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ReportageLa balade du naturaliste

Le brame du cerf, un rendez-vous avec le sauvage

Un cerf dans le Massif de l’Aigoual, à la limite entre les départements du Gard et de la Lozère.

Chaque année, le rut du cerf accompagne l’arrivée de l’automne. La nuit, des cris gutturaux résonnent alors dans la forêt pendant un mois. Accompagné d’un agent, Reporterre s’est promené à pas ouatés dans le Parc national des Cévennes pour écouter les mâles bramer. Une période sensible pour les animaux, qui nécessite la discrétion des humains.

Ce reportage s’inscrit dans notre série La balade du naturaliste : une randonnée à la découverte d’une espèce ou d’un milieu exceptionnel, en compagnie d’une ou d’un passionné.


Massif de l’Aigoual (Hérault, Gard), reportage

La lumière décline à travers le feuillage des hêtres encore verts. La nuit s’installe et la faune se réveille. Sur le massif de l’Aigoual, des cris rauques et lointains émergent des forêts cévenoles. C’est le brame du cerf. « Un rendez-vous intime de reconnexion avec la nature », décrit Jérôme Molto, chef technicien « connaissance et veille du territoire » au Parc national des Cévennes. Nous le suivons à travers les pistes forestières jusqu’à un sentier donnant sur le massif. Silencieux, Jérôme tend l’oreille. Il souhaite localiser les nouvelles places de brame.

Chaque année, à partir de mi-septembre, le cerf élaphe (Cervus elaphus) entre dans sa période de rut. Durant un mois, les mâles brament pour marquer leur territoire et clamer leur possession d’une harde de biches. « Une obsession épuisante pour les cerfs dopés aux hormones qui ne s’alimentent quasiment plus », précise Jérôme Molto. Le cerf est une espèce forestière mais il a besoin de zones ouvertes pour s’accoupler et défendre son territoire. Il entre sur scène à la nuit tombée et déclame jusqu’au petit matin.

Un renard, et un cerf. © Théo Tzélépoglou/Reporterre

Le brouillard s’installe et le vent se lève. La bruine humidifie nos visages et ne semble pas perturber Jérôme, attentif. Les silhouettes des épicéas se découpent dans le paysage monochrome, la stridulation d’un grillon ponctue le silence de la nuit. Nous décidons de redescendre vers une zone épargnée par la brise, plus propice à l’écoute. Sur le chemin, les premiers brames se font entendre. Au loin, la forêt est délimitée par une zone pâturée l’été. Ce cadre bucolique attire son public. « On constate un engouement croissant pour aller au brame du cerf de la part des villes proches du parc, comme Nîmes ou Montpellier. » Le week-end dernier, l’équipe du Parc a mené une opération de surveillance et a pu observer une trentaine de véhicules, contre seulement une dizaine les années précédentes. « C’est un moment familial, un passage vers l’automne, avec un côté romantique, déclare Jérôme Molto. C’est très bien, mais tout le monde n’a pas la notice. » Nous nous arrêtons au bord de la route donnant sur cette vaste zone dépourvue d’arbres. « La nuit, certaines personnes s’équipent de lampes frontales et de GoPro pour filmer les cerfs sur les places de brames. Ces comportements sont interdits et dangereux. » Durant cette période sensible, les cerfs sont vulnérables au dérangement. Chaque dépense énergétique compte. « Les femelles sont aussi sensibles à ces perturbations. La période d’ovulation des biches étant assez courte, la reproduction peut échouer. » 

Lever de soleil sur les forêts cévenoles. © Théo Tzélépoglou / Reporterre

À cause de ces perturbations, les cerfs sont parfois contraints de bramer en forêt. Pour le chef technicien, « le brame s’écoute plus qu’il ne s’observe. C’est un moment de quiétude interne, il faut rester silencieux sur les chemins et, si on a la chance de voir un cerf de loin, c’est un plus. » Outre les effets négatifs sur l’écologie de ces cervidés, « ces mauvais comportements peuvent gâcher le spectacle de toutes les personnes qui font l’effort de respecter ce moment ». Cet évènement est même devenu une attraction pour des personnes peu scrupuleuses. Si des accompagnateurs extérieurs formés par le parc organisent des sorties, certains s’improvisent guides. « Ces personnes ne sont pas toujours respectueuses car comme ces sorties sont payantes, il faut garantir un résultat pour le public », dit Jérôme Molto.

Le lendemain matin, avant l’aurore, Jérôme nous mène sur le plateau du Lingas. Depuis un promontoire, bien camouflé derrière un rocher, il scrute la plaine aux jumelles. Une harde de sangliers, un renard, puis un cerf se détachent de la plaine. Le ciel, enflammé sous l’effet des premiers rayons de l’astre solaire, ne calme pas les ardeurs des mâles. Les cris gutturaux raisonnent désormais en lisière de forêt. Nous nous aventurons discrètement un peu plus loin. Au-dessus d’un genêt, les bois d’un grand cerf trahissent sa présence. Nous rebroussons chemin avant qu’il ne nous repère.

Jérôme Molto observe les cerfs au loin. © Théo Tzélépoglou / Reporterre

Sur le chemin du retour, la terre retournée et des buissons saccagés témoignent de l’excitation nocturne des mâles. Un panneau d’information au brame du cerf marque la bifurcation avec un sentier forestier. Pour l’instant, le parc n’organise pas d’événement de sensibilisation au public mais publie des communiqués destinés à la presse locale. Sur le terrain, ils mènent des missions de police : « Nous sommes présents les soirs d’affluence afin de veiller à ce que la quiétude des animaux ne soit pas perturbée. » Ces missions visent également le braconnage, ou le « pharage », une pratique consistant à repérer des animaux aux phares de voiture la nuit pour mieux les chasser par la suite.


