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Climat

Le changement climatique menace la symbiose vitale entre les arbres et les champignons

Les racines des arbres vivent en symbiose avec un réseau complexe de champignons et de bactérie. Un groupe de chercheurs vient de publier la première cartographie mondiale de ce réseau indispensable à la vie des arbres mais mis en danger par le changement climatique.

Sous chaque forêt se trouve un réseau souterrain complexe de racines, de champignons et de bactéries qui relient les plantes. Cet internet souterrain, vieux de près de 500 millions d’années, est connu sous le nom de « wood wide web ». Essentielles à la communication des végétaux entre eux, ces interconnexions microbiennes sont surtout vitales pour les arbres. « Sans ces symbioses, les arbres ne peuvent pas bien se nourrir, explique Bruno Hérault, écologue au Centre international de recherche agronomique pour le développement (Cirad). Car les champignons et les bactéries présentes sous terre permettent à l’arbre d’accéder à une plus grande réserve d’éléments minéraux et d’eau. »

La majorité des symbioses impliquent des champignons, mais attention ! ceux que l’on cueille ne représentent que la partie émergée, la « fructification », où se déroule la reproduction sexuée. La partie immergée est constituée de fins filaments, capables d’explorer un très grand volume de sol… et de se lier aux arbres. C’est ce qu’on appelle des mycorhizes. « Il existe des ectomycorhizes, quand un mycélium de champignons va entourer les racines, et des endomycorhizes, quand la symbiose se fait à l’intérieur même des racines », précise M. Hérault.

Bien que l’existence de ce « wood wide web » soit établie de longue date, « on connaît mieux la surface de Mars que ce qu’il y a sous nos pieds », note le chercheur. C’est dire l’importance de la « cartographie mondiale des symbioses microbiennes des arbres », publiée en « une » de la revue Nature le 16 mai par l’Initiative pour la biodiversité des forêts mondiales (Global Forest Biodiversity Initiative, GFBI).

« C’est la première fois que nous comprenons le monde sous nos pieds, mais à une échelle mondiale » 

Pour parvenir à ce résultat, plus de 200 chercheurs ont patiemment exploré plus d’un million de parcelles boisées d’un hectare, répertoriant les espèces végétales présentes. 28.000 espèces, et au total 31 millions d’arbres — de forêts, savanes, zones humides — de 70 pays de tous les continents (sauf Antarctique) ont fait l’objet d’une collecte. « Comme chaque arbre est associé à une symbiose particulière, on peut savoir quelles sont les mycorhizes présentes sous terre dès lors qu’on sait quels sont les arbres présents sur terre », résume M. Hérault, qui a participé à cette étude depuis la Côte d’Ivoire. L’if, l’érable ou l’acacia s’associent avec des endomycorhizes, tandis que le chêne, le hêtre ou le châtaigner sont liés aux ectomycorhizes. Une fois les données rassemblées, il ne restait plus aux chercheurs qu’à mouliner le tout afin d’établir une cartographie planétaire.

Manchons mycorhiziens d’amanite gainant un réseau de radicelles.

« C’est la première fois que nous comprenons le monde sous nos pieds, mais à une échelle mondiale, a déclaré Thomas Crowther, l’un des auteurs du rapport, à la BBC. Tout comme l’IRM du cerveau nous aide à comprendre le fonctionnement du cerveau, cette carte mondiale des champignons sous le sol nous aide à comprendre le fonctionnement des écosystèmes mondiaux. »

Les chercheurs ont ainsi découvert que les ectomycorhizes dominent dans les forêts tempérées, fraîches et boréales, tandis que les endomycorhizes se trouvent majoritaires dans les zones humides et chaudes. Un autre type de symbiose, impliquant non pas des champignons mais des bactéries fixatrices d’azote, prédomine dans les régions plus arides.

Le changement climatique, en réchauffant l’atmosphère des régions tempérées, pourrait donc venir bouleverser cet équilibre essentiel 

« Les ectomycorhizes sont très performantes pour aller récupérer les nutriments dans les feuilles et bois morts qui se décomposent lentement, explique M. Hérault. Or, les végétaux se désagrègent plus lentement quand il fait frais. » D’autant plus que les arbres qui leur sont associés, en bons copains, produisent des feuilles à pourrissement plus long. A l’inverse, les endomycorhizes sont à l’aise dans des milieux où la litière forestière se décompose rapidement, là où la température et l’humidité sont plus élevées.

Pourcentage de la biomasse des arbres en symbiose avec des ectomycorhizes.

Le changement climatique, en réchauffant l’atmosphère des régions tempérées, pourrait donc venir bouleverser cet équilibre essentiel. « Peu à peu, dans les forêts d’Europe, d’Amérique du Nord, de Russie, on pourrait voir des arbres à endomycorhizes supplanter les arbres à ectomycorhizes », dit l’écologue. Les chercheurs ont ainsi simulé l’évolution des symbioses microbiennes d’ici 2070, compte tenu des dérèglements en cours. Leurs résultats montrent une perte globale de 10 % de ces champignons ectomycorhiziens… et des arbres qui leur sont associés.

Problème, cette disparition possible de millions d’arbres et de leurs alliés mycéliens entraînera une libération de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Car une forêt dominée par les ectomycorhizes stocke beaucoup de carbone, sous forme de matière organique : « Quand vous vous promenez dans une hêtraie ou une châtaigneraie, le sol est jonché de feuilles mortes, qui peuvent s’accumuler pendant plusieurs années, illustre M. Hérault. Les forêts à endomycorhizes produisent des litières beaucoup moins épaisses, c’est autant de carbone stocké en moins ! »

Un effet boule de neige inquiétant, selon le chercheur : « Les changements massifs dans l’état et la composition des forêts du monde pourraient affecter, encore plus que nous ne l’imaginions, les changements climatiques en cours. »

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