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TribuneHabitat et urbanisme

La France dévorée par l’étalement urbain

L’étalement urbain se poursuit dans l’indifférence générale. Gaspillage de terres, destruction de nature, accroissement des inégalités, les maux en sont toujours mieux connus. Des remèdes à cette maladie dévorante existent : il faut les appliquer !

Le constat est connu mais son ampleur, sa gravité et l’urgence qu’il implique moins. La France disparaît à grande vitesse. Ses paysages, sa capacité agricole, ses espaces. La France disparaît parce que jour après jour, dans chaque région sans exception, des champs, des près, des bois, des espaces entiers continus deviennent des zones d’activité (avec pour seule logique d’implantation le « chacun la sienne », à une échelle rarement plus large que celle du canton, induisant une concurrence entre des micro territoires qui induit au niveau national un énorme gâchis d’espace), des lotissements (contribuent-ils à la baisse du manque crucial de logements en France ?), des centres commerciaux (en général en concurrence avec de nombreux autres sur la même zone), des routes.

Qui n’a pas le souvenir d’un paysage, d’un lieu de son enfance, ou d’il n’y a pas si longtemps, remplacé par un lotissement alignant des maisons, un centre commercial de périphérie, une zone d’activités ? La France devient un territoire morcelé et ce morcellement conduit à une disparition accélérée de nombreuses espèces animales et notamment de celles des zones humides, et complique encore le travail des agriculteurs.

Cette destruction d’espace constitue-t-elle par ailleurs, comme le soutiennent les promoteurs des « projets » une solution aux crises du logement et de l’économie ? Non, ces crises n’ont jamais été aussi fortes en France et la consommation d’espace aussi rapide.

Le problème majeur : les innombrables "petits projets"

Le problème n’est pas tant les gros projets emblématiques et dévoreurs d’espace comme l’aéroport de Notre Dames des Landes mais les innombrables « petits » -en apparence- projets de centres commerciaux, zones d’activités, lotissements (souvent moins de 50 ha) et qui mis bout à bout aboutissent aux chiffres suivant et au visage de la France d’aujourd’hui :

315 000 ha consommés entre 2006 et 2010 (la surface moyenne d’un département métropolitain est de 588 000 ha), principalement aux dépens des terres agricoles (ministère de l’agriculture, de l’agro alimentaire et de la forêt, enquête TERUTI LUCAS, série révisée en avril 2011, citée dans la revue du CGDD mars 2012), 3% d’augmentation de la surface artificialisée entre 2000 et 2006 selon l’enquête Corine Land Cover et dans 10 régions, l’artificialisation croît même plus vite que la population.

Quelques exemples de destruction à venir, en ce moment, parmi les nombreuses passées et à venir. De gros chiffres, des petits et au final des territoires promis à la disparition : 150 hectares engloutis sous un centre commercial/parc de loisirs géant d’Auchan à Gonesse en Ile-de-France (Europacity), 1 hectare de la ferme bio de la Ruelle dans le Nord sous un lotissement, des hectares de littoral et de maquis en Corse sous des résidences secondaires utilisées quelques mois par an, 1650 hectares sous l’aéroport Notre Dame des Landes dont le besoin économique et social à long terme n’est pas établi, les avis de l’autorité environnementale, émis sur d’aménagement et publiés sur les sites des directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) égrènent les projets consommateurs d’espaces, quelques exemples pris au hasard : zone d’activité à Saint Georges-des-Coteaux (16) 56 ha ; zone d’activité à Bulle (25) 18 ha ; centre commercial à Auxonne (21) 4 ha ; lotissement à Castres (81) 16 ha et tant d’autres.

Le constat est connu et la prise de conscience dans les discours et les lois déjà ancienne : la loi SRU (Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains) de 2000, il y a 13 ans, créant les outils d’urbanisme aujourd’hui en vigueur (schémas de cohérence territoriale (SCOT) et plans locaux d’urbanisme (PLU)), posait déjà l’incitation à réduire la consommation des espaces non urbanisés et la périurbanisation, en favorisant la densification raisonnée des espaces déjà urbanisés. Ces outils d’urbanisme ont été complétés d’un empilement d’outils, inefficaces à ce jour (loi de modernisation de l’agriculture du 27 juillet 2010...) car l’urbanisation de terres agricoles accélère encore.

Pourquoi cet état de fait ? Quels sont les facteurs qui l’établissent et sur lesquels il faudra agir si collectivement la société française (Etat, collectivités locales, citoyens consommateurs) décident de mettre un terme à cette destruction ?

