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TribuneÉconomie

La crise sanitaire est l’occasion de réfléchir à la décroissance choisie

La pandémie de Covid-19 a mis l’économie mondiale à l’arrêt. Mais, subie et brutale, cette récession fait peser de lourdes menaces d’un point de vue social, démocratique et humain. Pour les auteurs de cette tribune, la situation ne ressemble en aucun cas à la société de décroissance qu’ils appellent de leurs vœux.

Vincent Liegey, Stéphane Madelaine, Christophe Ondet et Anisabel Veillot sont décroissants coauteurs de Un Projet de décroissance. Thomas Avenel est décroissant.


Le coronavirus a poussé la quasi-totalité de l’humanité à se confiner. En toute logique, les conséquences pour l’environnement s’avèrent des plus salvatrices avec entre autres, baisses des émissions de CO2 et de la pollution atmosphérique. Le PIB ralentit, la planète s’en porte mieux. Les décroissants en ont rêvé, le coronavirus l’a fait ?

Non. La période que nous sommes en train de vivre ne ressemble en aucun cas à la société de décroissance que nous prônons. Ce ralentissement de l’économie est des plus inquiétants d’un point de vue social, démocratique et humain. Cette récession subie aura même des conséquences totalement contraires à ce qui pourrait et devrait émerger d’une décroissance choisie. Toutefois, il nous semble que cette crise représente une occasion à saisir pour repenser notre modèle de société, pour qu’il soit en mesure d’éviter ce genre de chocs ou de mieux les absorber.

Le coronavirus est un révélateur mais aussi un accélérateur des inégalités : isolement des plus vulnérables, exploitation des plus précaires, contamination des plus exposés… Dans ces conditions exceptionnelles, c’est une fois de plus le monde du travail qui impose sa marche à suivre, et génère encore plus d’inégalités. De plus, la tentation autoritaire est de retour…

Pour la décroissance, le coronavirus n’est en aucun cas une réjouissance, bien au contraire : cette situation est un échec de plus qui nous démontre que seuls un choc et une sidération permettent de susciter du débat, des prises de conscience, et, espérons-le, des changements pérennes dans nos comportements et une transformation en profondeur de notre modèle de société mortifère.

Dans une société individualiste fondée sur l’illusion de toute puissance, il a fallu un virus pour nous rappeler le sens des limites et de la mesure, pour rappeler notre vulnérabilité, et mettre en évidence la fragilité des systèmes complexes que nous avons construits. Nous ne contrôlons pas la nature, nous en faisons partie. De même, nous faisons face à des limites techniques et énergétiques. Quand les frontières se ferment ou comme pour bientôt, quand le pétrole se met à manquer, c’est toute la chaîne industrielle qui s’effondre. Enfin, on réapprend l’humilité et le bon sens sur le besoin de services publics, de relocalisation et de solidarités informelles.

La politique doit reprendre le pouvoir sur une économie qu’il faut remettre au service de la société 

Cette situation historique, non désirée et non désirable, est peut-être une dernière chance pour une sortie sereine de la société de croissance. Comment transformer une tragédie imposée en occasion favorable ? Depuis deux semaines, nous devons réapprendre à ralentir, à revoir nos priorités, à nous désintoxiquer du travail, du productivisme et du consumérisme. Le hamster est sorti de sa roue et pourtant tout ne s’est pas effondré, la vie continue malgré tout…

La décroissance que nous prônons est un peu ce que certains, libérés du travail, vivent ces jours-ci mais sans le confinement et avec de la convivialité, des solidarités, et en revenant à l’essentiel. La période actuelle nous enseigne qu’il est possible de ralentir, et que c’est même souhaitable, à condition d’adapter notre modèle économique à ce type de vie. L’expérience actuelle nous montre que le politique peut et doit reprendre le pouvoir sur une économie qu’il faut à tout prix remettre au service de la société, plutôt que de la protéger, de lui donner priorité, et de la mettre sous assistance, quitte à sacrifier les droits les plus élémentaires.

Elle nous recentre également sur des essentiels : l’accès à l’alimentation, à la santé apparaissent ainsi comme les deux besoins les plus vitaux. Elle questionne l’utilité même de certaines activités. En nous imposant une « distanciation » sociale, et un repli dans des interactions virtuelles appauvries, elle met en évidence l’un des principes centraux de la décroissance que rappelle notre slogan « moins de biens, plus de liens : la convivialité ».

Des chocs d’origine sanitaire ou autre, ne manqueront pas de se reproduire si nous ne changeons rien. Cette période est une occasion pour se reposer la question du sens de nos vies, de nos activités, de notre rapport à l’autre et à notre environnement, de ce qu’on produit : Comment ? Pour quel usage ? De l’absurdité du toujours plus, du « bougisme » permanent, de la religion de l’économie. Comment penser et construire des transitions vers de nouveaux modèles de sociétés relocalisées mais ouvertes, justes, solidaires, soutenables mais surtout conviviales et souhaitables ?

La décroissance nous y invite. Le coronavirus, prémices d’un effondrement annoncé et en cours, peut, avec la contrainte, nous offrir un espace pour des pas de côté. Mais la partie est loin d’être gagnée, tant la religion de la croissance reste présente et l’histoire nous montre que le retour à la « normale » est le plus souvent la norme. Pédagogie des catastrophes ou stratégie du choc, à nous de nous emparer de cette occasion, en restant bien confinés, mais solidaires.

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