Ciarán : les tempêtes sont-elles aggravées par le changement climatique ?

Un entrepôt détruit à Porspoder (Finistère), alors que la tempête Ciarán frappe la région, le 2 novembre 2023. - © AFP / Damien Meyer
Un entrepôt détruit à Porspoder (Finistère), alors que la tempête Ciarán frappe la région, le 2 novembre 2023. - © AFP / Damien Meyer
Durée de lecture : 8 minutes
Si les scientifiques ont encore du mal à répondre à cette question, le réchauffement global influence la formation des tempêtes extrêmes comme Ciarán, qui a secoué la France.
La tempête Ciarán et le lot de catastrophes et de records charriés avec elle sont venus, depuis le 1er novembre, s’ajouter à la liste des événements climatiques extrêmes qui frappent la France. Mais, contrairement aux records de chaleur, attribuer l’avènement de cette tempête au changement climatique n’a rien d’évident.
Une telle tempête n’est d’abord pas inédite sur notre territoire. Celle que l’on surnomme « l’ouragan de 1987 » avait cette année-là balayé le nord-ouest du pays avec des rafales atteignant les 216 km/h, quand la tempête Lothar de 1999 avait couvert une superficie extrêmement large de la métropole, recense Météo-France. La tempête Ciarán, en termes de violence comme de surfaces touchées, est « exceptionnelle mais pas la tempête du siècle », résume ainsi sur X (anciennement Twitter) l’agroclimatologue Serge Zaka.
Surtout, les données de Météo-France ne montrent aucune évolution significative de l’intensité ni de la fréquence des tempêtes. Le service météorologique français revendique une mesure précise des vents forts sur le territoire depuis le début des années 1980. Sur ces quarante dernières années, aucune dynamique ne se dégage. Les décennies avec les tempêtes les plus intenses ne sont même pas forcément celles qui connaissent la plus forte fréquence de tempêtes. La période dessine même une « légère tendance à la baisse », mais celle-ci « ne peut être directement mise en perspective du changement climatique ».
Effets contradictoires du changement climatique
Concernant l’évolution future, la synthèse de la littérature scientifique publiée dans le dernier rapport du Giec [1] estime tout de même que l’ensemble de l’Europe pourrait être confronté à des tempêtes plus intenses. Elles devraient aussi être plus fréquentes partout, excepté sur le bassin méditerranéen.
Problème : ces projections pâtissent d’un fort degré d’incertitude. Dans un monde plus chaud de 1,5 °C par rapport au climat préindustriel, la hausse des tempêtes est évaluée pour la région avec un niveau de confiance « faible ». Même à 4 °C de réchauffement global, le niveau de confiance est « moyen » pour ces projections.
La difficulté à relier ces tempêtes au changement climatique vient de la complexité de ces phénomènes, qui rend les modélisations des climatologues encore très lacunaires. « On modélise bien l’évolution des vagues de chaleur, car elles sont directement liées à la hausse de la température globale, explique Davide Faranda, chercheur au CNRS à l’institut Pierre-Simon Laplace et spécialiste du lien entre les événements extrêmes et le changement climatique. Les tempêtes, elles, ne sont pas régies par la hausse de la température de la planète, mais par des différences de température entre différentes zones de la planète. On entre dans un ordre de complexité de plus dans la physique du climat. »
Un homme de 70 ans est mort après avoir chuté de son balcon au Havre jeudi midi lors du passage de la tempête #Ciaran, ce qui porte à deux le nombre de personnes décédées #AFP #AFPVertical ⤵️ pic.twitter.com/XSNxXb5D61
— Agence France-Presse (@afpfr) November 2, 2023
En entrant un peu plus dans le détail, on peut identifier trois processus majeurs qui influencent la formation des tempêtes qui touchent l’Europe de l’Ouest. Le premier, c’est la différence de température à basse altitude. Ce gradient est le plus fort dans la région canadienne de Terre-Neuve, où les eaux chaudes du Gulf Stream rencontrent les eaux froides du Labrador. Ici naissent toutes les tempêtes qui touchent nos côtes.
Le deuxième phénomène concerne la rencontre de masses d’air présentant, elles aussi, un fort gradient de température, mais cette fois à haute altitude, entre 10 et 15 km, où circule un courant atmosphérique majeur, le jet-stream. De puissantes tempêtes peuvent se former lorsque ces deux phénomènes, en basse et haute altitudes, entrent en résonance, le jet-stream venant fournir de l’énergie et renforcer la tempête naissante en basse altitude.
