrés à la Chine, que je vous invite à lire (1) et (2). Comme je ne suis pas certain de votre patience, je vais vous en résumer l’essentiel.
Le premier papier annonce que la Chine va probablement devenir le plus grand importateur de charbon au monde au cours de cette année 2010. Ce n’est pas une petite nouvelle, au moins pour deux raisons. Un, la Chine est déjà le plus gros producteur mondial de charbon, et de très loin : en 2005, la Chine a produit 2 milliards et 430 millions de tonnes de charbon, tandis que le deuxième, les États-Unis, ne dépassait pas 1 milliard et 131 millions de tonnes. Deux, la combustion de charbon, dans les centrales ou pour des usages domestiques, est l’un des plus puissants contributeurs à l’effet de serre.
Au-delà, il faut bien s’interroger. Comment un tel phénomène est-il possible ? Comment diable la Chine peut-elle brûler autant de charbon ? J’en viens au deuxième article. La Chine ne se contente pas de cramer de la houille et du lignite. Elle est devenue un gigantesque aspirateur à matières premières. Une gueule insatiable qui avale le fer, le pétrole, le nickel, l’uranium, le manganèse, le cobalt, les « terres rares » si nécessaires dans de nombreux usages industriels, le bois, le caoutchouc, etc. La croissance chinoise serait sous-estimée par les bureaucrates au pouvoir à Pékin, pour ne pas effrayer le reste du monde. Elle pourrait avoisiner le pourcentage annuel de 15 %. Une démence, une pure démence.
L’économiste de service, qui n’a jamais entendu parler du rôle des écosystèmes, qui n’a jamais songé aux innombrables services « gratuits » que prodigue la nature aux hommes - leur « valeur » est bien plus grande que le PIB mondial -, ne voit pas où est le problème. Au mieux, il parlera alors de « surchauffe » de l’économie chinoise, et suggérera de prendre des mesures pour freiner ce qu’il croit être un nouveau cycle historique du développement des sociétés. Et c’est en ce sens, précisément, qu’il révèle l’étendue de son idiotie. Attention ! je ne veux pas dire qu’un économiste est fatalement une buse. Ce que je crois, c’est que l’économie interdit de penser la réalité du monde.
Car si l’on ajoute au tableau l’incroyable détérioration des équilibres naturels les plus élémentaires, il n’est qu’une seule conclusion possible : l’hypercroissance chinoise annonce un chaos intégral et planétaire. Le temps n’est plus de l’accumulation de capital d’antan, comme l’ont réussie, sur le dos des ouvriers et des colonies, les nations d’Occident, dont la nôtre. Pour la raison très simple que les limites physiques se sont rapprochées au point que nous les touchons désormais. Les espaces et les ressources engloutis dans la mise en orbite de l’Allemagne, de la France de l’Angleterre de ce côté-ci de l’Atlantique, et des États-Unis sur l’autre bord, n’existent plus. Il faut maintenant effacer et dissoudre, araser les forêts, assécher les fleuves, vider les océans, disloquer ce qui reste de l’ancien équilibre climatique.
Il n’y a plus aucun ailleurs, comme j’ai eu l’occasion de déjà l’écrire. Il n’y a plus que ce que nous voyons, qui disparaît à une vitesse accélérée. La marmite chinoise, qui nous fournit l’immonde tambouille que l’on sait, des tee-shirts aux ordinateurs, des chaussettes aux bières Tsingtao, fait bouillonner ensemble les forêts de Nouvelle-Guinée et le pétrole d’Angola, l’uranium du Niger et le caoutchouc du Cambodge. Il n’y aura bientôt plus rien. Ce bientôt peut signifier dix ans, ou cinquante. Ne sous-estimons pas l’inventivité technologique des humains, qui fera gagner du temps, en toute hypothèse.
Pour nous, cela peut faire une différence. Pour ce qui se meut, pour ce qui vit encore, guère. La Chine, comme métaphore. La Chine, comme parabole. La Chine, notre destin.
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Notes
(1) http://www.lefigaro.fr/matieres-pre...
(2) http://www.lefigaro.fr/matieres-pre...