Avec le Parc national des forêts, le Parc national des Cévennes est le seul en France où la chasse est autorisée en son cœur, pourtant une zone de protection renforcée. Pour comprendre pourquoi cette pratique est autorisée — et ce, même pendant le brame —, il faut se pencher sur l’histoire de cet espace naturel protégé. En 1957, l’association du Parc national culturel des Cévennes-Lozère avait pour objectif de redynamiser un territoire se dépeuplant. L’association est devenue en 1970 le Parc national des Cévennes et la chasse n’a pas été interdite en son cœur : impossible de se passer d’une pratique aussi « traditionnelle », concluait en effet une étude préalable à sa création. « Nous avons conscience que cela peut paraître étrange d’autoriser les tirs durant le brame alors que l’on demande aux visiteurs de respecter une certaine quiétude », dit Jérôme Molto. « Nous avons mis en place des zones de tranquillité pour le brame sur le Barrandon, le Mont Lozère et Fontmort. Cela implique que les chasseurs ne peuvent tirer sur les cervidés qu’à partir de la mi-octobre, période de fin du rut. »

Interdire complètement la chasse pendant cette période sensible ? Compliqué, pour le chef technicien. « Après le brame, il y a de la neige et les zones sont moins accessibles ; au printemps, il y a les mises bas… » Derrière les exigences du calendrier, le poids de l’industrie forestière se fait sentir. Jérôme nous conduit quelques mètres hors des sentiers pour nous montrer les « coulées », c’est-à-dire le passage d’animaux. Bien que moyennement fiable, le recensement des cerfs à l’oreille montre que les populations sur le massif sont en expansion. Les herbivores mangeraient trop de jeunes pousses d’arbres, ce qui empêcherait les forêts de se renouveler assez vite. Il faudrait donc en chasser davantage pour équilibrer les populations et subvenir aux exigences de la sylviculture. Face aux cervidés, c’est donc l’« équilibre agro-sylvo-cynégétique » qui est invoqué.

Jérôme en plein comptage de brames. © Théo Tzélépoglou / Reporterre

Nous sortons de la forêt et regagnons la route. Après un week-end pluvieux, de nombreuses voitures de cueilleurs de champignons sont arrêtées sur le bas-côté. Le dérangement des chasseurs, celui des visiteurs attirés par le brame, de la sylviculture ou de la fréquentation habituelle ont des conséquences importantes sur les cervidés pendant cette période. Le calme est revenu sur le massif. Le soleil éclaire désormais l’étendue des collines pâturées, bordées par les forêts se teintant peu à peu d’un camaïeu de jaune. L’automne arrive et ce soir, la magie de la forêt résonnera à nouveau sur le massif de l’Aigoual. 

Une place de brame. © Théo Tzélépoglou / Reporterre

LES DIX CONSEILS DU PARC NATIONAL DESVENNES POUR ASSISTER À UN BRAME

  • No 1 : restez à distance
    Ne cherchez pas le contact avec les animaux : en cette période, les cerfs peuvent se montrer agressifs. De plus, en vous approchant de trop près, vous risquez de les déranger et de faire cesser l’action de brame.
  • No 2 : évitez la sortie de piste
    Veillez à ne pas vous écarter des pistes et des sentiers autorisés, et à emprunter uniquement les pistes, routes et voies ouvertes à la circulation.
  • No 3 : à la belle étoile
    N’utilisez pas de sources lumineuses pour observer les animaux. Leur utilisation pour la recherche du gibier est interdite et constitue une infraction à la loi. Privilégiez les soirs de pleine lune ou de ciel découvert.
  • No 4 : soyez visible sans déranger
    Restez visible pour les autres usagers de l’espace, mais le moins mobile, bruyant ou agité possible (pour ne pas attirer l’attention des cerfs). Un conseil qui vaut également pour vos observations naturalistes en pleine journée.
  • No 5 : respecter les règles
    Le Parc national est un lieu exceptionnel par la richesse de sa biodiversité, la qualité de ses paysages et de son patrimoine culturel. Autant d’occasions de s’émerveiller qui sont aussi des responsabilités pour tous ceux qui le traversent.
  • No 6 : jamais sans vos jumelles
    Munissez-vous de jumelles : en augmentant votre distance d’observation, vous respecterez la quiétude des animaux, assisterez à des scènes plus longues et plus intéressantes et garantirez votre sécurité.
  • No 7 : cerf et chien ne font pas bon ménage
    N’emmenez pas de chiens, même tenus en laisse.
  • No 8 : éviter les odeurs qui pourraient le perturber
    Les cerfs sont sensibles aux odeurs. Évitez donc de fumer ou les parfums trop forts.
    Essayez dans la mesure du possible de vous placer sous le vent (le cerf en amont et l’observateur en aval), ainsi les odeurs et les bruits ne seront pas transportés par le vent en direction du cerf.
  • No 9 : renseignez-vous sur les actions de chasse en cours
    Septembre-octobre est aussi une période où la chasse se pratique. Veillez donc à vous assurer que le site sur lequel vous vous rendez ne fait pas l’objet d’une action de chasse, et notamment d’une battue.
  • No 10 : soyez discret... et patient
    Vous l’aurez compris, la discrétion est le maître mot… restez donc à l’écoute sur les routes, voies et pistes ouvertes à la circulation en étant silencieux et respectueux de l’environnement.

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