Dans le Gard, Laurence et Jean ont requinqué la culture de l’amande

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Agriculture AlternativesL’amande était une production en voie d’abandon en France quand Laurence et Jean se sont lancés il y a 25 ans. Aujourd’hui, leur ferme a créé deux emplois en plus des leurs, et leur production apparaît comme une alternative locale aux importations massives venant des États-Unis et d’Espagne.
SPÉCIAL SALON DE L’AGRICULTURE — À l’occasion du Salon international de l’agriculture, la vitrine des « puissants » du secteur, Reporterre a choisi de mettre en avant les « petits », ceux qui bousculent les codes du milieu. Toute la semaine, nous présenterons des alternatives qui marchent. Samedi, nous avons fait le point sur la situation des néo-paysans, lundi, nous avons enquêté sur la floraison des microbrasseries lorraines, aujourd’hui, nous allons à la rencontre de producteurs d’amandes.
- Bouquet (Gard), reportage
Malgré cette incroyable chaleur de fin d’hiver, les bourgeons résistent encore. Alors que les amandiers sauvages des bords de route ont déjà sorti les premiers pétales, les boutons de ceux de Laurence et de Jean Hager gonflent, mais ne se sont pas encore épanouis. « Les nuits sont fraîches, donc cela les retient », indique l’amandicultrice. D’ici à quelques jours, ils devraient éclore. À ce moment-là, un apiculteur viendra placer ses ruches entre les rangs pour la pollinisation. « Mais, il n’y a jamais de miel d’amandier, car les fleurs d’amande sont parmi les premières à éclore, les abeilles ont d’abord besoin de se nourrir, précise Laurence. La récolte des fruits secs aura lieu début septembre. »
Son mari et elle se sont installés sur les hauteurs gardoises du mont Bouquet en 1996. En vacances dans les environs, les deux jeunes Alsaciens avaient été frappés d’y voir des amandiers. « Je pensais que cela poussait au Maghreb, en Espagne », raconte Laurence. Elle n’avait que 23 ans, lui, 28. Jean, de formation agricole, était tenté par l’expérience : « Les amandiers, personne n’en faisait à l’époque. Je n’aime pas faire comme tout le monde, le côté utilisation culinaire m’attirait aussi. » Qui aurait cru qu’ils réussiraient, sur ce plateau aux terrains pauvres et alors que la culture des amandes était en voie d’abandon ?

Le couple a d’abord acheté trois hectares d’amandiers à l’abandon, les ont requinqués, puis, ont petit à petit acheté ou loué de nouvelles terres et les ont cultivées. Le sol caillouteux et l’absence d’eau dans la zone ne permettaient pas d’y envisager un potager productif. En revanche, le terrain convient aux frugaux amandiers. La ferme compte désormais 24 hectares d’amandiers et 5 hectares d’oliviers, un laboratoire de transformation et deux salariés à plein temps, sans compter les saisonniers pour la récolte. Ils produisent en moyenne 10 à 12 tonnes d’amandons (le fruit sans les coques) par an. Une broutille sur un marché français très largement dominé par les importations d’Espagne et des États-Unis. Mais la demande croissante plaide en leur faveur. Désormais, l’amande est une production qui se développe en France. « Je ne sais pas si on a ouvert la voie, commente Jean. On a surtout montré qu’on pouvait vivre de l’amande. »
« On s’est lancés dans la transformation et la vente directe »
Le chemin a été long et aussi empierré que leurs terrains. Au début de leur installation, Jean et Laurence ont tous deux gardé un travail en plus de l’exploitation, car les premières récoltes d’amandes ne rapportaient pas grand-chose. « Au bout de deux ans, on a vite compris, se rappelle Jean. Vu le prix de vente en gros à la coopérative… On ne pouvait pas en vivre. On s’est lancés dans la transformation et la vente directe. À l’époque, il y avait très peu de circuits courts. » Si, aujourd’hui, ils vendent tout sans difficulté, il n’en a pas toujours été ainsi. « Au début, j’ai démarché quelques épiceries. Elles trouvaient que c’était trop cher. Puis d’autres producteurs nous ont conseillés. Il y a eu un effet boule de neige », dit Laurence. Le couple a d’abord préparé les produits dans sa cuisine, puis a pu aménager le laboratoire et la boutique il y a treize ans. Laurence et Jean ont aussi planté des oliviers, pour diversifier la production : une assurance face aux aléas de la météo. « Une fois, on a perdu la récolte deux ans de suite, se souvient Laurence. On a eu du mal à repartir. »

