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Quotidien

La frangipane « made in France » a disparu

L'amande des galettes françaises vient principalement des États-Unis et d'Espagne.

Alors que le sud de la France était jadis couvert d’amandiers, la France ne produit quasiment plus ce fruit essentiel de la galette des rois.

Avec son feuilleté croustillant, son cœur doux et fondant, elle égaye notre début d’année. Incontournable de la gastronomie française, la galette des rois n’a pourtant rien de tricolore. « Il n’y a quasiment plus de frangipane “made in France” », confirme François Moulias, de la Compagnie des amandes. En cause : le petit fruit à coque, ingrédient phare de la crème pâtissière, provient à plus de 95 % de l’étranger.

En 2021, selon les chiffres de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), nous avons importé plus de 47 000 tonnes d’amandes écalées — sans la peau —, principalement de Californie et d’Espagne. Dans le même temps, nous n’avons récolté que 600 tonnes en France. Un paradoxe : il n’y a pas si longtemps, « l’amandier était un pilier de la ruralité dans le sud de la France, un arbre mythique, comme l’olivier », rappelait la revue Fruits oubliés dans son numéro consacré à ce fruitier.


© Clarisse Albertini/Reporterre

Hécatombe

Soixante ans en arrière, l’arbre aux fleurs blanches couvrait ainsi tout le pourtour méditerranéen. « Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, il y avait en Provence 12 000 hectares d’amandiers », estime M. Moulias. Aujourd’hui, à peine 2 200 ha sont cultivés sur tout le territoire. Comment expliquer cette disparition ?

« Jusqu’en 1950, il y avait pas mal de producteurs, des casseries [usines où l’on casse les amandes] et un marché local, avec les nougats, les calissons, rappelle Hervé Lauzier, amandiculteur à Châteauneuf-du-Rhône (Drôme). Beaucoup de gens avaient des amandiers, en plus d’autres cultures. » Puis arriva le coup de gel de 1956 : « Le 8 février, on est passé de +20 °C en journée à –20 °C en fin de soirée », raconte-t-il. Dans les vergers, ce fut l’hécatombe.

« Lorsqu’il s’est agi de replanter, la plupart des personnes ont replanté autre chose, poursuit François Moulias. L’amandier, c’était une culture secondaire, des variétés sensibles aux maladies, à faible rendement. » Pas une production d’avenir, en somme. De l’autre côté de l’Atlantique, les agriculteurs ont pourtant parié sur le fruit à coque, en y mettant les (gros) moyens. Irrigation, pesticides, production intensive. « Les Étasuniens produisaient des amandes bien moins chères, on ne pouvait pas faire concurrence », dit Hervé Lauzier. Aujourd’hui, le prix moyen au kilo se situe entre 5 et 6 euros, quand les producteurs français atteignent 10 euros le kilo [1].

Les replantations se multiplient, mais pourraient se heurter au réchauffement du climat. Pxhere/CC0

« On va redevenir un pays producteur »

Quelques irréductibles — des « fadas » selon les mots de Hervé Lauzier — ont bien tenté de sauvegarder la culture traditionnelle… non sans difficulté. « Quand je me suis installé en 1988, on produisait 20 tonnes sur une vingtaine d’hectares ; aujourd’hui, on arrive à peine à 6 tonnes, se désole l’agriculteur. Les maladies sont devenues trop présentes. » Le chancre à Fusicocom, provoqué par un champignon, ou encore la guêpe de l’amandier peuvent ainsi détruire la quasi-totalité d’une récolte. Contre ces ravageurs, il n’existe pour le moment pas de solution bio ni de produits efficaces — et les phytosanitaires autrefois utilisés par M. Lauzier ne sont plus autorisés. « Jusqu’ici, on était si peu nombreux à produire en France que la recherche publique ne s’intéressait pas à nous », regrette le producteur.

Autre frein, identifié par François Moulias : « Il faut compter 25 000 euros par hectare pour planter des amandiers. C’est énorme, car ça comprend le système d’irrigation, la préparation du sol, mais aussi les pertes inévitables les cinq premières années, le temps que le verger devienne productif. » Avec son (riche) compère Arnaud Montebourg, il a ainsi créé en 2018 la Compagnie des amandes, avec l’ambition de « relancer la production française », en accompagnant, et surtout en finançant intégralement l’installation d’amandiculteurs [2]. La société soutient également la construction de casseries — jusqu’ici, il fallait souvent expédier les fruits en Espagne pour qu’ils y soient décortiqués.

Mais l’ambition de l’ex-ministre du Redressement productif pourrait se heurter au mur du changement climatique. « Les hivers ne ressemblent plus à des hivers, et quand il fait 13 °C, les champignons se développent, décrit Hervé Lauzier. Et puis maintenant, les fleurs sortent dès la mi-février, c’est trop tôt, et ça les rend plus sensibles aux coups de gel qu’on peut avoir début mars. » En Californie, les sécheresses récurrentes ont eu raison de nombre de vergers.

Malgré tout, François Moulias veut croire au retour de l’amande française : « Aux États-Unis, ils irriguent cinq fois plus que chez nous, pour augmenter les rendements, et ils ont décimé les pollinisateurs avec les pesticides, soutient-il. Il y a un avenir pour une culture de l’amandier locale, respectueuse de l’environnement. » La compagnie compte désormais 250 hectares de fruitiers, et une dizaine d’agriculteurs associés. D’autres groupes s’intéressent au sujet, les agriculteurs bio s’y mettent et les replantations se multiplient. Hervé Lauzier voit ces projets d’un bon œil : « Plus on sera nombreux, plus on pourra fournir les entreprises qui ont besoin de gros volumes, et plus les politiques s’intéresseront à nous, espère-t-il. On va redevenir un pays producteur. »

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