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ReportageNotre-Dame-des-Landes

La Zad de Notre-Dame-des-Landes se mobilise pour la bataille des terres

Zadistes, paysans et soutiens se préparent à un nouveau bras de fer administratif avec l’État et face à l’association Amelaza, qui convoite les terres du bocage.

  • Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), reportage

Malgré la bise matinale, la ferme de Bellevue, à l’ouest de la Zad de Notre-Dame-des-Landes, s’éveille. Palettes, tables et tentes se dressent au rythme des marteaux sur les clous et les piquets. Une bande de menuisiers s’échine à poser les dernières planches sur le Hangar de l’Espoir pour préparer la salle de concert du soir. Les bannières se dressent au-dessus des étals. L’une annonce « NDDL Poursuivre Ensemble », l’association tout juste née des cendres de l’Acipa à la mi-septembre. Derrière la ferme, des habitants de la zone battent les haricots à l’aide d’une vieille machine qui peine sous l’effort. À l’abri d’un barnum nommé Radikales Cocottes, les chefs cuisiniers du jour préparent la tambouille et le café.

Le battage des haricots.

Le breuvage noir entre les mains, les uns et les autres s’interpellent, se reconnaissent ou se rencontrent. Un duo d’agriculteurs venus de la Roche-sur-Yon discute avec des confrères nantais. Un trio d’étudiant rennais propose de donner un coup de main aux préparatifs. Une militante d’Attac venue de Lyon disserte derrière son stand sur les luttes de l’A45, du Lyon-Turin et de la forêt de Roybon. Peu à peu, les alentours s’emplissent d’une foule de tout âge, réunie dans le bocage à l’occasion de Terres Communes, une mobilisation orchestrée ces samedi 29 septembre et dimanche 30 pour dévoiler le cap de la Zad pour l’année à venir. Car si l’ambiance est bucolique, la lutte pour la défense de la zone reste au cœur de tous.

Les expulsions par la force ont beau ne plus être à l’ordre du jour, la bataille administrative continue dans le massif armoricain. D’un bord, les zadistes et paysans qui occupent Notre-Dame-des-Landes, désirent faire prospérer des « fermes à taille humaine » et poursuivre leurs expérimentations sociales au spectre plus large que le simple objet agricole. De l’autre, l’Amezala (l’Association pour le maintien des exploitations légales sur l’ancienne zone aéroportuaire) défend les intérêts des anciens exploitants, ceux qui ont négocié leur départ en amont de la construction de l’aéroport en renonçant à leurs droits d’exploitation contre des indemnités d’éviction et des équivalents fonciers : ils veulent maintenant récupérer les terres. Ce sont des « cumulards », disent les zadistes : « Ils ont touché des compensations financières pour chaque hectare de terre, et veulent récolter les fruits de notre lutte, siffle Camille, une habitante. Ces terres devraient être attribuées à une paysannerie cohérente avec les valeurs qu’on a défendues. À de jeunes exploitants qui soient légitimes avec des projets sérieux, pas à des agriculteurs qui fonctionnent à échelle industrielle et qui ont déjà des fermes de 300 à 500 hectares ! »

« On s’est battu contre le béton. Aujourd’hui il faut se battre contre l’agriculture intensive »

Depuis l’abandon du projet d’aéroport, le collectif des anciens agriculteurs locaux lorgne sur les parcelles de nouveau disponibles pour l’élevage et la culture. « L’Ameleza pousse, avec le soutien de la chambre d’agriculture, pour récupérer le plus de terres possible et agrandir leurs fermes déjà conséquentes », confirme Christian Grisollet, de l’association NDDL Poursuivre Ensemble. Une ambition largement critiquée au sein de la Zad : « On s’est battu contre le béton, clame une oratrice lors de la prise de parole, appuyée par les applaudissement de la foule. Aujourd’hui, il faut se battre pour éviter une agriculture intensive, au glyphosate, toxique pour l’environnement et les agriculteurs. Ils se revendiquent plus légitimes que nous alors qu’ils n’ont pas protégé les terres ! » Un point de vue que partage un membre des Naturalistes en lutte : « Avec le modèle des Gaec [Groupement agricole d’exploitation en commun], on est sur un modèle où la marchandisation et le mode d’élevage est capital. Notre-Dame-des-Landes, c’est l’expérimentation parfaite pour prouver que d’autres façons de cultiver existent, sans pour autant ruiner les sols en vingt ans. »

Sur les 1.650 hectares de la Zad, les conventions d’occupation précaires (COP) signées par la préfecture avec les zadistes ne correspondent qu’à 140 hectares, et ne sont valables que jusqu’à la fin 2018. En mai dernier, le Premier ministre a confirmé que 895 hectares de terres seraient revendues par l’Etat au département de la Loire-Atlantique. Au total, le futur des paysans de la Zad reste très incertain. Une partie de cet avenir se jouera le 12 octobre prochain à la préfecture, lorsqu’un comité de pilotage se réunira pour décider du devenir des terres. « Il y aura des rétrocessions pour les paysans historiques de la Zad, et il y en aura pour les autres Gaec qui ont vendu à l’Etat, prévoit Christian Grisollet. Ce qu’on a ressenti, c’est qu’au niveau de la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), il y a une volonté d’assouplir les décisions. Mais seront-elles en notre faveur ? On est dans le flou complet. »

En attendant l’arbitrage du comité, les habitants de la zone ont organisé des promenades tout au long du week-end pour présenter les modèles agricoles mis en jeu par le partage des terres. L’une s’est dirigée vers la ferme de Saint-Jean du Tertre où Mika et Wilhem, le premier boulanger, le second éleveur, exploitent des parcelles. S’ils souhaitent régulariser leur situation via des conventions d’occupation précaires, deux autres agriculteurs de l’Amelaza ambitionnent de reprendre ces terres qu’ils ont abandonnées en 2008 contre des indemnités, et en échange desquelles ils se sont vus attribuer d’autres parcelles hors de la Zad.

Un second parcours est parti accompagner la transhumance des moutons de Romain. Celui-ci souhaite pérenniser son exploitation pour atteindre 150 brebis et espère pouvoir utiliser à terme 45 hectares, dont 35 en prairies naturelles, pour son projet de bergerie du Pont à l’Âne. Mais là encore, un chemin de croix administratif l’attend sans aucune certitude d’obtenir un dénouement en leur faveur. D’où une certaine frustration qu’exprime François, un soutien de Vannes : « On leur a demandé de construire des projets d’installation dans les normes, mais pour le moment on ne leur donne pas de surface suffisante pour les développer, et ils risquent de les voir attribuer à d’autres… »

Pas de quoi décourager les occupants de Notre-Dames-des-Landes et leurs soutiens pour autant. Plusieurs centaines de personnes ont fait le déplacement ce week-end pour réitérer leur soutien à la lutte. Un flot de nouveaux adhérents s’est joint à NDDL Poursuivre Ensemble, qui est passé de 200 membres à plus de 300 en une journée. « Et encore, ce n’était que samedi », sourit l’une des bénévoles de l’association. Prochaine étape ? « Rendez-vous devant la préfecture le 12 octobre avec les tracteurs », lance un habitant.

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