-  Tout d’abord la dissonance entre le discours public et politique national - « il faut maitriser l’étalement urbain » - et les actes et volontés locals des élus qui cherchent à développer (la question est de savoir ce que signifie ‘développer’) leur territoire au moyen de zones d’activités, lotissements et autres centres commerciaux étalés, peu pensés du point de vue architectural, dévoreurs d’espace.

L’opposition est particulièrement forte sur ce sujet entre l’intérêt général : il faut préserver l’espace agricole et naturel et les intérêts particuliers : volonté de maison individuelle entourée d’un grand terrain, habitudes de consommation dans les centres commerciaux de périphérie, désir des propriétaires de terrains de les rendre constructibles afin les valoriser au maximum lors d’une éventuelle vente/succession, habitat dispersé autorisé pour les besoins des agriculteurs qui, revendu, devient un nouveau noyau d’urbanisation.

-  La valorisation des terrains bien plus élevée quand le terrain est constructible que non constructible.

-  Le coût du foncier d’autant plus bas que l’on s’éloigne des centres ville, des lieux d’emploi

-  Le pouvoir des maires sur la destination des terres (constructible ou non) dans le cadre de l’établissement du plan local d’urbanisme (PLU) et la caractéristique « électoraliste » du mandat : pour être réélu, il faut satisfaire les demandes des administrés notamment de construire et rendre constructible.

-  Le chantage à l’emploi des aménageurs (promoteurs d’immobilier commercial ou résidentiel) face à des maires de petites communes rurales ou péri urbaines démunis pour opposer des études sérieuses aux valorisations fantaisistes de créations d’emploi (un centre commercial de périphérie ne crée pas d’emplois nets. Ils les déplacent du centre-ville (commerces) vers la périphérie).

-  La trop faible rémunération des agriculteurs, viticulteurs et exploitants forestiers qui les conduit à devoir vendre du terrain. La grande difficulté des paysans de ce pays à gagner correctement leur vie et la nécessité pour eux de vendre, hectare après hectare leur terre est un facteur majeur de la perte d’espace agricole. Un hectare constructible peut valoir en 2007 jusqu’à 300 fois le prix d’un hectare non constructible.

Ce différentiel entraîne des pressions considérables sur les élus pour rendre les parcelles constructibles et les agriculteurs eux-mêmes participent à cette hausse du coût du foncier, notamment en fin de carrière pour se donner des moyens supplémentaires au cours de leur retraite.

On peut renverser la vapeur

L’étalement urbain n’est pas un phénomène inéluctable. Il est le choix de politiques qui refusent à ce jour d’encadrer efficacement l’extension de l’urbanisation. Une partie de la destruction est irrémédiable, un changement rapide et ferme de la politique publique à cet égard permettrait de stopper ou du moins freiner fortement ce phénomène. Pas de fatalisme en ce domaine mais de l’action publique rapide.

Quelques pistes pour enrayer le gaspillage de terres

Avant tout : revoir profondément la fiscalité qui touche à l’urbanisation :

1 - Rendre plus cher de « consommer » de la terre agricole / naturelle pour la
construire que de rénover une construction existante ou de construire dans un
ensemble déjà urbanisé

Par exemple indexer la taxe d’habitation annuelle sur les m2 (mètres carrés) construits ou rendre coûteuse pour les propriétaires la conservation des dents creuses (terrain non construit au sein d’un ensemble déjà urbanisé) afin de favoriser la densification des zones pavillonnaires par la fiscalité.

2- Alléger la fiscalité des terres non construites « TFNB = la taxe sur le foncier non bâti » que payent les propriétaires de terrains (paysans propriétaires et propriétaires fonciers) chaque année pour rééquilibrer la « valeur » pour la société française entre un terrain construit et non construit : les terrains non construits ne sont pas des espaces « par défaut » - ils ont une valeur positive de production alimentaire, de paysage, de maintien de la biodiversité.

Surtout questionner la puissance du maire et du conseil Municipal dans la définition des terrains constructibles et dans la délivrance des permis de construire.
La fonction du maire et de son conseil municipal porte en soi une part inhérente de clientélisme qui pousse à rendre les terrains constructibles et à octroyer les permis de construire.

De ce point de vue, la troisième vague de décentralisation, préparée par le gouvernement actuel sera ravageuse car elle prévoit de transférer intégralement l’application du droit des sols au Collectivités.

Enfin, une agriculture, une viticulture fortes, que les consommateurs accepteraient de rémunérer à la valeur réelle des services vitaux qu’elle rend (production alimentaire et énergétique, biodiversité, paysages, prix des matières alimentaires) sont les meilleurs outils de lutte contre la dégradation de notre territoire.

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