Troisième processus à l’œuvre : les vents qui concentrent l’humidité au centre de la dépression vont provoquer la formation de nuages. C’est-à-dire la transformation de vapeur d’eau en gouttelettes liquides, ce qui s’accompagne d’un dégagement d’énergie, de chaleur, venant elle-même renforcer la tempête en train de naître.
Quelque 1,2 million de foyers étaient privés d'électricité ce matin, dont 780.000 en Bretagne, après le passage de la tempête Ciaran, avec des rafales de vent enregistrées à plus de 170 km/h, a annoncé le gestionnaire du réseau Enedis #AFP 3/3 pic.twitter.com/QouiAHteDm
— Agence France-Presse (@afpfr) November 2, 2023
« La difficulté, c’est que le changement climatique a des effets contradictoires sur chacun de ces trois ingrédients des tempêtes, pointe Christophe Cassou, climatologue et directeur de recherche du CNRS au Cerfacs de Toulouse. À basse altitude, les océans et latitudes polaires se réchauffent plus vite que les tropiques, ce qui tend à affaiblir le gradient de température et donc la genèse des tempêtes. À haute altitude, c’est l’inverse : les tropiques se réchauffent plus vite et cela favorise la plus forte intensité des tempêtes. Enfin, une atmosphère plus chaude peut contenir plus d’humidité, former plus de nuages et intensifier les tempêtes. »
En résumé : le réchauffement climatique d’origine anthropique modifie deux ingrédients clés de formation des tempêtes dans le sens d’une amplification et un autre ingrédient dans le sens d’une atténuation. De sorte que le bilan de l’opération est très incertain.
« Les modèles climatiques utilisés dans les rapports du Giec représentent assez mal les structures de tempêtes comme Ciarán. Ils analysent la vitesse des vents sans prendre en compte d’autres caractéristiques de ces tempêtes et ont un maillage spatial trop grossier pour analyser ces fines structures. Les modèles se contredisent et ne permettent pas de dégager une tendance claire », souligne Pascal Yiou, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement.
Vers un consensus scientifique ?
Il est, avec Davide Faranda notamment, coauteur d’une étude parue en 2022 dans la revue Climate Dynamics, qui établit un lien significatif entre l’évolution des tempêtes et le changement climatique. Ils ont identifié et analysé plus spécifiquement les tempêtes analogues à Alex, celle qui a frappé la France en 2020 et qui avait pour particularité d’être « explosive », c’est-à-dire de se former très rapidement, lors d’une chute brutale de pression.
Les tempêtes de ce type, d’après les chercheurs, seraient plus fréquentes et intenses sur la période 1986-2021, que sur la période 1950-1984, lors de laquelle les effets du changement climatique se faisaient moins sentir.
« Ce type de tempêtes est très peu représenté dans les modèles, mais leur étude est importante, car elles sont violentes et imprévisibles. On constate qu’elles étaient excessivement rares au XXe siècle, et le sont de moins en moins. Ciarán est elle aussi une tempête explosive », résume Pascal Yiou.
« La tempête Ciarán a très probablement été renforcée par le changement climatique, mais l’étude d’attribution n’a pas encore été faite. On va s’y mettre dans les prochains jours avec la plateforme d’attribution rapide ClimaMeter lancée récemment avec l’IPSL », précise Davide Faranda.
S’il reste prudent, le chercheur est assez convaincu de la dynamique globale que pourrait prendre l’évolution des connaissances climatologiques : « Je pense que le consensus scientifique va évoluer dans le sens d’une influence du changement climatique en faveur d’une intensification des tempêtes. Même si le changement climatique n’explique pas tout et que la variabilité naturelle du climat doit être prise en compte. Les tempêtes servent à transférer de l’énergie, des zones chaudes vers les zones froides, et le réchauffement va générer davantage de surplus d’énergie à transférer vers les pôles. »
En l’état, toutefois, toutes les études ne vont pas dans le sens de celle de Davide Faranda. La recherche avance en tâtonnant, sur ce sujet comme sur d’autres. « Les différents processus en jeu pourraient s’équilibrer. Il n’y aura peut-être pas de changement majeur dans l’occurrence des tempêtes », modère Christophe Cassou.
Une chose est sûre, toutefois, ajoute le climatologue : « Même à intensité constante, ces tempêtes nous rendent de plus en plus vulnérables, car elles arrivent sur les côtes avec un niveau des mers qui monte et se chargent de plus en plus en précipitations. » Le changement climatique n’étant, lui, pas prêt de s’arrêter, l’adaptation aux risques liés aux tempêtes est un enjeu qui devrait également prendre de l’ampleur.