Dans les champs, autant pour les amandiers que les oliviers, beaucoup de leurs pratiques se rapprochent des recommandations du bio. Ils n’irriguent pas, « parce qu’on ne peut pas, il n’y a pas d’eau ici, et les amandes ont ainsi plus de goût », explique Laurence. Les engrais sont à base d’algues, la tonte est faite par les moutons — pas question d’utiliser des herbicides. Cependant, ils n’ont pas trouvé de solution pour lutter contre une petite guêpe qui pique les jeunes amandes sur l’arbre et les rend non consommables. Alors, le couple utilise un pesticide, traitant avec parcimonie, quand les abeilles sont parties et bien avant la récolte. « Sinon, la guêpe se propage partout. Pour l’instant, ceux qui essayent de passer en bio ont de très petites productions, observe la productrice. Parfois, certains nous font remarquer que nos amandes ne sont pas bio alors qu’ils en trouvent au supermarché. Mais du bio qui vient de loin, ce n’est pas écologique. »

Cerné par les champs d’arbres ensoleillés, le laboratoire laisse s’échapper de douces odeurs de gâteaux sortant du four. Patrice, le pâtissier, prépare, enfourne, et surveille attentivement sa cuisson tout en discutant. « On fait beaucoup d’efforts pour la qualité des produits et de la matière première, se félicite-t-il. Ici, il n’y a ni margarine ni conservateurs. En comparaison avec ce que j’ai pu voir en boulangerie ou en pâtisserie, où l’on utilisait des préparations toutes faites, ça n’a rien à voir ! » Beurre fermier, œufs de plein air, farine de producteur, figues du copain, sel de Guérande, épices bio d’une entreprise gardoise… Voici quelques-uns des ingrédients choisis pour figurer autour de l’amande, reine des recettes. L’embauche du pâtissier a permis de diversifier la gamme, avec des amandes enrobées de chocolat, de la nougatine, des nougats, des pâtes d’amandes… En ce lundi matin, un test de pâte d’amandes enrobée de praline sort du four. L’apparence intrigue, mais, quand on croque, on en redemande.

« Cela ne s’arrête jamais, c’est un mode de vie »
Juste à côté, Véronique pèse, emballe, accueille éventuellement les clients. Elle a commencé à 18 heures par mois, elle est désormais à 35 heures. « Je vis dans un village reculé. Trouver du travail à 10 kilomètres de chez moi, c’était inespéré ! se réjouit-elle. Ils auraient pu prendre un hangar dans la zone artisanale, cela aurait été plus pratique et plus grand, mais non, ils sont restés ici. Et puis, l’exploitation, on la vit ensemble. Quand la pollinisation se fait mal, on le voit à la tête de Jean. »

Toute la production est vendue en direct. À la ferme et dans des magasins de producteurs principalement. Parfois, des touristes de passage les recommandent une fois rentrés chez eux, et ont ainsi permis que les amandes du mont Bouquet aillent jusqu’à Lille. Mais, Laurence ne laisse pas sa production s’en aller n’importe où : « Ici, ce n’est pas un magasin de chaussures. Parfois, des marchands qui ont des épiceries viennent. Il m’arrive de refuser de leur vendre. Ils sont vivants, nos produits, chacun a une histoire, c’est un morceau de moi-même. On a tellement galéré. On ne peut pas les laisser partir comme cela. »

Dans le champ, au milieu des bourgeons qui bientôt vont parsemer le paysage de fleurs blanches, Laurence repense aux 23 années écoulées, autant que l’âge qu’elle avait en arrivant. On distingue quelques nuages dans ce ciel bleu d’Occitanie. Sans cesse, le couple plante, crée de nouvelles recettes, améliore l’exploitation. « Cela ne s’arrête jamais, c’est un mode de vie », nous dit-elle. « On devrait être dans la période la plus calme de l’année… » Mais, alors qu’elle attendait la journaliste, l’entreprise d’installation de panneaux photovoltaïques a débarqué sans prévenir, bouleversant le programme de la matinée. Le couple espère que le laboratoire sera bientôt autonome en énergie.

« Travailler avec le vivant n’est jamais facile, conclut Laurence. On s’est battus, on a fait des sacrifices. On est partis avec les enfants en vacances pour la première fois quand ils avaient 9 ans. On s’est donné les moyens pour que ça réussisse. Alors, quand les gens nous disent qu’ils adorent nos amandes, ça nous nourrit. »
